Je suis dans le train avec mon père. Il est parkinsonien, je l'emmène à la campagne, et ces voyages sont une épreuve pour lui. Le compartiment est à moitié vide, mais un groupe de quatre jeunes sème le trouble. Ils fument devant les toilettes, n'ont pas de billet: le contrôleur, tout seul, cherche à argumenter mais finit par renoncer. Ils voyagent donc gratuitement et fument en paix.
Une fois assis, ils mettent de la musique à plein volume, hauts-parleurs connectés à leur i-Pod. Je me lève et leur demande de baisser le son. C'est alors une flambée de "Tu nous respectes, d'abord! Du respect!" J'ai le choix entre leur foutre un poing dans la gueule, casser leur i-Pod, ou retourner m'asseoir. S'il m'arrive quelque chose, mon père est fichu, égaré, et je renonce, moi aussi.
D'autres passager se lèvent et leur demandent à leur tour de baisser. Rien à faire. Nous supportons cela durant toute l'heure que dure le voyage.
De renoncement en renoncement ces jeunes se sont appropriés l'espace sonore.
Or je lisais il y a trois jours dans le Monde un entretien sur la question des banlieues difficiles, où les jeunes, dit-on, forment 30% de la population, et ne reconnaissent plus d'autorité sinon celle de jeunes à peine moins jeunes qu'eux. Les adultes ont renoncé, et leurs propres enfants occupent l'espace public, font régner, à leur goût, l'ordre et le désordre.
Les causes sont multiples, disait le sociologue. L'architecture mise en oeuvre dans ces banlieues; des populations d'immigration récente, dont les enfants parlent mieux le français qu'eux, maîtrisent davantage les codes sociaux; des écoles où n'exercent que des professeurs frais émoulus des concours, dépourvus d'expérience et d'autorité; une absence de perspectives économiques, qui restreint l'horizon au court terme; une militarisation des moyens policiers, qui a favorisé les liens des bandes et leur a permis de s'organiser...
L'impuissance que l'on éprouve face à ce phénomène montre à quel point notre structure sociale est fragile. Il suffit de voir comment Mai 68 a permis, presque sans coup férir, à une population dans la force de l'âge de renverser les vieux qui gouvernaient, à la tête de l'Etat comme à l'Université. Il nous paraît normal, aujourd'hui, de voir des mandarins affaiblis et des générations montantes qui prennent leur place. Ces générations montantes, dont mes parents font partie et dont j'ai hérité, ont maintenu l'infrastructure de base qui est l'école, où la jeunesse est domestiquée, canalisée, apprend à s'insérer dans la continuité de notre histoire.
Mais imaginons à présent un épisode révolutionnaire: les jeunes prennent le pouvoir. Ce qui n'était qu'un phénomène localisé devient la règle nationale. Ils cessent d'aller à l'école, ou bien l'école devient pour eux une agence de moyens où ils apprennent à maîtriser les outils informatiques et ou des professeurs asservis doivent jouer les guides lors de voyages scolaires. Voilà les jeunes lâchés dans la ville: les terrasses de café résonnent de leurs histoires sans fin, des sonneries de leurs portables. Ils partent sans payer mais personne n'ose les retenir.
On a tellement humilié leurs parents que ceux-ci sont devenus esclaves de leur progéniture. Les pères ont été expulsés. Les grands-pères ont été déplacés au nom de la mixité sociale et de la lutte contre le communautarisme. Seule persiste, vaguement, l'autorité des imams, et du Coran dont ils ne comprennent pas la première ligne, mais qui est pour eux une arme: ils pourront toujours crier à l'irrespect s'ils se voient acculés. Et cela n'a aucun rapport avec une origine arabe: ils peuvent être Français, Maliens, Polonais ou Portugais, le Coran incarnant simplement ce qu'il y a de plus éloigné des valeurs dominantes dans notre monde à nous.
