Quasiment sur le départ, je me balade intensément. Hier, assis sur la plage au crépuscule, j'ai regardé longtemps un immense navire de croisière illuminé qui longeait Copacabana avant de virer de bord et de voguer vers l'Uruguay. Spectacle que je n'oublierai jamais, qui redonne toute sa poésie aux voyages, abîmés par les débarquements d'aéroports, les tapis de bagages et la morosité des files d'attente de taxi.
Un mot sur Aline:
C'est une bande-dessinée un peu grossière dans le trait, qui relate en trois vignettes par épisode les aléas d'Aline et ses deux amoureux, Otto et Pedro. Aline a deux amants et travaille dans un magasin de disques vinyles afin de pourvoir aux besoins du foyer, la couverture sociale du ménage à trois. La Globo a racheté les droits de la série et en a fait un petit bijou d'humour postmoderne, par le personnage d'Aline, à croquer, ceux de ses parents à deux doigts de se séparer, ceux des propriétaires du magasin de disques, et les deux amoureux d'Aline qui en sont dépendants. Les scènes se déroulent à São Paulo, dans une atmosphère un peu grunge, décalée, la caméra suit les expressions d'Aline, la musique colle aux scènes sans chercher à simplement les souligner... Je trouve assez miraculeux d'assister à ce genre de productions sur la Globo, mais je suppose que, comme partout ailleurs, les séries ayant un minimum de fond et de recherche esthétique emmerdent le public moyen, ce qui explique leur relégation en troisième partie de soirée.
Un autre mot, cette fois sur Geisy:
La presse internationale en a parlé: Geisy est cette étudiante de l'Uniban, une faculté privée de São Paulo, qui s'est présentée en cours en robe moulante, et a dû ressortir sous la protection de la police.
Les images font frémir: elle monte d'abord la rampe de l'immense hall d'entrée. On l'interpelle, on lui plaque des téléphones portables sur le visage et sur les cuisses, pour prendre des photos. Les hommes lui lancent des "viens que je te viole". Quand elle arrive en salle de cours, ils sont plusieurs dizaines, hommes et femmes, à se presser; certains escaladent le mur pour regarder par les panneaux vitrés. D'autres donnent des coups de pied dans la porte. Le tout dans le tumulte et les insultes. La police finit par surgir, et fait sortir la jeune femme sous escorte, recouverte de blouses blanches, cependant que le hall entier résonne d'un cri: "Puta! Puta!" On sent, de manière palpable, que si cette jeune femme n'avait pas été protégée d'une manière ou d'une autre, elle aurait fini clouée au sol, déshabillée, rouée de coup à défaut d'être violée.
L'Uniban a commencé par renvoyer cette jeune femme peu maligne - deux cents étudiants ayant participé à l'émeute, c'eût été faire faillite que de les renvoyer tous. Elle a été finalement réintégrée, et son histoire ne cesse d'être diffusée, par toutes les chaînes et par tous les programmes de société. La condamnation est unanime.
Ce que je trouve frappant, c'est qu'on ne peut pas expliquer, rationnellement ou psychologiquement, la violence qui s'est manifestée ici. On imagine que c'est la même qui surgit lorsqu'il y a un lynchage, mais un lynchage survient après une forme de traumatisme. Philippe trouve là une forme archaîque de résolution collective, qu'on observe également chez les chimpanzés. Un malaise diffus soudain trouve à s'exprimer, par la désignation d'un bouc émissaire. Ces explications me laissent perplexe, mais je n'ai rien de mieux à proposer.
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