26 septembre
Heureusement, quel que soit le bonheur qu’on éprouve, le destin place toujours à quelque coin de la maison un voisin chicaneur.
Notre jardin fait un hectare. Les arbres sont centenaires, le fouillis y est la règle. A l’extrémité ouest, sous des pins maritimes de quarante mètres de haut, un jeune couple a fait construire une maison. Et depuis, chaque fois que je m’aventure à cette extrémité-là, ce ne sont que réclamations : couper les branches de châtaigner (les châtaignes bouchent sa gouttière), tailler les ronces (risque d’éborgner les petits nenfants, ou de provoquer leur engloutissement par une vipère). Je m’y prêtais volontiers autrefois, soucieux de bonnes relations, jusqu’à ce que j’entende un jour ce voisin me traiter de connard parce qu’une branche tombée avait abîmé sa clôture.
Hier donc, tandis que je me pliais sagement à ses injonctions (couper les ronces deux fois par an), je le découvre se tenant de l’autre côté de sa clôture, manifestement plein de rage rentrée. Sans doute devait-il couver cette rage depuis longtemps pour qu’elle soit ainsi prête à affleurer dès que j’arrive à proximité. Je lui fais aimablement observer que je prends soin de ses petits nenfants en taillant les ronces. Et voilà que volubile il m’expose tous les motifs de son indignation :
« Vous vous rendez compte que VOS feuilles tombent sur ma pelouse ? VOS châtaignes bouchent ma gouttière ! Mes enfants ne peuvent pas marcher pieds nus à cause des châtaignes (en plein hiver) Vous vous rendez compte qu’à cause de vous JE NE PEUX PAS TONDRE MON GAZON ! »
Je lui fais observer que « mes » feuilles disparaissent au printemps, décomposées, et alimentent son gazon. Que les branches qu’il dénonce surplombent sa pelouse sur une distance de vingt à trente centimètres, et que les arbres étant anciens, il n’est pas question d’y toucher. Que je vis à Paris et que j’ai autre chose à faire que de passer mon temps à obéir à ses injonctions.
Vient alors le discours portant sur le code rural, et tous les droits qu’il octroie aux détenteurs de pelouse sourcilleux. « Je prendrai toutes les dispositions nécessaires pour vous enjoindre de respecter la loi ». « Retournez à Paris et ne venez pas nous pourrir la vie. Vous êtes Parisien, alors restez-y ! » « Je paie mes impôts ici, moi, j’ai des droits, je participe à la vie locale ! ».
Il me parle et j’essaye de déchiffrer son visage. Il n’a pas trente ans, ou tout juste. Il est plein de colère rentrée. Tout à mon bonheur je ne sais que lui répondre : « Faites, si vous avez du temps à perdre » ; « et votre étendoir à linge, pensez-vous qu’il soit normal qu’il gâche la vue ? » Mais je me tais. Je me demande seulement comment moi-même j’ai pu être bouleversé par des vétilles (merci Beljame), écumer pour des motifs équivalant à trois feuilles tombées. Quel malheur ou quelle insatisfaction peut-elle bien ronger ce jeune homme, pour qu’il ne puisse me voir sans m’agonir de reproches, plutôt que de me demander simplement, aimablement, de bien vouloir tailler ces quelques branches de châtaignier ?
Allez allez, sa femme le trompe peut-être, ou il vient de perdre son boulot, ou un de ses enfants a une maladie grave... C'est ce que j'essaye de me dire quand quelqu'un conduit comme un fou, ou m'insulte à une réunion, ou m'engueule pour un rien... Et souvent ce n'est pas le cas mais parfois c'est vrai...