Gueuler fort, incommoder les gens, commettre toute sorte d'incivilités, casser un abribus à l'abri des regards, tout cela pris ensemble ne constitue pas un délit. C'est donc une révolution sourde à laquelle nous assistons. Nous produisons des étrangers à la société que nous avons construite et à laquelle nous appartenons. Il ne s'agit pas d'un défaut d'assimilation, mais d'un effet contraire: de l'assimilation surgit une entité nouvelle. Nous voyons émerger une classe sociale qui devient ethnie, groupe, nation, qui estime ne rien devoir à personne, et face à laquelle tous les pouvoirs de l'Etat (éducation, police, justice) se révèlent impuissants.
Une société est fragile. Castoriadis disait, dans l'Institution imaginaire de la Société, qu'elle était d'abord "le tenir ensemble d'un monde de représentations". A ce titre, il me semble que notre société est aujourd'hui divisée. Elle ne tient debout que parce que la fraction "jeune" n'est majoritaire que très localement. Mais qu'elle occupe le quart de la population d'un compartiment de train Corail, et voilà que l'on expérimente ce qu'est le pouvoir de la violence verbale, de l'irrespect, de l'incurie, comme un avant-goût de ce qui nous attend si on laisse s'emballer la machine.
Il m'a semblé entendre des millions de voix demander récemment quelque chose de légitime au plus puissants des vieux cons en France, bon, le résultat est plus que mitigé ... le péril jeune ... pfff ...
Rédigé par : nonos | dimanche 31 oct 2010 à 08:48
"quelque chose de légitime"? C'est-à-dire?
Quand vous aurez fait l'effort de comprendre ce que je viens d'écrire, plutôt que de le ponctuer par un "pff" que vous eussiez aussi bien fait de garder pour vous, je ferai l'effort de vous répondre. Peut-être.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 31 oct 2010 à 09:04
Le péril jeune, c'est vieux comme le monde, non ? On dirait les propos attribués par Platon à Socrate aux pages (§) 562-563 de La République, sur l'excès de liberté dans les démocraties :
Οἷον, ἔφην, πατέρα μὲν ἐθίζεσθαι παιδὶ ὅμοιον γίγνεσθαι καὶ φοβεῖσθαι τοὺς
ὑεῖς, ὑὸν δὲ πατρί, καὶ μήτε αἰσχύνεσθαι μήτε δεδιέναι τοὺς γονέας, ἵνα δὴ ἐλεύθερος ᾖ...
Rédigé par : Jean-Michel | dimanche 31 oct 2010 à 11:36
"Mais vous enseignez à l'université et n'avez affaire qu'à un public consentant à votre enseignement, et commettez par conséquent, il me semble, une erreur de perspective sur le comportement desdits "jeunes", trop différents de ceux que vous côtoyez.
C'est au contraire quelque chose que l'on ressent fort bien devant une classe de lycée - leur besoin de s'opposer, et il leur [i]faut[/i] une autorité pour cela.. Je ne suis pas un professeur ni particulièrement réactionnaire, ni particulièrement porté sur la discipline. Pourtant, lorsque je suis devant une classe dite "difficile", ces jeunes gens ont tellement besoin que je sois un gendarme, que je sois un kapo, qu'ils me provoqueront jusqu'à ce que je sois forcée d'avoir l'attitude qu'ils attendent : autoritaire, punitive. C'est une sorte de jeu sado-masochiste. Ils n'ont été éduqués à rien d'autre : l'adulte, le majeur, le prof, le flic, est nécessairement leur ennemi, ils se doivent d'être en opposition par rapport à lui, et attendent de lui qu'il soit en opposition par rapport à eux. Tout autre comportement les déroute. Ils n'ont rien appris d'autre. Lorsque je deviens autoritaire, c'est extrêmement troublant : cela les rassure, cela les apaise visiblement. Ils aiment cette autorité dont ils ont fondamentalement besoin pour se définir, pour s'opposer à elle. Ils ont besoin que je sois dictateur pour pouvoir se construire une liberté dans un combat contre ma dictature : nourris dès le biberon à des slogans parapolitiques ou publicitaires leur serinant que la jeunesse est ce qui est libre, ils cherchent à qui s'opposer pour manifester qu'ils sont bien ce que l'on attend d'eux - jeunes, libres (ces jeunes gens, rappelons-le, ne sont pas du tout en-dehors de la société, ils sont une importante cible marketting, ils participent pleinement à son fonctionnement économique, et sont en cela tout sauf facteur de chaos). Les attentes exprimées par le discours social vis-à-vis d'eux ne sont-elles pas contradictoires ? Ne leur demandons-nous pas à la fois d'"être eux-mêmes" et de rester sagement immobiles et attentifs sur une chaise huit heures par jour ?
