Comme je le supputais, ma proposition de lettre au Président n'a suscité aucune réaction parmi les vingt collègues à qui je l'ai envoyée. L'auteur de la lettre concurrente, dont je citais les passages les plus obscurs, m'écrit qu'il prend note de mes remarques mais ne modifiera rien à son texte qui partira en l'état.
A force de brasser du vent peut-être devrais-je songer à me convertir en éolienne. Et je me demande ce qui fait de nous des gens si peu décidés. Place donc aux perplexités d'un anthropologue, perplexités vite exposées car j'ai devant moi une longue journée de séminaires.
Les magistrats et auxiliaires de justic ont réagi unanimement à une brimade de trop. Faibles en nombre, on peut penser qu'une paralysie du système judiciaire représente une menace plus sérieuse que le blocage des labos, comme le faisait observer Dr. Mouton. Mais il y a autre chose. Les magistrats ne se sont pas dispersés en de multiples revendications, ils ne se sont pas focalisés sur la loi concernant la détention des mineurs. Ils se sont sentis bafoués dans leur dignité, et pour cela, encore faut-il en avoir une.
Ils sont passés par les mêmes formations initiales, ont prêté serment, leur savoir est inscrit dans l'Histoire, ce qui fait que l'apprentissage de la loi et des systèmes juridiques est aussi une épistémologie, en rapport constant avec l'état de la société à un moment de son existence.
Voyons les universitaires. Leurs intérêts divergent selon leur âge et leur degré de qualification. Ceux qui sont syndiqués appartiennent à un monde où évoluent essentiellement des enseignants du secondaire. Nombre d'entre eux ont une fibre sociale qui les amène à penser que l'Université est là pour protéger et accompagner les jeunes en difficulté. Ne pas les brusquer, ne pas les confronter à l'univers des "patrons", reflet de leur propre terreur face au monde extérieur qu'ils imaginent peuplé de requins, de suceurs de sang.
La lâcheté couramment observée et déjà commentée dans ce blog me paraît mériter un doigt d'explication. Pourquoi serions-nous lâches alors que nous évoluons dans un système protégé (jusqu'à présent) ? Qu'est-ce donc qui favoriserait, d'un point de vue évolutionniste, la couardise accompagnant le savoir chez les universitaires français ? Ma foi, je dispose d'un élément de réponse. Ce n'est pas le système universitaire qui crée la lâcheté, mais il l'attire, certainement, par une forme de fatalité. Ceux qui visent à intégrer les corps d'enseignants chercheurs sont précisément ceux qui craignent l'aventure du monde de la libre entreprise et du risque. Ils passent des doctorats comme on passe le concours des postiers.
C'est par défaut de caractère que je suis entré dans ce monde-là. Toutes les idées que j'expose, je les partageais autrefois. J'étais contre la sélection, le doctorat était une formalité, je me souciais des étudiants en difficulté, je croyais que j'avais une mission sociale ce qui m'épargnait l'aventure d'un savoir produit par moi-même et donc soumis à évaluation. Cela ne résout rien de le dire mais ouf.
"Ceux qui visent à intégrer les corps d'enseignants chercheurs sont précisément ceux qui craignent l'aventure du monde de la libre entreprise et du risque."
Pas d'accord du tout.
Faire un doctorat pour intégrer la recherche publique, c'est une sacré prise de risque ou alors on est inconscient.
De nos jours, faire une thèse n'est pas synonyme de trouver une planque (désolé) au chaud à l'université. Faire une thèse, c'est se préparer à toujours avoir ses valises sous la main, c'est disperser ses cartons de déménagement aux quatres coins du pays, c'est accepter de mettre la vie normale de cote pour quelques années (avoir une maison, vivre en couple, fonder une famille), c'est apprendre les rouages des assedics.
C'est aussi vivre libre sans attache, pouvoir explorer le monde au rythme des autochtones, avoir des amis partout, être citoyen du monde et avoir un max de fun.
"Bon quand c'est que tu as un vrai boulot" dixit mon père.
Rédigé par : Mouton | vendredi 12 déc 2008 à 19:11