Le Monde publie une présentation sommaire de la réforme du statut des enseignants chercheurs dans son édition du 29/01.
Grâce à Dieu, les commentaires sont à la hauteur. J'ai un faible pour ceux qui s'inscrivent dans une tradition moraliste, proche de La Rochefoucauld, ainsi de Gérard B.:
GÉRARD B.
30.01.09 | 23h33
Sauf que le vulgum pecus, qui ne comprend rien à l'organisation de la recherche et, d'ailleurs, s'en fiche, voit que nos chercheurs ne trouvent rien ou presque, et que ça lui coûte très cher pour des inutiles. Nous n'avons pas besoin de chercheurs, nous avons besoin de TROUVEURS.
Non seulement Gérard s'en fiche, mais en plus il y consacre du temps de cerveau disponible, grâce à la suppression de la publicité entre 20h et 06h sur le service télévisuel public. Afin d'en finir avec cet ingénieux jeu de mots, je suggère que l'on ne parle plus de "Recherche" mais de "Trouvette" ou "Découverte". Les commentaires porteraient alors sur "les découvreurs inutiles" et peut-être alors se sentiraient-ils obligés d'argumenter.
Mais c'est un autre aspect qui m'intéresse, dans l'article du Monde, qui est concis par principe:
Dans sa première mouture, le texte prévoyait de donner aux présidents d'université la possibilité de "moduler" le "temps de service" des personnels entre enseignement, recherche et tâches administratives.
L'article met ici le doigt sur un aspect fondamental du texte et de ses aspirations secrètes, que tout contribuable doit partager: la recherche coûte cher, les chercheurs sont d'authentiques Picsou, et la réponse du gouvernement est clairement affichée.
Il s'agit, on l'aura compris de ménager le budget de l'Etat en demandant aux chercheurs d'enseigner, de chercher (et donc de trouver), d'administrer, ainsi que d'assurer quelques heures de ménage. Certains d'entre nous en effet, cherchent davantage, d'autres enseignent davantage, d'autres administrent davantage, et tous ces aspects sont nobles et respectables, si ce n'était une minorité de grosses feignasses (toute la corporation) qui font des miettes en engloutissant le Pan Bagnat préempté à la cafet' et qu'il convient de châtier en leur imposant de nettoyer les toilettes.
Cela m'a toujours frappé que s'impose progressivement l'évidence qu'un enseignant-chercheur, qui n'est déjà pas exactement dépourvu de préoccupations, se voie exiger d'exercer des tâches administratives (à Neverland, on parle de 40% enseignement, 40% recherche et 20% administration comme intégrant normalement le travail du corps enseignant). Bien sûr, administrer veut dire : occuper des fonctions de responsabilité ou de représentation, mais aussi, de plus en plus, gérer ses horaires, ses polycopiés, s'occuper des publications, de la valorisation, de la mise en place des projets, de leur défense face aux conseils et commissions, gérer les échanges internationaux, mettre en place les bourses et mobilités étudiantes, organiser les recrutements, etc.) Pourquoi pas. Il est bien normal, l'Etat mettant à notre disposition des locaux, que nous passions un petit coup d'éponge et d'aspirateur dans nos bureaux et laissions les toilettes dans l'état où nous les avons trouvées (ceci est affiché un peu partout à Neverland).
Ce faisant, nous obtenons deux choses:
1) l'équité sociale - il n'y a pas de raison que ce soit une autre catégorie de personnel qui nettoie nos cochonneries -
et 2) une réduction drastique de la masse salariale de l'Université, enfin dispensée de recruter du personnel IATOS (technique, administratif).
Je pourrais profiter de mes heures de cours (où je déambule, rêveur, une écharpe flottant à mes épaules) pour réparer quelque chaise, ou quelque volet mécanique, bloqué depuis l'hiver 1972. Avec ma craie, mon feutre pour tableau blanc, mon ordinateur et mes câbles, j'emporterai aussi une petite boîte à outils.
Mais nous pourrions aller un peu plus loin: durant les semaines interlopes de la pré-rentrée (autrefois en octobre, puis en septembre, aujourd'hui en août), les chercheurs pourraient contribuer aux vendanges, dans leur Académie d'appartenance : qui en Touraine, qui dans le Bordelais. Nous parviendrions ainsi à imposer la Révolution Culturelle par le haut, et tout le monde serait content, du Président aux maoïstes qu'il dénonce.
Et vous, chers collègues, qu'envisagez-vous d'accomplir en plus de la recherche, de l'enseignement et des tâches administratives?
En ce qui me concerne, je pense avoir un bel avenir dans la plomberie. Avec une ou deux heures de formation, je pourrais également me lancer dans l'électricité. Pour finir, je me débrouille plutôt bien en ménage, et je suis devenue une bonne dactylographe.
Rédigé par : Narayan | dimanche 01 fév 2009 à 11:06
Bravo Narayan, la France a besoin d'enseignants-chercheurs-bricoleurs-administrateurs-dactylographes comme toi!
By the way, je te suis reconnaissant d'avoir renoncé à ta classification rive droite/rive gauche discriminatoire pour les anthropopotames.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 01 fév 2009 à 11:52
Mon cher Anthropopotame,
Quoiqu'il puisse légitimement se concevoir que notre ami Gérard B. provoque votre agacement, ma charge d'avocate-justicière masquée m'impose néanmoins d'accourir à sa rescousse et de vous présenter sa défense, dussé-je pour cela encourir votre couroux.