Et pourtant ces gamins, ou jeunes adultes, n'ont pas un mauvais fond - quand on gratte un peu, de l'humour, de la curiosité, de la créativité, la possibilité d'une compréhension mutuelle. Je reste persuadée qu'il est possible d'éduquer les jeunes gens autrement, mais je les rencontre après plus de dix ans dans une institution scolaire largement conçue comme carcérale, le plis est pris. Pour l'instant je n'ai pas encore trouvé le moyen de le défaire.
Alors voilà : vous avez donc une génération de jeunes gens habitués à être soumis à une génération d'adultes extrêmement nombreux et puissants qui tiennent avec assurance toutes les places de pouvoir de la société, avec leur santé et leur arrogante longévité. Leur place de jeunes gens, ils l'ont expérimenté toute leur courte existence, est de ne pas avoir de place. Les flics, leurs profs, les adultes légalistes du wagon de train sont pour eux la même figure : une incarnation de cette autorité à laquelle ils ont appris que leur devoir, leur rôle de "jeunes" était de s'opposer constamment. Ils ont besoins de vieux cons, réels ou fantasmés.
Votre erreur, autrement dit, est de penser que ces jeunes gens sont ainsi - grossiers, bruyants, irrespectueux, violents - dans l'absolu. Je ne suis pas là pour les excuser, je suis également très sensible à leur injustice, à leur refus de la pensée, à la violence percussive de leur musique et à la puanteur de leurs clopes. Mais ce serait une erreur de penser qu'une société dominée par ces jeunes gens serait une société ressemblant, en pire, à leur comportement au sein d'une société où ils sont perpétuellement soumis. Ce serait une erreur de négliger le rôle de la structure sociale dans laquelle ils occupent une fonction bien définie. Ils ne sont ainsi que parce que vous êtes là et qu'ils ont appris ce que vous représentez - ce n'est pas à vous que j'apprendrai que le regard de l'observateur modifie ce qu'il observe. Ils vivent dans la soumission et l'irresponsabilité. Laissez-les au pouvoir, donnez-leur des responsabilités, ils deviendront, hélas, plus légalistes et réactionnaires que les plus cons des vieux cons, ils feront exactement ce qu'ils ont appris que l'autorité devait faire (inévitable, ils n'ont appris que cela, et pas à réfléchir) - parce qu'il faut bien que la société fonctionne et que tout le monde mange. N'est-ce pas ainsi que les jeunes générations sont formées depuis des générations - d'abord soumises à l'autorité avant d'en devenir le calque ? Leurs ipods, leurs enceintes crachottantes, leur oisiveté, c'est l'attirail de l'irresponsabilité ; s'ils deviennent l'autorité, il leur faudra bien se nourrir.
Non, rassurez-vous pour votre retraite, la relève est assurée - et relisez donc [i]Les Enfants de Timpelbach[/i]."
Rédigé par : la souris blonde | dimanche 31 oct 2010 à 12:01
Jean-Michel, peux-tu traduire? Je ne comprends que "les pères" "les enfants" "ont peur" "parents", "libres"...
