Cioran disait: "les philosophes écrivent pour les professeur; les penseurs, pour les écrivains".
Forte impression de déjà vu hier au Collège de France où en guise de colloque de haut niveau nous avons entendu une splendide dissertation de philosophie.
L'avantage de cet exercice, c'est qu'il ne présuppose pas l'existence d'une réalité, à laquelle il devrait correspondre.
On posera un concept vague: l'animal. La première partie de la dissertation consiste à le requalifier en "notion". Puis on affirmera qu'il n'est pas opératoire. Enfin qu'il n'existe pas. Mais que sans lui on ne peut définir l'homme. Donc on le garde.
Comme au Monopoly ou au jeu de l'oie, il faudra évidemment à un moment ou à un autre passer par la case "Aristote", puis "Descartes", puis "Malebranche".
Si quelqu'un objecte que des sociétés animales ont des cultures et des langages spécifiques, on rejettera l'objection, affirmant que l'extension à l'Animal de telles catégories les appauvrissent, les galvaudent, "si l'on songe à la prodigieuse diversité des cultures et des langues humaines".
Voilà pourquoi sortant de là je promenais ma solitude ontologique rue des Ecoles, sans envie de siffloter.
Une objection seulement : n'attribuez pas, s'il vous plaît, à toute philosophie une attitude qui correspond à la pratique universitaire, filtrée par l'institution. Ce que vous observez est : la philosophie telle qu'il faut la pratiquer pour atteindre aujourd'hui les sommets de l'institution universitaire.
Une exigeante impasse.
A l'écart, regagnons les plaines.
Rédigé par : La souris blonde | jeudi 23 juin 2011 à 12:32
Sans doute suis-je injuste, souris blonde, mais le fait est que je n'ai jamais entendu un philosophe dire une chose intelligente et/ou intelligible sur l'animal, sauf Dominique Lestel qui bénéficie de l'extraterritorialité.
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 23 juin 2011 à 12:42
Je persiste : vous n'avez jamais entendu. Mais tous ceux que vous entendez, ce sont tous ceux qui sont audibles, c'est-à-dire passés par le filtre de l'institution. Vous servez mon argumentation.
Je vous concède néanmoins que la philosophie n'est sans doute pas le meilleur lieu d'où se prononcer sur l'animal. Ses méthodes sont plus pertinentes sur d'autres sujets.
Mais je récupère d'une main ce que je donne de l'autre : vous êtes tout à fait un philosophe...
Rédigé par : La souris blonde | jeudi 23 juin 2011 à 22:47
Souris, je ne comprends pas. Qu'entendez-vous par "philosophes hors institutions"? Les philosophes de comptoir?
Où commence et où s'arrête l'institution? Les professeurs de lycée sont-ils "hors institution"?
Dans l'histoire de la philosophie, on ne voit guère que Rousseau et Cioran qui aient bâti une pensée sur la base de leur expérience propre, sans fréquenter le moule universitaire...
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 24 juin 2011 à 08:23
Mais pourquoi donc voulez-vous toujours comprendre sous mes propos exactement ce qui vous énerverait ?
Nous parlons ici d'une institution : l'université, dans sa branche philosophique. Vous êtes selon moi un philosophe hors-institution car 1) vous ne faites pas partie d'une faculté de philosophie, vous pensez ailleurs et 2) vous vous intégrez assez mal au fonctionnement des institutions de recherche actuelles. Vous faites clairement partie des éléments qui ne passent pas à travers certains filtres. Vos travaux ont beau être absolument passionnants, vous ne faites pas partie des chouchous de l'institution, non pas parce qu'elle sélectionne les travaux inintéressants, mais parce qu'elle sélectionne sur d'autres critères.
