Voilà, je suis de retour de Neverland. Je suis passé, avec le chat, par notre petit rituel de reconnaissance, puis lui ai donné à manger, puis l'ai laissé sortir dans la cour où il a filé comme une fusée.
Je me détends un instant après deux jours particulièrement difficiles. Mais ces deux jours ne sont rien à côté de ce que je vis depuis des mois, un tunnel qui semble n'avoir pas de fin. A l'hôtel hier soir, le patron m'a vu bien déconfit. "J'aurais besoin d'un remontant" lui ai-je dit. "Avec ou sans glaçons?" me dit-il. "Je suis très très déprimé". "Alors je vois ce qu'il vous faut". Il est revenu avec un verre de whisky rempli de glaçon comme je l'aime.
Parlant avec notre secrétaire aujourd'hui, je lui ai expliqué que si elle n'avait pas été là, j'aurais craqué depuis longtemps. "Moi-même, me dit-elle, je ne sais comment vous tenez."
Et la journée avançait dans le plus parfait silence.
Dans le train du retour, le temps a passé sans que je m'en rende compte, et sans dormir. Daniel Schneidermann était assis à deux places de moi. J'ai failli lui dire combien j'avais d'estime pour lui, puis ai décidé de le laisser tranquille.
Et j'ai repensé à ce que m'avait dit notre secrétaire. "Finalement, comment se fait-il que je sois encore debout?" Et la réponse m'est apparue, éclatante: c'est que j'ai enfin réalisé ce que m'enseignait un conte russe, lu il y a longtemps.
Un jeune homme part découvrir le monde. Sa mère lui dit: "mon fils, tu trouveras une femme en chemin. Je te souhaite de rencontrer une femme de bon conseil."
J'étais, comme ce jeune homme, trop inexpérimenté pour comprendre la valeur de ce conseil. Le jeune homme parcourt le monde, s'éprend d'une princesse que son père a mis à l'encan. Il doit affronter des épreuves. La fille de sa logeuse, soir après soir, lui indique les moyens de triompher. Il l'emporte, grâce à elle. Au moment d'épouser la princesse, il hésite, renonce, se tourne vers cette femme qui lui a donné tant de bons conseils. Le voeu de sa mère est exaucé.
Depuis six mois bientôt je vis auprès d'une femme de bon conseil. Il m'a fallu du temps, plus de vingt ans, pour accorder du prix à ces choses-là. Aujourd'hui je suis comblé, et les difficultés que j'affronte ne sont rien à côté de ce que ma femme de bon conseil m'apporte chaque jour.
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