Retour de Neverland: J'y suis arrivé à 09h pour constater que la fac était bloquée par un cordon d'étudiants et de collègues. Un petit peloton de CRS s'est présenté - les collègues ont formé rempart face aux étudiants (ce que j'ai trouvé élégant), ont crié "non à la mastérisation", et tout le monde est resté planté là, 20 CRS face à 150 personnes.
J'ai attendu, j'avais froid, et puis j'en ai eu ma claque et je suis rentré par le train de 10h30.
Je me suis donc repenché sur le rapport final aux Assises de la Recherche tenues en novembre 2004, dont le texte fut publié le 21 janvier 2005. Une synthèse des conclusions est présentée dans les premières pages.
Première observation : l'autonomie des Universités et la création des PRES étaient considérées comme une priorité :
Les universités ont vocation à jouer un rôle plus important dans le dispositif de recherche français. Pour cela il faut leur donner les moyens d'engager rapidement une réforme profonde de leur fonctionnement à différents niveaux (structures de décision, évaluation, etc).
(...)
• Le nombre et le contour des organismes de recherche doit être repensé. Le HCS sera responsable de cette mission. Dans l'immédiat, il faut mettre en place une coordination étroite des organismes impliquant notamment des programmes thématiques communs.
• La dimension territoriale de la recherche est assurée par la création de Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES), associant localement les différents partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche publique et privée. Les PRES assurent à l’échelle de l’aire géographique concernée des missions de formation, de recherche et de valorisation. Outils d’aménagement du territoire, ils permettent de coordonner l’offre de formation dans toutes les disciplines, de servir d’interlocuteur aux acteurs économiques et sociaux souhaitant nouer des collaborations avec des laboratoires de recherche publique. Les PRES sont des structures multidisciplinaires et diversifiées qui favorisent des partenariats étroits sur des thématiques spécialisées.
D'autre part, s'agissant des enseignants-chercheurs, voici ce qui était suggéré:
Les conditions permettant aux enseignants-chercheurs de faire de la recherche doivent être significativement améliorées.
Un effort particulier sera fait pour les décharges d’enseignement des jeunes maîtres de conférences. Des mécanismes de réduction modulée du service pédagogique, propres aux universités, ou de détachement des enseignants chercheurs dans les organismes, permettront d'atteindre cet objectif. Pour cela, sera prise en compte l'évaluation de l'activité de recherche, par une instance nationale indépendante. Par ailleurs, les enseignants-chercheurs doivent bénéficier au cours de leur carrière de la possibilité de rééquilibrer leurs diverses missions (enseignement, recherche, encadrement pédagogique, administration). Ces dispositions imposent une augmentation significative du nombre d'enseignants-chercheurs et donc un effort budgétaire important mais indispensable et réaliste, du dispositif.
• L'évaluation doit intégrer l’ensemble des activités des chercheurs et des enseignants-chercheurs.
Elle est systématique, approfondie et suivie de conséquences exécutives. L’évaluation de la composante recherche dans toutes ses dimensions sera effectuée au niveau national, l’enseignement étant évalué au niveau local.
On le voit, nombre d'éléments ont été repris dans la loi LRU et la réforme du statut des Enseignants chercheurs proposée par Valérie Pécresse. Or nous avons devant nous un gouvernement, et surtout un Président, marqué par une profonde idéologie de droite - valeur de l'argent et du travail, initiative privée, mépris pour l'intellect... et c'est avec ce gouvernement qu'il nous faut négocier.
Ques sont les éléments inacceptables dans le projet gouvernemental ? Le fait que ces réformes s'effectuent à moyen constant, avec suppression de postes ; le fait que le statut privilégié de certains MCF en début de carrière ne concerne que 0.5% et des clopinettes de l'ensemble du corps concerné ; le mépris et l'ignorance satisfaite affichée par le Président dans son discours du 22 janvier 2009.
Concernant la mastérisation des concours, le fait inacceptable est de réclamer en septembre une maquette de master livrable en novembre. D'une part, la précipitation suggère que la qualité du résultat final n'aurait aucune importance aux yeux du gouvernement. D'autre part, elle s'inscrit dans une longue histoire de restructuration et réélaboration de maquettes (je m'y suis collé pour toute la période 1998-2005 avant de jeter l'éponge) activité chronophage, frustrante et épuisante.
Observons les propositions de SLR : elles vont dans le sens d'une compétition plutôt saine des universités, dès lors qu'elles sont maîtresses de leurs alliances et de leurs orientations. En théorie, les conseils scientifique et d'administration représentent les différentes sensibilités du corps enseignant et les différentes catégories de personnel.
L'évaluation des enseignements, pratiquée dans de nombreux pays, présente un risque de dérive, selon la manière dont elle est menée. Cela n'implique pas qu'on écarte l'évaluation, mais que cette évaluation présente quelques garde-fous.
L'évaluation de la recherche, enfin, paraît tellement normale qu'elle ne suscite pas d'opposition, sauf si les critères adoptés, en recherche fondamentale, sont exclusivement bibliométriques (car Durkheim et Mauss exploseraient le compteur, mais ne bénéficieraient d'aucune promotion).
Qu'est-ce donc, à présent, qui me gène profondément dans l'attitude de mes collègues qui rejettent désormais d'un bloc la mastérisation (pourtant reportée à 2011) la loi LRU (déjà adoptée) et la réforme du statut des enseignants-chercheurs (en cours de négociation) ?
Il va de soi qu'à effectif égal, à moyens constants, la décharge d'enseignement des uns retomberait sur les épaules des autres. Mais s'il en va ainsi mécaniquement, il n'en va pas de même administrativement. D'abord, tout le monde ne donne pas les mêmes cours, ceux-ci ne sont pas interchangeables ; ensuite, TOUS les maîtres de de conférences et les professeurs SONT des enseignants-chercheurs. La question de savoir si certains font ou non de la recherche ne devrait même pas se poser : la recherche entre dans leurs obligations de service, tout comme l'enseignement.
Ceux qui ne font pas de recherche n'accomplissent donc tout bonnement pas leur mission. Or, la recherche prend du temps. Quelqu'un qui s'y consacrerait à corps perdu, devrait de toute façon effectuer son service d'enseignement, et sacrifier ses vacances, sa vie familiale, etc., et se verrait récompensé par la notoriété, mais certainement pas financièrement. Il toucherait, comme tout le monde (y compris ceux qui ne font pas de recherche), sa prime de recherche, soit mille euros par an.
Quelqu'un qui ne fait pas de recherche peut, lui, accepter tranquillement des heures supplémentaires, payées 40 euros chacune. Il empoche en fin d'année, s'il en fait une centaine, jusqu'à 4000 euros (ou plus) + 1000 euros de prime de recherche, ce qui lui fait de confortables 13e et 14e mois. Je comprends que l'on ne veuille pas voir disparaître ce privilège aberrant, qui fait qu'il est avantageux, en fin de compte, de ne pas faire de recherche pour se consacrer à l'enseignement.
Que demandent les instances d'évaluation ? En SHS, deux articles par an dans des revues à comité de lecture ou un ouvrage tous les quatre ans. Ce n'est pas la mer à boire, mais il faut s'y consacrer. Qui est pénalisé, aujourd'hui, lorsqu'il s'avère que des collègues ne sont pas fichus de publier un article par an ? Non pas les collègues, mais le labo auquel ils sont rattachés, qui voit son budget amputé, et donc, in fine, sont pénalisés ceux qui font de la recherche et comptent sur ce labo pour financer les budgets colloques, aides au publis, etc. Alors, qui donc a intérêt à voir perdurer ce système ?
Les commentaires récents