Il y a quelques années de cela j'étais porté aux confidences. S'il m'arrivait quelque chose il me fallait le raconter à quelqu'un. Et sans doute m'arrivait-il des choses alors. Je suppose qu'il m'arrivait d'éprouver des sentiments violents, et je devais rapidement en faire part au premier ami qui se trouvait disponible.
Progressivement j'ai appris à intérioriser; à mesure que j'intériorisais, le caractère aigu ou dramatique des événements de la vie quotidienne perdait de son tranchant. Comme si la vigueur des émotions était conditionnée par l'usage que l'on en fait: les raconter, les écrire.
J'ai revu deux vieux amis hier soir. L'un m'a, d'abord indirectement, puis directement, reproché de ne pas chercher à prendre des nouvelles. Il m'a expliqué avoir traversé un épisode douloureux et aurait apprécié que je fusse là.
Je lui ai fait observer qu'au cours de l'heure qui avait précédé, il avait pu mesurer combien mon amitié était superficielle. puisque ma conversation se limitait à faire de petites blagues, à montrer le côté positif des cancers ou des fugues ou des craquages mentaux. Il répliqua que même ainsi une amitié de 25 ans était précieuse.
Nous avons discuté quelques instants sur le trottoir. Je me sentais honteux et désolé. Je m'en voulais de ne rien éprouver de spécial, outre cette honte et cette désolation, qui m'aurait permis de justifier mon coeur sec. Il m'expliqua finalement combien son horizon, et celui de sa famille, s'était dégagé depuis la mort de son père.
- On sous-estime depuis longtemps la mort, lui dis-je. Il faut pourtant avouer qu'elle a des côtés positifs.
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