L"Inetto" - inepte, incapable, inapte - fut un personnage couramment incarné dans la littérature italienne de la fin XIXe au début du XXe siècle. Son expression la plus achevée se situe dans La Coscienza di Zeno, mais d'autres personnages de Svevo - Alfonso Nitti, Emilio Brentani - en sont d'excellents exemples. Du côté germanique, c'est L'Homme sans qualités que Musil décrivit longuement.
Zeno exprime bien le fond de l'inanité lorsqu'il observe "la grande machine privée de but" qu'est l'univers. Que sommes-nous au milieu de tout cela? Et même pas au milieu, plutôt à la périphérie. Plutôt que des roseaux pensants, ne serions-nous pas plutôt quelqu'infime coléoptère posé à l'extrémité du roseau?
Germaine Brée a, il y a plus de trente ans de cela, publié un excellent livre portant sur La Recherche du Temps perdu. Elle écrit à propos des scènes finales du Temps retrouvé:
"Ils existent, rien n'explique cette existence qui va cesser d'être et qui est une forme fugitive de la vie. Mais, installés dans cette existence, comme le dormeur au centre d'un rêve, les hommes l'oublient et en oublient le caractère transitoire. Ils se laissent emporter, saluant, ricanant, bavardant avec ardeur, dans la mort, où cette création unique qu'est une vie se développant dans le temps se trouve rapidement perdue, aussi rapidement que l'est, dans la mémoire de sa fille même, le souvenir et la personnalité de Swann." (BREE Germaine, Du temps perdu au temps retrouvé, les Belles Lettres, 1969, p.159)
Ces perplexités ne me quittent pas lorsque je mène mes enquêtes. Souvent j'ai des instants de pause et de douleur où les choses se transfigurent. Tantôt je me projette au Crétacé ou au Jurassique, tantôt je pense au volume physique occupé par un humain qui agit, prend des décisions, décide de construire ou démolir. Je me demande bien sûr à quoi je sers, ce que je fais là, assis devant mes interlocuteurs plus ou moins à l'aise, plus ou moins communicatifs, et moi-même plus ou moins désireux d'approfondir, toucher à l'intimité des coeurs, me laisser aller à ma curiosité.
Et pourtant l'essentiel n'est pas là. Après un mois à la campagne je ne faisais pas corps avec mon enquête, mais avec le jardin. Ces choses-là n'ont pas de mots pour les exprimer. Chemins parcourus et reparcourus. La même fleur vue et revue sous mille angle, tantôt visitée par un insecte, tantôt hébergeant une petite araignée. Etre happé par la vie végétale, comme un corps mort se dissout dans l'humus.
Rédigé par : |