Rédigé par : Dr. CaSo | dimanche 26 sep 2010 à 19:10
ce post me parle énormément vu que je suis la voisine chiante qui demande à sa voisine d'élaguer ses arbres ...
j'ai commencé par proposer de participer à l'élagage (financièrement s'entend) car il est tout à fait clair que le chêne était présent avant nos deux maisons, et que pas de chance pour elle il est sur son terrain. Cela dit, tous les autres arbres ne sont pas loin de là centenaires et dépassent allègrement sur notre terrain, venant sur le toit de la maison ... et bouchant la gouttière. Les feuilles, je m'en fous à la limite (c'est juste gavant de passer plus de temps à nettoyer la partie du jardin où nous ne sommes jamais puisque la végétation est étouffée par les arbres et abustes de la voisine), que le reste du terrain. Ce qui m'énerve c'est qu'en étant a priori plutôt conciliante, ma demande l'ai fait marré. Deux mois plus tard, et plusieurs demandes jamais entendues ... j'en suis à citer le code civil en recommandé.
Franchement, je m'en passerai ....
Donc bon, je ne sais trop quoi te dire. Coupe tes branches ou passe par un élagueur c'est plus efficace sur le long terme, et laisse tomber, de toutes façons, il a clairement le droit de son côté.
Rédigé par : Narayan | dimanche 26 sep 2010 à 21:23
Moi je ne dis qu'une chose : cherchez la femme.
Et j'en dis quand même une autre : ce billet d'un ami te plaira sûrement : http://floraurbana.blogspot.com/2010/09/place-la-nature.html
Rédigé par : Dodinette | lundi 27 sep 2010 à 04:19
Non mais faut que j'en dise une troisième : c'est fou quand même ce besoin de contrôle absolu. À croire que son jardin est la seule chose qu'il est encore capable de contrôler ? On sème du gazon (ou plutôt on étend des rouleaux de tourbe, le travail est fait par les autres) de la même manière qu'on coule du béton : faut qu'ça soit propre, net, pas ambigu, facile à entretenir.
En un mot : emmerdant à mourir. Ses enfants, il devrait les laisser gambader dans un sous-bois et s'y construire des cabanes, et il comprendrait tout de suite le potentiel d'un bordel naturalisé.
Rédigé par : Dodinette | lundi 27 sep 2010 à 04:22
@CaSo, c'est aussi ce que je pense: cherchez la femme...
@Narayan, oui, mais l'as-tu traitée de connasse à un moment ou à un autre de la procédure?
@ Dodinette, nous sommes bien d'accord: fondons une association "Liberté pour les arbres!"
Rédigé par : anthropopotame | lundi 27 sep 2010 à 08:23
ben non je ne la traite pas de connasse (même dans mon salon). Ce qui m'énerve c'est que visiblement elle se fout de moi (donc l'image miroir de ton problème) bien que j'ai dès le premier jour joué la carte de la conciliation. Du coup, c'est vrai que j'ai fini par passer au RAR et que l'histoire risque de se terminer devant un tribunal (histoire de les engorger un peu plus) alors que franchement un peu d'effort de sa part aurait résolu le problème.
Et puis je ne te raconte pas l'ambiance de voisinage parce que les terrains en banlieue parisienne ne font pas vraiment un hectare ....
Rédigé par : Narayan | lundi 27 sep 2010 à 10:56
Tiens mon propre commentaire a disparu! Je disais donc, Narayan, que je me serais volontiers plié à tous ses caprices s'il ne m'avait pas traité de c......d et enjoint de retourner à Paris.
Rédigé par : anthropopotame | lundi 27 sep 2010 à 15:01
Le voisinage ne vous trouble plus, j'espère, mais tardivement je réponds à la "spéciale dédicace" qui me laisse un peu dubitative (c'est trop, vraiment, je n'en ferai rien) et qui m'oblige donc à remettre les pendules à l'heure. D'autant plus que la thématique est parfaite:c'est à l'occasion d'une grosse colère que vous m'avez sauvée.
A la réflexion, mes plus grosses colères n'ont rien à voir avec le sexe opposé, ni bien sûr avec des vétilles, mais avec un grand sentiment d'impuissance (j'ai mis des lustres à trouver le mot, sans doute le sentiment m'est-t-il à ce point insupportable). Mais je suis grande, je tente une vague maîtrise, cette lutte m'épuise, et je jubilerais alors certainement à l'idée d'un bouc émissaire.
