C'est un dur métier que d'être dictateur, surtout quand existe une opposition.
Or, contrairement à ce qui se passe dans nombre de pays asiatiques, l'Université ne met à ma disposition aucun moyen, aucun instrument pour museler mes opposants, rien qui me permette d'user de coercition. Je suis donc obligé de composer, peser mes mots, expliquer mes décisions, mais la lecture entre les lignes est tellement développée chez les universitaires que quelles que soient mes déclarations de bonne volonté on y découvre toujours quelque sous-entendu.
Si je déclare, par exemple, que je suis un dictateur gentil, qui consulte les collègues avant de réattribuer les cours, on ne me répond pas sur la question des cours, mais sur celle de savoir si je ne serais pas plutôt un dictateur méchant. Comment voulez-vous gouverner après cela? Même ma secrétaire préférée vote contre moi au Conseil d'UFR, puis m'écrit que cela lui fut un tourment, mais qu'elle craint que je ne crée de nouveaux conflits au sein du département.
J'ai donc écrit un message d'apaisement pour exposer clairement ma position: renforcer la recherche, diminuer l'investissement dans la préparation du Capes. Aussitôt cette secrétaire me remercie pour mon geste. Et je songe: pourquoi se fatiguer à invoquer la dictature, quand il me suffit d'instaurer un nouveau régime, celui de démocratie non participative?
A la vérité ce régime existe depuis longtemps. La démocratie est bonne fille: on en fait ce que l'on veut. J'ai si souvent été mis en minorité que je connais tous les trucs et astuces pour décider d'avance les résultats d'un vote - et je ne parle des AG où l'on raille les orateurs, mais bien des réunions des différents conseils. J'ai voulu en finir avec ce système et j'ai aussitôt été mis en minorité.
Imaginons que je veuille faire adopter une mesure d'urgence: je puis écrire aux collègues en leur proposant trois dates à très brève échéance. Bien évidemment fort peu parviendront à se libérer. Je n'aurais plus qu'à choisir la date et l'heure où figureront mes partisans, et hop, ma mesure est adoptée. Il n'y a pas, au département, de système de procuration ni de quorum, allons-y gaiement.
Autre astuce, observée au Conseil d'UFR: le Doyen ne veut pas voir adopter de mesures aménagées pour nos étudiants de Master Recherche. Pour ce faire, il lit à haute voix la revendication des Masters concours, qui plutôt que de songer à eux-mêmes préfèrent torpiller la requête et pourrir la vie de leurs camarades. Nous avons répondu point par point et collectivement par une lettre adressée au Conseil d'UFR, mais le Doyen se dispense de la lire. La requête est rejetée.
Dernière méthode, plus subtile: il s'agit de faire voter un point crucial pour un collègue, mais secondaire aux yeux des autres. On attend la fin de la réunion, quand l'attention devient flottante. Si l'on veut voir adopter le point en question, il suffit de commencer par: "qui vote contre?" - c'est la procédure normale. Aucune main ne se lève car il est l'heure d'aller chercher les enfants à l'école. On peut alors poursuivre ou tenir pour implicite ce qui suit: "qui s'abstient? Personne? La mesure est adoptée." Mais si on veut voir rejeter le point en question, il suffit de commencer par "Qui vote pour?" Aucune main ne se lève pour les raisons exposées plus haut. On peut alors adopter une mine contrite et déclarer que la demande est rejetée.
Ce système-là, qui a permis à une minorité de collègues d'imposer leurs décisions, en muselant leurs opposants tout en invoquant la déesse Démocratie, je le connais et je l'abhorre.
Je comprends rien.
Si t'es dictateur-en-chef, pourquoi y'a un vote?
Mais bon j'ai peut-etre rien piger. Soit. Disons que y'a vote.
Mais alors...
Si t'es dictateur-en-chef, comment tu peux etre mis en minorite?
C'est n'importe quoi!
Rédigé par : Le Piou | samedi 16 oct 2010 à 07:17
Attends, ami Piou, je m'explique:
Je veux être dictateur en chef, mais je n'ai pas les moyens de l'être. Pour compenser, j'essaye d'être un parfait démocrate, et dénonce les dérives non-démocratiques, en proclamant: "mais moi, je ne fais pas ça, moi je ne suis pas comme cela!"
Donc, en me faisant passer pour un dictateur, j'insinue subtilement qu'en réalité je le fais par amour de la collégialité.
Rédigé par : anthropopotame | samedi 16 oct 2010 à 09:43