Souris blonde, je décris un phénomène assez nouveau qui est l'occupation de l'espace public et sonore en certains points localisés du territoire, y compris dans les trains, rer, bus et autres moyens de transports. Ce n'est pas un phénomène transitoire du type "jeune con en passe de devenir vieux con", mais l'apparition d'un sous-système social qui ne souhaite ni apprendre ni respecter le système social en vigueur. Or notre système, fondé sur la non violence et la délégation de cette violence aux "forces de l'ordre", montre ici ses limites.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 31 oct 2010 à 12:06
Oui, j'entends bien, mais je dis simplement que si ces jeunes ne souhaitent pas respecter le système social d'ordre en vigueur, c'est parce qu'ils y sont complètement irresponsables, voire que le système social intègre à son propre fonctionnement la définition selon laquelle les jeunes doivent être irrespectueux.
C'est peu souhaitable, c'est vicieux, certes, mais c'est loin d'être un problème "de la jeunesse", c'est un problème beaucoup plus vaste.
Rédigé par : La souris blonde | dimanche 31 oct 2010 à 12:13
Bonjour,
pardon pour mon intervention peu aimable et bien fermée,
j'ai réagis sous le coup d'une petite colère,
mais je tiens à vous indiquer que ces jeunes sont comme vous écrivez dans un état transitoire, et que pour en avoir vu passer quelques milliers dans ma salle de classe, parmi les plus désespérés et désespérants, parmi les plus durs (ou se voulant tels) et pour en avoir recroisé certains par la suite, globalement, je trouve que l'on peut rester optimiste sur ce qu'ils deviennent - en ce sens où cela ne dépareille pas tant que cela avec leurs aînés (nous).
Je réagissais contre ce que j'ai pris pour du défaitisme.
Rédigé par : nonos | dimanche 31 oct 2010 à 12:37
Il y a plusieurs traductions de ce passage, à situer dans son contexte (ce qui précède et qui suit dans le texte) :
En voici une (tout en bas, 562e) :
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/platon_republique_08/lecture/20.htm
En voici une autre :
http://plato-dialogues.org/fr/faq/faq003.htm
Rédigé par : Jean-Michel | dimanche 31 oct 2010 à 14:11
Je place ici la traduction que tu mentionnes (la deuxième) : "Que le père s'accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s'égale à son père et n'a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu'il veut être libre."
@ Nonos et Souris Blonde: j'ai posé un parallèle avec Mai 68 afin, justement, de montrer que cet état n'est pas transitoire. Ces jeunes, certes, finiront par devenir des adultes. Mais le déplacement de l'autorité vers les adolescents, par leur seul pouvoir de nuisance et d'insoumission, n'est pas transitoire.
En mai 68, la France était gouvernée par des vieillards, adoubés par la Résistance (ou la non-collaboration). Ces vieillards étaient transitoires, mais ils succédaient à d'autres vieillards. Après mai 68, l'autorité s'est déplacée vers des quarantenaires, voire des trentenaires. Voyez l'âge moyen des présentateurs de télévision, leur espérance de vie, jusqu'à ce qu'un vent nouveau les balaye à peu près tous, et qu'on écoute les informations sortant de la bouche d'une jeune trentenaire.
Cela signifie, en termes sociologiques, que la "parole autorisée" est passée de la bouche des anciens à celle de leurs enfants.
Ce qui se produit en France, de manière localisée, est un phénomène que je n'ai jamais observé au Brésil, même dans les quartiers les plus pauvres: la prise de pouvoir des adolescents, qui se manifeste par la violence réelle ou symbolique de la logorrhée, du chahut, du respect exclusif de leurs propres codes, aussi rudimentaires soient-ils, par l'absence de considération pour les autres humains, etc.
Si cet état était transitoire, pourquoi se perpétue-t-il depuis vingt ans? Parce qu'il est passé en phase de production et de reproduction sociale.
