Il fallait s'y attendre.
Votre serviteur, en pleine surchauffe neuronale (équivalent cérébral du "syndrome chinois"), ne pouvait laisser passer cet article du Monde:
Le gouvernement veut définir les "priorités" de la recherche
LE MONDE | 21.08.08 | 15h28 • Mis à jour le 21.08.08 | 18h52
La ministre de la recherche, Valérie Pécresse, devait présenter au conseil des ministres, jeudi 21 août, une communication sur la "stratégie nationale de recherche et d'innovation". Il ne s'agit plus de réformer le système de recherche, comme le gouvernement s'y est attelé depuis seize mois, avec la loi sur l'autonomie des universités et la restructuration des organismes en instituts thématiques. Mais de définir les "priorités" « La recherche française, de très bonne qualité, pâtit d'une politique scientifique procédant par focalisations successives (sida, cancer, environnement...), sans vision cohérente d'ensemble", observe Mme Pécresse. Autre faiblesse : "Des retombées socio-économiques insuffisantes." D'où la volonté de fixer un cap qui "donne aux chercheurs une visibilité sur plusieurs années" et qui "mette la science au service de la société et de l'économie".
COMITÉ DE "PERSONNALITÉS"
S'inspirant de l'exemple de pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon, la Finlande ou le Danemark, la ministre établit une méthode et un calendrier. Pendant six mois, d'octobre 2008 à mars 2009, sera organisée une concertation "associant toutes les parties prenantes, communauté scientifique, milieux économiques, associations". Il en sortira un document-cadre, approuvé en conseil des ministres. L'exercice sera renouvelé tous les quatre ans.
Dans un premier temps va être nommé un comité restreint d'une dizaine de "grandes personnalités", dont la tâche sera de répertorier les grands "défis" de la France : défis sociétaux (vieillissement, alimentation, ressources en eau), scientifiques (en biologie, en physique comme en sciences humaines), technologiques (bio et nanotechnologies, technologies de l'information) ou organisationnels (partenariats, transferts de technologie, coopération européenne). Plusieurs groupes de travail détermineront ensuite les axes de recherche permettant de répondre à chacun d'eux. Enfin, le Haut Conseil de la science et de la technologie sera consulté pour avis.
"La nécessité d'une stratégie nationale de recherche est une évidence", commente Jean-Luc Mazet, secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU). Mais il déplore une vision "utilitariste" de la science et, surtout, des restrictions budgétaires en contradiction avec l'affichage gouvernemental : 900 postes seront supprimés en 2009 dans l'enseignement supérieur et la recherche.
Pierre Le Hir
Article paru dans l'édition du 22.08.08.
Ce sont là de bons principes, clairement affirmés. Il y va du prestige et de l'avenir de la Nation. Les chercheurs inutiles ont du mouron à se faire, et leurs familles devront probablement assumer le coût de la balle qu'on leur tirera dans la nuque. Je le répète : nous allons dans le bon sens.
La recherche française, en effet, n'a pas "de retombées socio-économiques suffisantes". Il est clair, et les chercheurs doivent le comprendre, que si l'on investit 1 000 000 000 (un milliard) d'euros à fonds perdus dans la restauration, c'est pour permettre aux restaurateurs et cafetiers à la fois de maintenir des prix élevés, d'embaucher des travailleurs au noir ET d'investir dans des 4x4, moteurs de l'activité économique. On est en droit d'attendre, lorsqu'on investit 12000 euros dans un groupe de recherches, des retombées économiques équivalentes.
Malheureusement, si l'on considère la recherche comme un investissement accompli par la Nation, la Nation doit s'attendre à une rentabilité proportionnelle au montant de l'investissement. Placer une catégorie socioprofessionnelle au pied du mur, après qu'on lui a mesuré les crédits, taillé des croupières, jeté l'opprobre, discrédité, accusé de fainéantise et de pantouflage, est un moyen intelligent d'en obtenir ce que l'on veut. Les chercheurs affamés viendront, c'est sûr, manger dans la main secourable qui les a préalablement privés de nourriture.
