Le Prince Charles propose, dans un point de vue publié dans Le Monde, un arrêt total de la déforestation, et se fait l'écho des prévisions alarmistes qui pointent vers une responsabilité amoindrie des pays qui déboisent, face à la cause majeure que constitue la demande occidentale en produits bon marché (viande, soja, huile de palme). Il annonce la création d'une fondation destinée à vulgariser les avancées scientifiques et techniques dans ce domaine. A l'échelle planétaire, il serait plus économique de cesser de détruire les forêts tropicales, au nom des services rendus en termes climatiques, plutôt que d'investir dans des technologies coûteuses et incertaines (capture du carbone, moteur à hydrogène) dont nous ne sommes pas sûrs qu'elles aboutissent avant le point de non retour.
Mais ce qui est vrai pour l'ensemble de la planète ne correspond pas aux infinités locales, aux intérêts divergents entre bien commun et bien personnel. Les consommateurs ont intérêt à payer moins cher leur nourriture, les agriculteurs ont intérêt à produire à moindre coût, et les Etats ont intérêt à privilégier la proie, qui sont les rentrées fiscales, plutôt que l'ombre, qui est la perspective d'une catastrophe également partagée.
Quels sont les principaux dangers qui pèsent sur les forêts ? Inutile de revenir en détail sur les processus internes de destruction, déjà évoqués dans une note précédente, et voyons trois éléments dont les consommateurs sont directement ou indirectement responsables : le bois exotique (meubles de jardin, montants de fenêtre, parquet...), viande et soja (si l'on ne consomme pas, en Europe, de viande brésilienne, nos vaches à nous sont élevées avec du soja brésilien) et huile de palme. L'huile de palme constitue une menace d'autant plus sérieuse qu'elle est voilée : personne n'achète spontanément de l'huile, or elle est présente dans à peu près tout ce que nous consommons, surtout dans les aliments préparés d'origine industrielle : du pain de mie au hachis parmentier, du nugget de poulet à la moussaka, nos amis industriels en mettent partout. L'huile de tournesol ou de colza est-elle trop chère ? Si c'est le cas, quelque chose ne va pas.
Doit-on se voir réduit à ce dilemme que les pamphlets anti-bobos ne cessent de poser : se nourrir convenablement, avec des produits équitables, est hors de portée du citoyen "qui trime"? Faut-il donc renoncer à taxer le coût environnemental du nugget de poulet afin de laisser à portée de la bourse des plus pauvres des aliments chargés en hormones et toxines ? Le levier fiscal permettrait de lever tous les dilemmes, de manière à privilégier, pour l'alimentation, ce qui est produit et consommé localement, dans des conditions soutenables. Certaines municipalités pourraient au moins s'y essayer, et constater si oui ou non l'offre et la demande suivent. Il ne s'agit pas de susciter à bon compte la bonne conscience collective, mais d'éviter de brasser du vent en permanence, comme si à lui tout seul un citoyen pouvait à la fois consommer bio, téléphoner au service client des surgelés Picard pour protester contre la présence d'huile de palme dans les barquettes de lasagne, se déplacer à vélo et poser une éolienne sur son toit. Nous nous trouvons face à ce paradoxe que le bien-être social, la prise en charge des pauvres, est l'affaire de l'Etat, par la mise en place d'un système de providence, cependant que la question environnementale relèverait de choix individuels, d'opter pour le lavage à froid ou le tri des ordures.
J'ai du mal à comprendre cette situation, mais on peut y voir une si longue abstention gouvernementale sur le plan de la défense des milieux naturels qu'il est devenu de règle de la voir régie par des comportements citoyens. Il n'est pas normal que des individus soucieux d'un bien être collectif payent plus cher un service ou un produit qu'un citoyen insoucieux. Si le citoyen européen souhaite préserver les forêts tropicales, ce n'est pas en y investissant de l'argent qu'il y parviendra : c'est en s'interrogeant sur l'origine des produits qu'il consomme. L'exigence européenne d'une certification du bois est un moyen simple et économique de parvenir à un résultat, si les douanes suivent, en termes de formation et de personnel. Des pressions commerciales peuvent être aisément exercées si le principe d'origine vaut pour les produits transformés : il ne servirait à rine de prohiber le commerce d'ivoire africain sous forme de défense si l'on autorise l'importation de défenses sculptées en provenance de Thaïlande ou d'ailleurs.
Il faut, à travers la taxation, frapper durablement les esprits, afin que le coût réel de ce que nous consommons nous apparaisse clairement. Sans doute verra-t-on les hiérarchies traditionnelles de produits durablement ébranlées, mais d'autres hiérarchies seront constituées, les équilibres seront retrouvés et la Terre continuera de tourner.