PS: j'ajoute que l'idée de cette note m'est venue cette nuit, à cause de mon chat adolescent qui me collait sa truffe humide sur le nez à trois heures du matin pour que je lui donne à manger.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 31 oct 2010 à 18:06
Je suis bien d'accord avec toi et c'est pour ça que je n'ai pas d'enfant! Les chats qui te réveillent à 3 heures du matin, par contre, j'ai trouvé la solution: tu leur mets une "fontaine à croquettes" comme ça ils ont toujours à bouffer et te laissent dormir :) (c'est pour ça que j'aime les chats: leurs problèmes et les solutions sont simples...)
Rédigé par : Dr. CaSo | dimanche 31 oct 2010 à 22:15
AAArrrgghh CaSo mais quelle horrible maman-chat es-tu! Pourquoi pas lui passer en boucle le DVD de Monstres & Cie??
Justement j'essaye d'élever mon chat avec des principes et de régler son horloge biologique sur la mienne. On n'imagine pas un petit chat réveillant sa maman pendant la nuit en lui disant "Maman, va m'attraper une souris!"
Rédigé par : anthropopotame | lundi 01 nov 2010 à 07:10
Bonjour Anthropopotame,
Vous écrivez très justement, reprenant les mots de Castoriadis, que la société est d'abord "le tenir ensemble d'un monde de représentations".
J'ai l'impression que souris blonde ne dit pas autre chose que ça.
Elle met le doigt sur quelque chose qui me semble assez juste: ces jeunes que vous décrivez dans votre post, aussi pénibles et peu civils soient-ils, ne partagent-ils pas, précisément, le même "monde de représentations" que ceux qu'ils provoquent et dérangent avec cette obstination puérile? Y compris en se conformant eux-mêmes à la représentation que l'on se fait d'eux?
C'est une question que je soulève, je n'ai pas de réponse.
Par ailleurs - je sais, c'est une vieille lune, mais tout de même - le phénomène n'est effectivement pas si nouveau.
Attention: je ne dis pas que notre époque n'a pas sa spécificité (quelle époque n'a pas la sienne?); mais pour avoir lu quelques livres d'histoire sur l'insécurité et la délinquance, je suis tout de même frappée de constater la pérennité des figures que l'on y représente, et des inquiétudes qu'elles engendrent - des cartouchards de l'Ancien Régime, aux sauvageons d'aujourd'hui, en passant par les escarpes, les rôdeurs, les apaches et les blousons noirs.
(En passant: le terme de sauvageons n'est pas si récent en réalité. Quoique l'histoire du terme était probablement inconnue de M. Chevènement lorsqu'il lui est venu aux lèvres, on retrouve ce mot utilisé - dans cette acception précise - par la presse de 1881, au moment où le parlement préparait la loi sur la relégation des multi-récidivistes.)
Existe-t-il, d'ailleurs, des travaux d'anthropologie sur les sociétés délinquantes?
Ce serait intéressant à faire. On pourrait sûrement utiliser les archives judiciaires pour tenter de cerner la question, avant de pouvoir également se référer à la presse.
Vous connaissez l'histoire de Casque d'Or, sûrement. Celle-ci a une belle formule, au moment du procès. Le président l'interroge, probablement sur le ton de la réprobation (si ce n'est de la condamnation) pour lui dire: "Mais enfin, vous étiez des Apaches!", ce à quoi la belle répond : "mais non, on n'était pas les apaches! On était les copains."
Dans une certaine mesure, les "apaches" se sont, probablement à peu près à ce moment-là, coulés dans le moule stéréotype que la presse et la littérature ont inventé pour eux. Les média et la justice ont voulu viser le phénomène pour le cibler et le poursuivre, et ce faisant, ils ont contribué à le construire et le renforcer.
C'est à peine une critique, que je fais là, un simple constat. Je ne suis pas certaine que le paradoxe soit évitable.
Ce qui n'est pas nouveau, non plus - et ce sur quoi, d'ailleurs, vous mettez également le doigt, via l'idée d'une "majorité" de jeunes - c'est l'idée de bande.
