Cerfs déchiquetés vivants par la meute, blaireaux tués à coup de pioche, renardeaux affolés jetés aux chiens à des fins d’entraînement, faisans errant le long des routes en attendant d’être tirés… Ces pratiques, qui ne sont pas marginales, sont tristement révélatrices du mépris que nous vouons à la faune sauvage et à la souffrance animale. Mépris de ceux qui capturent et qui torturent, et le nôtre, qui laissons faire, persuadés que les chasseurs gestionnaires ont des droits sur la nature.
La faune française s’effondre. Les oiseaux les plus communs, les méso-prédateurs (visons, chats sauvages), et même les lapins, « viande du pauvre » autrefois, tous ces animaux qui nous semblent familier disparaissent peu à peu, sous les coups de boutoir de l’agriculture intensive, de l’artificialisation des terres, des tirs et tableaux de chasse. La réduction des habitats concentre la faune, d’autant plus facile à débusquer.
Bien des chasseurs s’abritent derrière la nécessité de « réguler », le faisant même apparaître comme un fardeau. Dans un même temps, ils dénigrent les lynx, loups, ours, pour concurrence déloyale. Les phoques décapités par des pêcheurs professionnels témoignent du même désir d’extermination, mais au moins la pêche en mer n’est-elle pas un loisir. Alors même que la police scientifique est mobilisée pour découvrir les auteurs de destructions volontaires (empoisonnements, tirs à l’affût), les amendes encourues sont de l’ordre de quelques centaines d’euros (à comparer par exemple aux 10.000 euros investis pour chaque lynx réintroduit – pour les ours, cela se compte en millions), assorties d’une suspension de permis de chasse pour des périodes provisoires.
Mais l’objet de cette tribune n’est pas le coût de la chasse pour le contribuable, ni son impact sur les grands prédateurs, mais la perte qu’elle entraîne pour le citoyen, pour notre patrimoine naturel, par définition notre patrimoine commun. Les articles s’accumulent : le contact avec la nature est nécessaire à l’équilibre mental. Or les périodes d’ouverture de la chasse, les espèces chassées, les dérogations accordées, et plus généralement la prise en compte des positions des parties prenantes se résument à trois catégories de citoyens : les chasseurs, les agriculteurs et les éleveurs. Les autres, nous autres, c’est-à-dire tous les autres, sommes disqualifiés car « urbains déconnectés », même si nous vivons à la campagne, accentuant l’idée que la nature ne nous appartient pas, et cela quel que soit notre degré de proximité avec la nature et la connaissance que nous en avons.
Impact écologique et humain
Les chasseurs ne « prélèvent » pas que du gibier : selon un article du Dauphiné Libéré paru le 17 novembre 2019, les chasseurs ont tué en France 400 personnes en 20 ans - à comparer aux 300 et quelques morts provoquées par des attentats terroristes en 40 ans, selon le décompte effectué par Libération (15/07/2016).
Si la chasse en zone humide se pratique avec des cartouches chargées de billes d’acier, toutes les autres chasses utilisent le plomb. Un rapport récent (ECHA/PR/18/14) de l’ECHA (European Chemical Agency) estime à 20.000 tonnes chaque année la quantité de plomb déversée par les chasseurs européens, dont les Français représentent 30%. Le plomb se diffuse dans les sols, affecte les micro-organismes, pénètre les plantes dont se nourrissent les herbivores, s’accumule dans l’estomac des carnivores.
Autre impact, la disparition du petit gibier, entraînant de fait le déclin des rapaces diurnes et nocturnes et des mésocarnivores tel le chat sauvage. Les arguments invoqués pour l’extermination des renards et blaireaux (transmettant respectivement échinococcose et tuberculose bovine) sont spécieux, la première maladie étant tout autant transmise par les chats et chiens domestiques, la seconde par les grands herbivores (cerfs, chevreuils, voire sangliers). En revanche, la justice reconnaît aujourd’hui que le rôle des mésoprédateurs dans la contention de la maladie de Lyme est suffisamment attesté pour qu’elle casse des arrêtés prolongeant leur chasse. Ainsi de cette récente (09/12/2020, n° 2002508) ordonnance du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne cassant un arrêté préfectoral des Ardennes :
« […] il ressort des pièces du dossier, […] que la réduction des populations de renards n’est pas un moyen d’éviter la prolifération de l’échinococcose alvéolaire et de prévenir la contamination vers l’homme. Au contraire, il ressort de ces mêmes documents que le renard est une espèce essentielle pour lutter contre la propagation d’autres infections, et notamment des maladies vectorielles telles que la maladie de Lyme, en tant que prédateur de rongeurs nuisibles.»
Nous n’avons trouvé qu’un seul document estimant le nombre d’animaux sauvages tués annuellement en France : il s’agit d’un bulletin technique publié par l’ONCFS (aujourd’hui OFB) en 2016. Il porte sur la saison 2013-2014, et n’a été élaboré que grâce au bon vouloir de 8% des chasseurs français (Faune sauvage n°310). On relèvera :
Petits et moyens prédateurs : 2000 belettes, 22.000 blaireaux, 18.000 fouines, 9000 martres, 400.000 renards.
Parmi la faune sédentaire de plaine : 3.000.000 de faisans, 1.300.000 perdrix rouges – pour ces deux espèces, on estime qu’à 90% il s’agit de gibier d’élevage. Cela n’est pas anodin. Il traduit le fait que nombre de chasseurs ne le sont que prétendument (il s’agit plutôt de tir au pigeon), mais permettent au lobby cynégétique de gonfler ses rangs.
Concernant les galliformes de montagne (Gélinotte, Grand tétras), en raréfaction accélérée et disparus en maints endroits, le tableau est muet – trop délicat sans doute.
Préjudice écologique et moral
Parmi les oiseaux de nos campagnes, et c’est sans doute le point le plus douloureux, des oiseaux en déclin (tous le sont, même les espèces dites généralistes) : Alouette des champs (en déclin) – 180.000 - Bécasse : 740.000 ; Tourterelle des bois, classée vulnérable – 91.000 ; Merle noir : 220.000. Rappelons qu’il ne s’agit là que d’inférences à partir d’auto-déclarations. Et le tribut payé par la grive musicienne est de 1.400.000 individus.
Ceux qui se promènent dans la campagne et les bois ont probablement entendu le chant de la Grive musicienne. Il est mélodieux, enchanteur. Indépendamment du droit intrinsèque qu’a la faune sauvage de vivre ou de survivre, cet exemple permet de soulever une question : nous autres « urbains déconnectés » avons-nous oui ou non le droit d’écouter le chant de cet oiseau et de nous en réjouir ? Chacune des espèces mentionnées, chaque individu « prélevé », contribue à la disparition d’une expérience émotionnelle et esthétique qui aggrave notre déconnexion de la nature. Nous perdons ainsi la possibilité extraordinaire de nous approprier, de rendre nôtre, le patrimoine naturel qui appartient à tous, y compris à la nature elle-même.
L’article 1246 de la loi sur la biodiversité adoptée le 4 août 2016 inscrit un principe essentiel dans le code civil. Selon les termes de la loi, "toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenu de le réparer" Quel préjudice ? "Une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement".
Il serait temps que les non-chasseurs invoquent un tel préjudice, résultant d’une confiscation du patrimoine naturel par une fraction de la population. Il serait temps, enfin, que cesse notre indifférence à l’égard de la faune sauvage.
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