Mais tu crois sincèrement que les solutions que tu proposes, ils ne les ont pas trouvé là-haut ? Moi je crois que si. Seulement trop coûteux à mettre en place, trop compliqué pour leur économie.
Surtout que ces solutions là, elles existent depuis longtemps. Quid des jardins d'ouvriers en bord de seine par exemple ? Qui ne permettaient certes pas de se sustenter toute l'année, mais au moins d'améliorer l'ordinaire sans passer par une consommation frénétique. Et on pouvait faire du troc : "Tiens, je t'échange mes patates contre tes courgettes" Quid des composts de quartiers ? Où chacun allait déposer ses pelures et d'autres récupérer ce fameux engrais, gratuit lui. Quid des moulins en coopérative où on allait se faire moudre son grain ? (Bon là, ça se redéveloppe. Je suis très cliente du moulin de Bohars dans le fin fond de ma Bretagne, parce que farine de très bonne qualité et moins chère. J'ai d'ailleurs fait de délicieux muffins avec)(le plus compliqué, c'est de ramener mon stock annuel dans le train, uh uh uh)
Tout ça existait avant. Mais quand on parle, on se fait traiter de "passéiste", de vouloir à tout prix revenir en arrière. Non. Mais retrouver les bonnes choses, pourquoi pas ? On en est là quoi. Et qu'on ne me dise pas que ça coûte cher. J'ai l'air d'être riche moué ? Non. Mais je fais quand même. Et si l'éveil ne passe pas par les politiques, et ne passera sans doute pas, pourquoi ne pas forcer la chose en réfléchissant mieux nous aussi. Bien sûr tout ne doit pas passer par le citoyen, mais tout de même....un peu d'énergie de sa part serait la bienvenue que diable ! Nos mains ne sont pas là uniquement pour tourner les pages des journaux gratuits à l'info prédigérée la matin dans le métro ! Flûte hein...
Non, mais de toute façon, l'être humain, c'est comme les grenouilles. Quand ils seront tout cuits tout chauds, ils lèveront un oeil et feront : "Oh bin mince alors, je savais pas que j'étais en train de bouillir."
Tssss...
Rédigé par : Armelle | dimanche 08 juin 2008 à 10:38
Et puis d'abord, il n'y a pas que l'huile de palme dans ces machins industriels, que c'est pas cher, que ça te nourrit une famille de 12 enfants facile. Il y a le sucre. Celui qui est trop affiné pour notre pauvre organisme, et ne sert à rien qu'à nous faire ressembler à ces fiers américains. C'est p'têt là l'espoir. La sécurité sociale ne voudra pas endosser le coût de l'épidémie d'obésité. Donc les politiques se verront réagir.
mmh ?
Non, mais c'était une idée comme ça...
Wohé, je suis en forme moi ce matin, dis donc.
Rédigé par : Armelle | dimanche 08 juin 2008 à 10:58
"Il n'est pas normal que des individus soucieux d'un bien être collectif payent plus cher un service ou un produit qu'un citoyen insoucieux. Si le citoyen européen souhaite préserver les forêts tropicales, ce n'est pas en y investissant de l'argent qu'il y parviendra : c'est en s'interrogeant sur l'origine des produits qu'il consomme. L'exigence européenne d'une certification du bois est un moyen simple et économique de parvenir à un résultat, si les douanes suivent, en termes de formation et de personnel."
Tout à fait d'accord, surtout quand une part considérable de la population ne PEUT PAS payer plus cher.
C'est quand même aberrant qu'en cuisinant tout ce que je mange (et pourtant si j'achète de la qualité relative, je n'achète que rarement "bio", pour cause de prix), je dépense environ le double que si je me nourrissais de plats cuisinés ou de conserves!
Facteur temps plus facteur monétaire plus (tu l'as oublié) campagnes de pub agressives, tous les ingrédients sont réunis pour qu'on mange de la merde, dangereuse en plus pour l'environnement.
La télé pourrait aider, bien utilisée: depuis qu'ils ont vu une infinité de documentaires animaliers les enfants sont en général moins cruels qu'avant avec les animaux. La multiplication de ces docus, s'ils ne sont pas chiants, pourrait contribuer à la prise de conscience et aider à sauver non une espèce mais un écosystème.
Persiste et signe (je l'ai écrit chez moi) des interventions comme celles du Prince Charles dont les ancêtres ont déforesté toute la Malaisie, les Indes, une bonne partie de l'Afrique et viennent maintenant donner des leçons sont très mal perçues au Brésil et de ce fait contreproductives
Rédigé par : Benjamin | dimanche 08 juin 2008 à 18:58