Le paradoxe de Zénon, qui prend parfois les formes du problème "Achille et la tortue", est le suivant : Une pomme tombe d'un arbre. Avant de toucher le sol, il lui faudra parcourir la moitié de la distance qui l'en sépare, et de même quand elle aura parcouru la moitié de sa trajectoire, ainsi de suite. Parvenue à une distance infinitésimale, la pomme devra encore franchir la moitié de cette distance infinitésimale qui la sépare du sol.
Dessalles (Aux origines du langage, Hermès, 2000) résoud le paradoxe de manière intéressante. Nous interprétons ce type de données selon deux schémas distincts, parfois complémentaires, parfois redondants. Le cas de figure présenté expose l'occurrence rare d'un schéma contradictoire.
Selon le schéma représentationnel, nous "imaginons" la scène. Nous "voyons" la pomme se détacher de l'arbre, toucher terre et rouler sur le gazon. Selon l'analyse segmentaire et thématique, nous transposons les données sur une carte mentale. Nous conceptualisons la trajectoire de la pomme, nous évaluons les distances, et ce faisant nous enfermons la pomme dans sa trajectoire sans pouvoir l'en faire sortir. Telle est la portée du paradoxe de Zénon.
Il m'est venu à l'esprit une variante de ce paradoxe, où l'explication de Dessalles se montre tout à fait valable et éclairante. Voici le paradoxe tel qu'exposé par Alain Prochiantz lors de la conférence qui l'opposait à Dominique Lestel (voilà trois notes où je l'évoque): "L'homme est un animal, mais un animal d'un genre particulier, qui n'est plus tout à fait un animal".
L'hypothèse de Dessalles est inversée si l'on prend le paradoxe de Zénon et qu'on fait de la pomme l'assertion "l'homme est un animal" et du sol son contraire, "l'homme n'est pas un animal". L'analyse segmentaire nous montre que l'homme ne peut être autre chose qu'un animal, sauf si l'on se place d'un point de vue religieux ET anti-darwinien. Toutes les tentatives d'établir un propre de l'homme se sont avérées infondées ou tellement dérisoires qu'elles font pleurer. Donc, du point de vue de l'analyse segmentaire, la pomme touchera le sol et finira par le contaminer.
Mais, et c'est là que le bât blesse, c'est selon le schéma représentationnel que la pomme (homme-animal) ne parvient jamais jusqu'au sol (homme-pas-animal). La représentation de l'exception humaine, tous nos schémas stéréotypés, notre vocabulaire même est fondé sur cette distinction. La pomme ne peut toucher le sol car il existe une incompatibilité entre le sol où est ancrée notre cosmologie et la pomme qui résulte de l'observation de l'animal. On aura beau déplacer et repenser la "barrière", c'est justement parce qu'il y a barrière que notre pré-carré, même réduit à un centimètre de côté, sera toujours un pré-carré.
Voilà donc un intéressant petit paradoxe que je soumets à Jean-Louis Dessalles en espérant qu'il en confirmera la validité.
Rédigé par : |