Dans un ouvrage récent (La République et sa diversité, Seuil, 2005), Patrick Weil (Paris I) émet la proposition suivante:
"Un [système d'admission comme celui du Texas] pourrait s'appliquer en France: les meilleurs élèves de chaque lycée de France auraient un droit d'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l'entrée. (...) Ce mécanisme a l'avantage d'être universel, de s'adresser à tous les lycéens de France, quel que soit leur lieu de résidence (...). Il impliquerait une réforme des procédures de recrutement dans les classes préparatoires."
Cette proposition a suscité l'adhésion de l'actuel Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui répond: "Votre proposition présente deux avantages (...): elle serait à l'origine d'une émulation très porteuse au sein des établissements scolaires; elle crée par ailleurs un formidable espoir de promotion sociale pour tous les élèves, quel que soit leur lycée, leur quartier ou l'origine socioprofessionnelle de leurs parents, alors qu'aujourd'hui les classes préparatoires et les instituts d'études politiques sont, de fait, remplis principalement par des élèves privilégiés." (in : Le Monde, 13 juillet 2005)
En tant que citoyen, j'applaudis à deux mains.
En tant qu'universitaire, pourvu d'orgueil et je l'espère de conscience professionnelle, il m'est cependant difficile d'accepter une proposition qui entérine le fait qu'il y a en France un système qui marche (les grandes écoles), et un système qui rampe (l'université). La proposition de Patrick Weil consiste à reconnaître le fait que nos Universités seraient condamnées à accueillir des tocards, les bons élèves, eux, échappant à ce cruel destin.
Comment Nicolas Sarkozy peut-il tolérer, s'il partage cette vision, que la loi oblige l'Université à accueillir le tout venant, à sacrifier des heures, des salles de cours, de l'équipement pour des étudiants de 1er cycle démotivés et absents, plutôt que de concentrer ses moyens au 2e cycle, lorsque les étudiants motivés ont besoin de perspectives et d'aides financières pour boucler leurs recherches ? Pourquoi ne pas universaliser "l'émulation très porteuse" du fait de la sélection à l'entrée, plutôt que d'universaliser l'entrée à l'Université, dépourvue ainsi de tout prestige, n'entraînant chez les étudiants aucun sentiment de leur mérite, aucun attachement particulier ?
Les études doivent servir à quelque chose. Un étudiant passé par une grande école a acquis des méthodes de travail, a fréquenté des enseignants de bon niveau, a intégré un réseau qui lui ouvrira des portes tout au long de sa vie.
L'étudiant passé par l'Université n'a rien, ou presque, de tout cela. Il ne fait pas partie d'une promotion, à cause de la volatilité de ses compagnons. Nombre de cours sont donnés par des lecteurs, des PRAG ne menant pas de recherches propres, et tout le système est parasité par les concours d'enseignements, seul débouché concret (mais combien aléatoire) en sciences humaines. Les exigences des recruteurs ("Bac +3", "Bac +2") montrent bien à quel point nos enseignements sont vidés de leur sens: personne ne parle ici de compétences, comme s'il était acquis que l'Université était une position d'attente, de mûrissement, de stagnation (et non de promotion) sociale, avant d'intégrer le marché du travail.
Tout n'est pas qu'une question de moyens. La question essentielle est: quel investissement personnel sommes-nous en droit d'exiger d'un étudiant ? La réponse du Ministère de la Recherche est claire : ce n'est pas à l'étudiant de s'investir dans la lutte contre l'échec. C'est à nous de l'empêcher d'échouer, même s'il a d'autres chats à fouetter. L'Université proclame ainsi, outre le fait qu'il n'est besoin de nul effort pour y entrer, que nul effort ne sera nécessaire pour en sortir, le diplôme étant on the house. Les choses étant ce qu'elles sont, et ne montrant aucun signe d'amélioration, nous pouvons bien penser, en effet, que la seule solution est celle que prône Patrick Weil. Encore une réussite pour le système à la française.
Bonjour,
Ayant été lectrice dans l'enseignement supérieur français, je ne peux qu'être d'accord avec vous en ce qui concerne une sélection à l'entrée, lors de l'accès à l'Université - j'ai côtoyé quelques étudiants dont le niveau laissait à désirer (je me demandais même ce qu'ils faisaient là...). En plus, je pense que ce système de sélection d'entrée en Licence et, maintenant, en Master 1 est beaucoup plus pervers.
Je partage aussi avec vous mon désarroi par rapport à ce système à deux vitesses, qui favorise l'élitisme des Grandes Ecoles en opposition à l'Université.
Cordialement,
Carla Guerreiro
Rédigé par : Carla Maria Vicente Guerreiro | mercredi 09 avr 2008 à 09:29
Bonjour,
Merci pour votre réponse à mon commentaire.
Pour ce qui est de cette table ronde, je dois préciser que je n'habite pas à Paris ni en région parisienne (je suis en Provence).
Rédigé par : Carla Guerreiro | jeudi 10 avr 2008 à 09:02