Derrière l'idée de la "bande", il y a l'idée de la contre-société - idée que vous exprimez très explicitement - qui s'établit en dehors de l'autre (la nôtre) et que l'on ne parvient pas (ou plus) à maitriser.
Nous voilà face à une jeunesse en rupture de civilisation, perdue pour l'intégration sociale. L'existence même de la bande signale qu'une fraction des classes inférieures - à l'époque, je crois que l'on parlait des "classes dangereuses", le terme "dangereux" restant d'actualité aujourd'hui, mais appliqué uniquement aux individus - qui récusent le processus de civilisation qu'on lui propose pour se réfugier dans des formes de socialités horizontales et archaïques.
Le profil des jeunes concernés aussi présente des similitudes: un peu désorientés, issus de la jeunesse ouvrière et de l'immigration récente - à la Belle Epoque, cette immigration est celle des auvergnats et des bretons, mis au ban (la zone, les fortifs, les banlieues).
Dans votre post, la bande devient "la majorité" ("que se passe-t-il quand ces jeunes sont la majorité en un lieu et à un moment donné?"), ce qui, dans la bouche d'un sujet de droit issu du monde démocratique, est un mot qui a du poids. Dans le monde démocratique, la majorité, c'est le pouvoir. C'est la source du pouvoir légitime. Le moment où la minorité devient la majorité, c'est le moment de la rupture, c'est le moment où nous nous perdons tous collectivement, où le centre devient la périphérie et la périphérie le centre. C'est la révolution - et le mot figure également dans votre post.
Mais je vois surtout là la description, assez précise, d'une représentation mentale commune aux deux "parties" concernées, qu'elle soit à protéger pour vous et moi, ou à contester pour les jeunes crétins qui ont perturbé votre trajet.
Il me semble donc qu'en un sens, Castoriadis ressort sain et sauf de cette confrontation, qui n'a fait qu'entretenir, sur le mode d'une altercation, la représentation commune qui la sous-tendait.
Non?
Rédigé par : Fantômette | lundi 01 nov 2010 à 12:25
Si je comprends bien votre raisonnement, Fantômette, vous retournez la phrase de Castoriadis, en estimant que je ferais une erreur d'appréciation: en réalité, tant ces jeunes que vous ou moi partageons des représentations, nous n'en faisons simplement pas le même usage. D'un côté, une forme de conservatisme, de l'autre une contestation.
Evidemment, votre opinion se tient, et je ne vois guère comment la contester en l'absence d'éléments d'enquête.
Sans doute y eut-il des ethnographies de quartiers de banlieue - mon ami Le Guirriec en avait mené une à St Denis, et avait observé à quel point l'ordre social était maintenu là où trois générations coexistaient, où les grands-parents et les parents gardaient donc le contrôle de leurs rejetons, tandis que le désordre était de mise partout où, sous couvert de "mixité sociale", on détruisait ces hiérarchies familiales.
Mon opinion, mais je ne puis l'étayer, demeure néanmoins que ces jeunes, dont les figures stéréotypées se trouvaient dans le train mentionné au début de ma note, n'ont strictement aucun objet de contestation. Pour contester quelque chose, encore faut-il en soupçonner l'existence. Or le narcissisme de cette jeunesse me fait penser à celui de ces Indiens qui un peu partout se réinventent une langue, un passé, une tradition. Tout imbibés d'eux-mêmes, voilà que le monde cesse d'exister. Ils s'expriment par clichés (là-bas "nous avons été massacrés", ici "nous sommes discriminés") mais ce sont eux qui créent les conditions de la réalité qu'ils sont en train de vivre, eux qui rendent impossible la création d'emplois dans leurs quartiers, etc.
Ils sont grisés, par leur nombre, par leur jeunesse. Insouciants, comme dit la souris grise. Les individus passeront, mais les dégâts qu'ils provoquent se perpétueront grâce à leurs cadets, à leurs propres enfants.