Je suis au contraire, pour ce qui concerne ma recherche, un philosophe d'institution - constat qui, entre autres, m'a amené à penser que ma recherche n'est pas très intéressante, voire stérile, et à chercher ailleurs, dans la pédagogie, d'autres accomplissements (lesquels, après correction de xxx copies du bac, bref, c'est pas gagné) qui n'ont plus rien à voir avec la production philosophique, mais avec la philosophie dans ce qu'elle a de dialogique. Car j'ai senti que le succès universitaire n'était pas une preuve suffisante du caractère intellectuellement satisfaisant de ce que j'écrivais.
Ma remarque tenait simplement au fait que toute institution tend à développer des critères de sélection de ses éléments. De même que le mode de fonctionnement d'un parti politique aboutit à sélectionner, non pas le candidat qui gouvernera le mieux un pays, mais celui qui, pour tout un tas de raisons contingentes, navigue le mieux à travers le mode de fonctionnement dudit parti, le mode de fonctionnement actuel de la recherche en philosophie aboutit à sélectionner, non pas de bons philosophes, mais les personnes les plus aptes à rentrer dans un certain mode de fonctionnement. Et que de même qu'il serait absurde de confondre le fonctionnement des partis politiques avec la politique - même s'il est de fait difficile de "faire de la politique" en-dehors du système des partis - , il serait injuste de prendre le sommet de l'institution philosophique universitaire pour le tout de ce qu'a à dire la philosophie.
Ce qui ne veut pas non plus dire qu'il ne peut pas y avoir de bons philosophes à l'université. Mais s'il y en a, ce sera par hasard.
Pour ce qui concerne l'histoire de la philosophie : au contraire, nous connaissons actuellement cette situation rare où la philosophie est appelée à ce faire au sein d'une institution, et où les philosophes sont rémunérés pour penser. Il ne s'agit plus de fréquenter le moule universitaire lors d'une formation initiale, mais de dépendre des rouages de ce moule pour sa production philosophique ultérieure. Je ne crois pas que la production philosophique la plus intéressante de quelque époque que ce soit ait jamais été l'oeuvre des professeurs d'université - même si l'on remonte au plus loin des origines de l'institution. Au contraire, les véritables philosophes au sein de l'institution, comme Bergson, me semblent bien plus l'exception que la règle.
Ce qu'il y a aujourd'hui d'exceptionnel, et même, il me semble, sans exemple dans l'histoire, c'est l'appel à ne plus philosopher qu'au sein de l'institution. Il n'existe plus, précisément, ou presque plus, de philosophie en-dehors de l'institution universitaire. Ce qui explique la confusion que vous faites.
Quant à savoir si les professeurs de lycée sont hors-institution : non, bien sûr. Ils sont d'une autre institution, celle de l'enseignement secondaire. Elle a, elle aussi, ses rouages, ses processus de sélection, qui n'ont pas grand'chose à voir, là encore, avec les fins que se propose cette institution, c'est-à-dire l'éducation des enfants. Elle sélectionne les étudiants les plus aptes à réussir aux concours. Et s'il s'y trouve de bons enseignants, ce sera, là aussi, par hasard.
Rédigé par : La souris blonde | mercredi 29 juin 2011 à 16:17
/se/ faire, pardon, et c'est pourtant pas faute de m'être relue.
Rédigé par : La souris blonde | mercredi 29 juin 2011 à 16:20
Chère souris blonde, je comprends mieux à présent.
Personnellement je n'ai rien d'un philosophe. Je suis anthropologue et je constate qu'il y a dans le métier une part institutionnelle qui s'affirme avec l'âge et les pouvoirs dont on dispose. C'est le mandarinat, qui n'est l'apanage d'aucune discipline en particulier.
Jouer le jeu de l'institution est possible quand on est très à l'aise et très en forme. Ces deux conditions étant rarement réunies chez moi, mes apparitions mondaines sont généralement contre-productives...
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 29 juin 2011 à 16:43
Si vous tenez aux frontières entre disciplines, je vous l'accorde... Mais pour moi, votre travail reste d'une grande portée philosophique.
Rédigé par : La souris blonde | mercredi 29 juin 2011 à 23:02