A propos des événements actuels dans l'Etat de Roraima, à l'extrême-nord du Brésil, j'indique au lecteur une excellente interview (en portugais) d'Eduardo Viveiros de Castro à O Estado de São Paulo.
Le conflit dérive de la démarcation d'une terre indigène, Raposa - Serra do Sol, jusque-là occupée par des riziculteurs. La réaction locale fut très vive, car l'Etat abrite également la T.I. Yanomami, et les colons (l'Etat ne commença à être colonisé que dans les années 50) brandissent l'argument du "beaucoup de terres pour peu d'indiens", tandis que des militaires se hérissent contre la démarcation de Terres Indigènes en zone de frontière, arguant de la menace d'invasion (par le Guyana ?).
Ce serait pain bénit pour un anthropologue qui, comme moi, étudie le rôle des stéréotypes culturels dans les systèmes de représentation. Hélas, votre serviteur est foudroyé par la maladie du sommeil et ronfle comme un sonneur à longueur de journée, écoutant en boucle la messe en Si mineur. Le docteur dit que ce n'est pas grave. Ogoum passe son temps à me secouer.
15h. Retour de déjeuner avec Michel Chandeigne, qui a enfin sorti son opus magnum, les Voyages de Magellan, en deux volumes. Nous parlons des engagements successifs, de la place de l'homme dans la nature. Lui vient de la biologie et s'est lancé dans l'édition historique et littéraire. Je viens de la littérature et je m'oriente vers l'éthologie. Il me parle d'un livre illustré dont il a eu l'idée autrefois: juxtaposer des images de cellules cancéreuses et de tissu urbain. Les tentacules lancées par les villes en expansion entraînent le dépérissement de la nature alentour, de même que les extensions de tumeurs cancéreuses entraînent la nécrose des tissus qui les bordent. Nous tombons d'accord sur le titre "Le cancer vu du ciel". J'objecte toutefois que la comparaison de l'humanité à un virus accrédite la thèse de ceux qui assimilent les défenseurs de la nature à des misanthropes. D'autre part, l'humanité est un produit naturel de l'évolution, une aberration en termes rationnels peut-être mais produit naturel toutefois. Le cancer est aussi produit par l'organisme qui l'héberge, remarque Michel. Plutôt que la décroissance, il prône la dénatalité, ce en quoi je suis parfaitement d'accord avec lui.
Mérites comparés de la thèse et du pamphlet. Une métaphore peut-elle se substituer à une argumentation ? Bref, nous évoquons successivement Coetzee, Dumont et Descartes. Descartes a fait autant de mal à la nature que le christianisme et l'islam réunis, puisqu'il a permis de rationaliser les destructions massives et le mépris de la vie animale. Le livre récent de Jean-Marie Schaeffer (La Fin de l'exception humaine) représente un progrès indéniable dans le contre-cartésianisme. Sortant du bistrot, satisfait et épanoui, je m'aperçois que celui-ci s'appelle "Le Descartes". J'y vois un signe, mais de quoi ?
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