Gérard B. - tout ennuyeux et prévisible qu'il soit - n'est en effet que l'innocente victime d'une idée -hélas- largement répandue parmi nos concitoyens, et dont il résulte que les chercheurs seraient susceptibles de trouver, sans, pour autant, avoir rien dû chercher.
Or - et ce n'est certes pas à vous que je l'apprends - si l'on ne trouve pas toujours ce que l'on cherche, l'on trouve rarement ce que l'on n'a jamais cherché.
Avançons une explication.
"Nous n'avons pas besoin de chercheurs - énonce doctement notre interlocuteur - nous avons besoin de trouveurs".
Je ne reviens pas sur l'aimable plaisanterie, tout entière située dans la fine opposition née de la confrontation des termes "chercher" / "trouver", déjà mise en lumière par vos soins.
C'est très drôle, il fallait le souligner, vous l'avez fait. Brisons-là.
Ce trait d'esprit cache néanmoins la très réelle représentation que se fait Gérard B. de l'idée même d'une "recherche".
Dans le terme "recherche", entend-il par-dessus tout l'injonction suivante : "cherche". Or, on ne cherche que ce qui pré-existe, ce qui est déjà là, déjà donné presque, mais que l'on ne sait pas voir, ou plutôt, pas encore voir.
Ainsi toute recherche est-elle déjà, par nature, tout autant le signe d'une ignorance que celui d'un échec. Celui qui cherche, par définition, n'a encore rien trouvé de ce qui lui est pourtant "toujours déjà" donné (comme disent les philosophes).
"Trouver", par contre, ah, c'est autre chose. Trouver - surtout sans l'avoir cherché - est la marque du génie, de la chance et du talent réunis.
Archimède, sorti de l'eau avec la vérité qu'il y découvrit. Newton, illuminé d'une découverte qui tenait pourtant dans sa main. Papin, émerveillé par une observation faite par des générations de cuisinières avant lui...
Voilà, sans doute, ceux à qui Gérard B. pense lorsqu'il regrette à voix haute la prédominance d'une recherche, qu'il craint par avance infructueuse, sur "la trouvette" (je reprends votre trouvaille sémantique), dont il ne voit que les avantages.
Ce qu'il ignore - et ce qu'il faut lui pardonner d'ignorer - c'est donc ce que vous et moi savons parfaitement : seul celui qui comprend ce qu'il trouve, pour l'avoir cherché longtemps, connait ce qu'il a trouvé.
Combien d'hommes et de femmes, plongés dans leur bain, ont pu constater qu'ils y flottaient agréablement ? Combien de bergers et de bergères, attentifs à veiller aux troupeaux, ont vu de pommes choir sur la terre ? Combien de cuisiniers et cuisinières ont vu frémir le couvercle sur la soupe du soir, qui chauffait dans l'âtre ?
Et qu'ont-ils donc trouvé ? Le principe d'archimède ? La loi de la gravition ? La force de la vapeur ? Rien de tout cela, hélas, et pourtant tout cela à la fois.
Trouver, sans avoir cherché, ce n'est pas trouver.
Car ce n'est pas trouver que de constater.
Ce n'est pas même trouver que de savoir.
Trouver, c'est comprendre que l'on a trouvé ;
Et comprendre que l'on a trouvé, c'est avoir compris ce que l'on cherchait.
Ainsi donc ne trouve t-on jamais que ce que l'on a voulu chercher.
La Science toute entière est donc l'histoire d'une éternelle recherche qui n'est pas celle d'une vérité, mais bien plutôt celle de son écrin, c'est-à-dire le contexte propice à sa compréhension.
Ce contexte - riche d'idées vraies et d'idées fausses, d'hypothèses et d'erreurs, de théories et d'expériences - est continuellement produit par tout chercheur qui cherche, et se contente de chercher.
Et le dernier chercheur, celui qui trouve enfin, est l'héritier de générations de chercheurs, qui cherchant sans trouver, lui permirent pourtant de comprendre qu'il trouvait ce qu'ils avaient tous cherché.
Rédigé par : Fantômette | dimanche 01 fév 2009 à 17:40
Enfin, vous revoilà, Fantômette! Ce blog allait à vau-l'eau, vous le redressez d'un simple commentaire! Vous parlez certainement mieux que moi du travail du chercheur, qui vu de l'extérieur se limite à aller se faire un café (ou aller à la machine à café). Votre défense de Gérard B. est convaincante, bien qu'elle jongle avec les pommes de Newton et les satellites de Galilée. Nous ne défilerons donc pas demain, réclamant la tête de Gérard B. fichée sur un faisceau de nanoparticules.
Quant à votre image du "dernier chercheur" - dérivée, je le suppose, d'un ouvrage de SF - elle est belle et émouvante. J'imagine le dernier chercheur, arpentant une planète dévastée, dernier représentant de l'espèce humaine. Sans doute tiendra-t-il, dans ses mains frémissantes, l'ultime appel d'offres de l'ANR, opportunément intitulé: "Cherchez la femme".
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 01 fév 2009 à 18:12
En fait, anthropopotame, j'avais imaginé un dernier appel d'offres de l'ANR intitulé "cherchez la sortie de secours".
Mais votre idée est la meilleure.
Je m'incline.
Rédigé par : Fantômette | dimanche 01 fév 2009 à 18:28