J'étais à peu près dans cet état samedi. Le téléphone sonne, ce n'est pas un voisin mais une amie, je dois donc maintenir le contrôle. On frappe à la porte, c'est bien un voisin mais ami, rebelote. Me voilà donc lessivée, les larmes aux yeux : encore un symptôme de cette impuissance, doublée d'un "à quoi bon?".
C'est là qu'à votre insu vous intervenez, puisque je découvre "succès reproductif". Mon fils me demande "pourquoi tu ris?", je réitère donc cette lecture à haute voix. La deuxième fois, ça fait le même effet. Whaou ! Un bien fou ! Je vous suis donc supérieurement redevable.
Je pense qu'il faut faire rire votre voisin : à la prochaine altercation, tentez un plaquage ( le mieux serait de le réussir) et une séance de chatouilles : en toute logique, la colère devrait disparaître. Vous nous raconterez?
Et surtout, n'hésitez pas à continuer de nager dans le bonheur.
Rédigé par : beljame | lundi 27 sep 2010 à 22:51
merci, beljame, pour ce témoignage bouleversant concernant les vertus d'anthropopotame ;) je me demande pourquoi ce sentiment d'impuissance? La prochaine fois, sans doute, "succès reproductif" ne vous fera plus d'effet. Je vous laisserai un jour les clés du blog et vous nous raconterez tout.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 28 sep 2010 à 06:23
C'est possible, Bejame, "un voisin mais ami" ?!
Pour ma part, j'ai toujours cordialement détesté mes voisins...
Rédigé par : Bardamu | mardi 28 sep 2010 à 14:15
C'est sans doute qu'il était mon ami avant d'être mon voisin. Il en est d'ailleurs un tout à fait fréquentable. Donc, hors ces conditions incroyables, ce n'est peut-être pas possible.
Rédigé par : beljame | mardi 28 sep 2010 à 18:47
Beljame, ne prêtez pas attention à mon lecteur Bardamu, il essaye d'attirer la couverture à lui. C'est un misanthrope, il n'est guère fréquentable, je le laisse s'exprimer ici mais je censure un commentaire sur deux. Moi j'aime énormément mes voisins parisiens, je m'entends fort bien avec eux, et je pense (puisque ce blog est un espace de discussion et d'échange) que vous avez bien fait de ne pas passer vos nerfs sur votre ami de palier.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 29 sep 2010 à 08:28
Concernant Bardamu, ne vous inquiétez pas, je ne suis pas née de la dernière pluie, j'ai bien compris son manège.
Vous êtes si prévenant...
Rédigé par : beljame | mercredi 29 sep 2010 à 20:30
Il suffit Anthropopotame ! Mon ombre est à ce point encombrante qu'il vous faut imaginer une censure à mes précieuses missives - censure qui n'est pour l'instant que fantasmée - ? J'assume parfaitement ma misanthropie : un bon voisin est un voisin absent (préférence pour les appartements vides). Un jour viendra où je quitterai ces lieux pour fonder mon repère d'ennemis de l'humanité, vous avez de la chance que je n'en ai guère le loisir...
Mais me déniez-vous le droit de jouer avec vos aimables lectrices ?
J'en profite pour renoncer à ma défense de la corrida, un collègue de la rue d'Ulm vient de faire paraître un petit livre affligeant qui tente de la justifier moralement.
Rédigé par : Bardamu | vendredi 01 oct 2010 à 01:55
Bardamu, vous savez bien que je veille jalousement sur mes lectrices, sans doute influencé en cela par la fréquentation de Basilic.
Quant au petit bouquin sur la corrida, quelle est la référence? On va s'en occuper :)
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 01 oct 2010 à 06:10
C'est de Francis Wolff (antiquisant), 50 raisons de défendre la corrida, éditions Mille et une nuit - une petite centaine de pages pour un prix modique. Je viens de voir qu'il avait également commis une "philosophie de la corrida" mais si c'est du même acabit ça ne vaut pas le coup.
Il est des moments où on peut regretter que les philosophes de profession se jettent ainsi dans l'arène médiatique, les colloques ont sans doute beaucoup de bon !
Rédigé par : Bardamu | dimanche 03 oct 2010 à 17:51