De ce point de vue, je ne pense pas que nos représentations "tiennent ensemble", non.
Rédigé par : anthropopotame | lundi 01 nov 2010 à 13:14
Je crois en effet qu'on est d'accord sans s'en rendre compte sur la question du "transitoire".
Non, bien sûr, ce phénomène n'est pas transitoire à l'échelle de la société, puisque cela semble être le rôle dans lequel se succèdent toutes les jeunes générations. Il est transitoire néanmoins du point de vue des personnes, qui ne restent pas dans cette attitude une fois parvenues à une place avec responsabilités dans la société.
Hey, avez-vous vu comme on les aime, nos jeunes sauvageons, et comme on est nombreux à les défendre ?
Rédigé par : La souris blonde | lundi 01 nov 2010 à 19:11
Non mais c'est normal qu'un chaton ait faim au milieu de la nuit: les bebes humains aussi ont faim au milieu de la nuit au debut. Rejouis-toi deja de ne pas devoir lui donner le sein toutes les deux heures ;)
Rédigé par : Dr. CaSo | lundi 01 nov 2010 à 21:53
mouais, pas très convaincant tout ça. d'une part parce que je suis "jeune" et que pourtant que je ne me reconnais pas dans le portrait que vous dressez de cette population (la rengaine selon laquelle tout fout le camp n'est pas très scientifique - quoique courante -, l'usage de Mai 68 est à cet égard risible : vous l'invoquez sans rien prouver). d'autre part parce que cette frange de la jeunesse n'a aucune chance d'être dominante : ils sont sans emploi - c'est sans doute le facteur majeur de leur désorientation, en tant qu'ils cumulent des désavantages qui les exclut de ceux qui s'intègrent vite et bien dans la société : ils se sentent Français, mais pas comme les Français à qui tout réussit sans trop de difficulté - et ne seront pas ou tardivement mis en situation de responsabilité : rien à craindre donc. Surtout, pour côtoyer la jeunesse au quotidien, je puis vous assurer qu'elle n'a rien de révolutionnaire - si je devais la classer, ce serait dans une sorte d'anarchisme de droite : le désordre est jouissif, mais ne rien changer demeure le plus fort des réflexes. C'est-à-dire que l'hypothèse révolutionnaire, pour improbable qu'elle soit, ne changerait probablement pas grand chose - le plus probable est que d'ici quelques décennies l'humanité aura réuni les conditions pour son annihilation : les jeunes crèveront alors comme les autres !
Rédigé par : Bardamu | mardi 02 nov 2010 à 11:47
Cher Bardamu, votre commentaire n'est pas très convaincant. Il est un peu risible. Vous me contredisez sans rien prouver. Cette réponse vous convient-elle?
Rédigé par : anthropopotame | mardi 02 nov 2010 à 12:43
"le plus probable est que d'ici quelques décennies l'humanité aura réuni les conditions pour son annihilation "
@Bardamu : Oh non, pas le grand air de l'"après moi le déluge", s'il vous plaît ! Vous êtes vieux, ça vous va bien de dire ça, mais pensez à ceux qui vivront après vous !
Rédigé par : La souris blonde | mardi 02 nov 2010 à 16:15
Ma chère souris, merci de voler à mon secours :)
Il me semble que parler de mon chat permet d'obtenir une meilleure compréhension générale (motivée par la plus grande facilité de lecture, et sans doute une plus grande attention portée aux subtilités du propos) et des commentaires tenant davantage compte du contenu du texte!
Rédigé par : anthropopotame | mardi 02 nov 2010 à 18:39
En effet, vos lecteurs semblent beaucoup plus connectés au chat.
Rédigé par : La souris blonde | mardi 02 nov 2010 à 21:41
Cher Anthropopotame,
J'ai apprécié votre texte et il me semble que vote analyse est pertinente .
MERCI
Un jeune qui va vieillir...
Rédigé par : Un jeune qui va vieillir | mercredi 19 jan 2011 à 15:53