3 août, vendredi.
A Cayenne attendant le départ pour St Georges. Dans la camionnette entre soudain, outre un importateur d’objets artisanaux brésiliens nommé Martius, le Karipuna Estácio dos Santos, fils d’Antônio, beau-frère de Dionísio dos Santos (chef de poste FUNAI du village de Manga). Il est secrétaire aux affaires indigènes de la Mairie d’Oiapoque.
Il se rappelait à peine de moi. Voici ce qu’il m’explique : il est entré en politique en 2000, alors qu’il était professeur à Manga. Il n’y avait aucun candidat à la fonction de vereador, il a décidé d’y aller. Selon lui, ce qui a fait l’unité des peuples de l’Uaçá, c’est le processus de démarcation commencé en 1970. Depuis quelques années, toutefois, l’union se fissure. Les Galibi ont créé l’AGM (Association Galibi-Marworno) pour torpiller l’APIO (Association des Peuples indigènes de l'Oiapock), qui traverse des difficultés financières. Il y a eu la question de la route nationale BR 156 qui traverse la réserve et la création de nouveaux villages aux intérêts divergents, entre Karipuna même.
Les caciques jouent un grand rôle dans l’unité. Mais Evandro, cacique de Kumarumã, semble vouloir faire cavalier seul. Les rassemblements que sont les Assemblées annuelles permettent d’aplanir ou d’exprimer les divergences, et aussi les assemblées générales qui ont lieu tous les deux ans.
Sa première épouse, morte d’un cancer de l’utérus, était la sœur de Dionisio. Sa nouvelle épouse est Française, moitié Karipuna et moitié Palikur.
Alors que nous arrivions à St Georges, la Police aux Frontières a arrêté la camionnette et fait descendre un malheureux Brésilien sans papiers qui s’apprêtait à rentrer dans son pays.
11h20, Oiapoque : Tout juste arrivé chez Rona, j’attends Kelly, de l'IBAMA (Institut Brésilien de l'Environnement), qui viendra déjeuner. Rona est une figure centrale à Oiapoque. Ancien orpailleur, originaire de Santarém, il a acheté avec son épouse une zone de préservation environnementale qui jouxte les limites de la ville d'Oiapoque. Il a ouvert des carbets très agréables, entourés d'arbres, qui donnent sur le fleuve. On peut dîner et déjeuner sans craindre d'intoxication, et généralement tous les employés de Rona, et Rona lui-même, sont très serviables. Du coup le carbet de Rona est mon camp de base bis: j'y ouvre un compte, j'y déjeune, j'y reçois, et généralement l'IBAMA charge ses bateaux sur le ponton devant le café restaurant.
17h20 : Au Musée Kuahy qui a ouvert ses portes. Magnifique Musée de l'Indien qui fait l'orgueil de la ville d'Oiapoque. Lux Vidal, de l'Université de São Paulo était en train de travailler aux dépliants du Musée quand Chico (curateur du musée) a surgi, tout épanoui, accompagné de Davi et Elio, le Palikur si sympathique. Nous nous sommes mis d’accord pour le dîner, et je suis parti mettre les choses au clair avec Marcos, le directeur du Parc National Cabo Orange. Il m’a autorisé à m’héberger dans le logement de l’Ibama, et surtout m’a permis de les accompagner à Ouanary, en Guyane française, départ fixé demain à 10h. Il s’agit d’une énième rencontre avec la direction du Parc Naturel Régional de Guyane pour mettre au point l’agenda de la signature de la coopération officielle.
Marcos se réjouit de me voir – il a totalement oublié le contenu de mon projet, mais j’apprends que les conflits au sein de l’Ibama sont résolus par le départ de Pedro d’abord, puis par l’intervention d’un psychologue de groupe qui a permis à l’équipe de dissiper les malentendus. Marcos a même suivi un stage pour apprendre à gérer une équipe. Cela me fendait le cœur l’année dernière de voir ces jeunes si motivés à leur arrivée devenus amers, désireux de partir. Le Parc National du Cap Orange a, du fait de la législation brésilienne, une influence qui dépasse largement son étendue (600 000 hectares).
Les agents du Parc doivent gérer l'embouchure de l'Oyapock, ses îlots et ses mangroves, afin de préserver les ressources halieutiques. Je songe depuis longtemps à proposer un projet d'étude des populations locales des deux côtés de la frontière, et nous avons soumis récemment, Marie Fleury (Musée d'Histoire Naturelle) et moi-même, une proposition de recherche allant dans ce sens.
A mesure que je pérégrine en ville – je dois tirer de l’argent et acheter un téléphone cellulaire – je rencontre Luciano, Ramon, et d’autres, outre Gilberta et Domingos (de la FUNAI). Ce ne sont jamais les mêmes qui se réjouissent de me voir. Domingos avec qui j’ai tant conversé m’a à peine salué, tandis que Gilberta qui m’a toujours fait la gueule m’a félicité pour mon accent (j’ignore lequel). Ramon, cacique de Santa Isabel, ne m’a pas reconnu, soit parce qu’il était sobre, soit parce qu’il était ivre. Luciano, cacique de Manga, toujours rubicond m’a interpellé de la rue, devant le commerce Midiã, et m’a présenté comme étant « um cara muito importante » (un gars très important)… Dans le commerce même, les serveurs et caissiers m’ont salué avec beaucoup de chaleur, je leur ai annoncé que d’ici peu je leur donnerai du travail.
La ville est en pleine décadence : rues défoncées, poussiéreuses, avec des rigoles d’eaux sales et des ossements de bœuf déposés sur des bennes, couverts de mouches. Des imbéciles font exprès de foncer pour soulever des nuages de terre rouge. Comme il fait plus de trente degrés, la sueur dégouline au deuxième pâté de maison.
C’est le début du mois, la Banque du Brésil est envahie de salariés qui viennent tirer de quoi faire la fête, ce vendredi soir, les queues sont immenses, les caisses des distributeurs se vident peu à peu. Et c’est une journée de promotion chez Amazonia Celulares, donc je m’y prends à trois fois avant d’obtenir la garantie qu’on s’occupera de moi demain matin à la première heure.
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