Les agriculteurs supportent assez mal qu'on leur demande des comptes ou que l'on formule des exigences quant à la qualité des paysages qu'ils entretiennent. S'ils semblent admettre qu'il faille privilégier les haies, par exemple, s'il y a risque d'érosion, ils se refusent à en planter pour des motifs purement esthétiques. Le raisonnement repose sur un calcul coût/bénéfice en termes de travail à fournir.
Pourtant, une telle exigence n'est pas dépourvue de fondements. Si l'on estime grossièrement que les terres agricoles occupent 60% de la surface du territoire (je calcule ainsi: 25% de surface boisée, 5% de bâti, 10% de zones humides ou escarpées), les détenteurs de ces superficies ont quelques responsabilités, en particulier pour ce qui est de l'érosion, des infiltrations de pesticides, et de maintien des faunes et flores adventices. La dimension esthétique, selon ces considérations, est franchement secondaire.
Mais l'idée du "paysan gardien des paysages" n'est pas sortie du chapeau d'un technocrate. La FNSEA est la première à l'avoir popularisée, lors de ses campagnes de communications (voir la note "Paysagisme").
Tous les stéréotypes de l'agriculteur en lien avec la terre, respectueux des êtres et des saisons, sont issus des syndicats agricoles eux-mêmes, et ont profondément marqué la psyché de la Nation. On ne peut jouer impunément avec les stéréotypes, à l'image de ces Indiens réclamant des terres au nom d'un rapport privilégié avec Mère Nature puis vendant le bois précieux à l'encan.
La dissociation du discours et des réalités qu'il recouvre peut évidemment aller fort loin. De ce point de vue, nous vivons hélas dans un monde de fiction.
J'essaie en te lisant de me placer du point de vue d'un internaute qui ne connaîtrait pas du tout le sujet et qui le découvrirait via ce billet. De ce point de vue, il me semble que tu en dis à la fois trop et trop peu (puis-je te suggérer une série de billets sur le sujet ?).
Il y a d'abord la question du paysage. Dans le billet, tu sembles d'abord la lier à une question d'esthétique (les agriculteurs se refusent à planter pour des raisons d'esthétique). Mais ensuite, tu dis que cette question esthétique est secondaire et tu mets en avant des questions écologique (érosion, biodiversité).
C'est toute l'ambiguïté : quand on parle de "gardien des paysages" on parle de quel paysage ? Le paysage au sens esthétique (une découverte assez récente en Europe, très liée d'ailleurs à l'histoire de l'art et à un certain regard : le romantisme par exemple) ou le paysage au sens écologique (comme dans l'écologie du paysage) avec ses fonctionnalités, etc. ? Et même dans ce sens, quel paysage ? Cf. les propos polémiques de Jean-Claude Génot contre l'idée qu'il faut à tout prix conserver (par la gestion) des milieux (ou paysages ?) "ouverts" et ne pas laisser faire le boisement spontané.
Par ailleurs, les agriculteurs et les syndicats agricoles ne constituent pas un monde homogène (je sais que tu le sais bien, mais le billet n'en dit rien). C'est ce qui m'a gêné aussi dans les polémiques de cet été à propos des sangliers retrouvés morts dans la baie de Saint-Brieuc. Les médias ont opposé "les" écologistes et "les" agriculteurs (l'État et les scientifiques étant censés jouer les arbitre). Cas typique de controverse "à la Latour". Mais les agriculteurs qui se sont exprimés n'étaient pas forcément représentatifs de l'ensemble de la profession...
Rédigé par : Anthropiques | mercredi 31 août 2011 à 12:05
Tu as raison, c'est un peu lapidaire.
Disons que je comprends les agriculteurs qui n'approuvent pas d'être considérés comme des jardiniers MAIS je rappelle que c'est là un stéréotype véhiculé par le principal syndicat agricole ET j'ajoute que si on ne peut en effet imposer un surcroît de travail à des fins esthétiques, il faut en revanche insister sur la responsabilité écologique des agriculteurs étant donnée l'emprise au sol de leur activité.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 31 août 2011 à 12:11