Une stratégie nationale de recherche consisterait peut-être à faire en sorte, d'abord, qu'il existe pour la recherche nationale des conditions d'exercice. Ce serait un premier pas. De la même manière, si l'on privait les médecins de stéthoscopes, on pourrait envisager une vaste consultation visant à réorganiser le système de santé au motif que les médecins n'assumeraient pas leur rôle de gardiens de la santé. On pourrait également interdire aux transporteurs de fonds de s'équiper d'armes et de véhicules blindés, puis organiser une conférence nationale visant à sécuriser les transports de fonds. Les conclusions logiques seraient sans doute qu'il serait sage d'équiper les médecins de stéthoscopes, et les transporteurs de fonds d'armes et de véhicules blindés.
Mais ce serait peu subtil. Mieux vaudrait en effet, pour l'illisibilité de la chose, créer un nouveau corps de métier équipé de stéthoscopes, complétant l'action du médecin, et pour le transport de fonds, repenser entièrement le principe du parcours d'établissement à établissement pour organiser des convois pacifiques comptant des centaines de transporteurs pieds nus mais protégés par leur nombre.
Je note une petite contradiction toutefois : si l'un des maux dont souffre la recherche est une politique scientifique axée sur "la focalisation sur des thèmes successifs (sida, cancer, etc.)", je me demande comment on pourra rectifier la situation en prônant une politique scientifique qui consistera justement à assigner des priorités, c'est-à-dire à se focaliser sur des thèmes successifs, en ignorant complètement que la recherche crée également des objets nouveaux qui n'entreront dans le domaine de l'applicabilité qu'après des années voire des décennies.
Le cas des sciences humaines
Comme chercheur, je bats ma coulpe, et j'ai honte de n'être pas rentable. Je le suis d'autant que ce que je produis et publie dans des revues scientifiques n'est pas lu par les décideurs politiques. Il est donc bien naturel qu'ils postulent que nous ne servons à rien, et plaident pour une énième réorganisation de la recherche autour de grands principes qui de toute façon ne les amèneront pas à nous lire. Le fait que j'évoque ces questions dans un blog et non dans les Actes de la Recherche en Sciences Sociales témoigne, je l'espère, d'une certaine lucidité quant au nombre de lecteurs potentiels.
L'alternative serait peut-être que les chercheurs eux-mêmes prennent les choses en main, et se constituent en groupe de pression. Plutôt que de se focaliser sur les revues à comité de lecture, peut-être faut-il envisager des projections de powerpoint dans les couloirs de l'Assemblée Nationale ? Si l'Etat ne peut mettre en place des organismes stratégiques chargés de filtrer et réunir la production scientifique française en vue d'un usage politique, cela est bien dommage. On pourrait imaginer que les Académies diverses eussent pu jouer ce rôle, si elles ne se contentaient d'une pompe honorifique.
La recherche "performante", c'est-à-dire la recherche dont on peut quantifier et qualifier les résultats, n'obéit pas à la même logique que celle qui qui fonctionne sur la base du saupoudrage des crédits pour prolonger l'agonie, comme si nous étions des poissons rouges (dont je désapprouve l'achat). L'Etat recrute des chercheurs, il est normal de leur assigner une mission. Mais il n'est pas normal, en revanche, de leur laisser le soin de mendier leur pitance et de justifier ensuite de leur utilité, quand on affiche une méconnaissance et un désintérêt total pour les résultats obtenus dans les différents domaines de recherche. A-t-on consulté les anthropologues lorsque fut levé le lièvre du communautarisme ? A-t-on songé à regrouper les études portant sur le développement durable dans différents pays du monde avant de lancer à tout vat des politiques locales ? Nous produisons, écrivons, nous nous évaluons mutuellement et travaillons, je pense, consciencieusement. Mais pouvons-nous réellement prendre en charge l'amont et l'aval, le flux ascendant et le flux descendant, courir après les éditeurs, mendier des crédits de mission, des subventions à la publication, jongler avec les rattachements, et nous voir reprocher que nous ne communiquons pas suffisamment ? Cette logique de la double contrainte ne fait qu'entretenir le sentiment de la vanité des vanités, et du fait qu'il n'y a rien, vraiment rien, de nouveau sous le soleil, comme s'il continuait à tourner autour de la terre.
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