Après la grand-messe de la réunion plénière, à laquelle les étudiants étaient conviés du début à la fin, je me pose des questions sur la démocratie participative, quand celle-ci ne se réserve aucun pouvoir de trancher.
A l'issue de la réunion, en effet, et malgré mes avertissements, les étudiants de master "enseignement" se sont présentés à moi nantis des résultats de leur mini AG, pour réclamer, nombre de votants à l'appui, que mon examen final soit un QCM.
Je les ai regardés incrédules et leur ai demandé comment réduire la Convention sur la Diversité Biologique à des "oui" ou "non". Je leur ai proposé plutôt des questions circonscrites, par exemple "les avancées de la Conférence de Rio". Tête de la représentante des Masters: elle s'attendait sans doute à ce que je propose un examen n'exigeant aucune révision.
Dans le même temps, l'étudiante qui nous harcèle de mails poursuit sa course, incendiant les collègues "mielleux" (qui l'ont sacquée par derrière) tout en laissant poindre sa haine pour "un certain directeur de département" (c'est moi) qui pour le coup lui ai dit en face qu'elle n'avait pas les compétences intellectuelles pour continuer. Donc coupable également.
Désormais je transfère automatiquement ces mails au Doyen, puisque je n'ai aucun moyen légal d'écarter cette étudiante. Le Doyen m'avertit qu'un recadrage du Président était la meilleure chose qui se puisse espérer, les commissions disciplinaires étant systématiquement favorables aux étudiants.
Par ailleurs, je me suis colleté au problème de ce collègue qui depuis deux ans a pété les plombs. Je lui ai demandé à maintes reprises de venir s'expliquer. Dès que je lui rappelle concrètement les devoirs auxquels il a failli, il répond par un mail collectif dans lequel il dénonce mon despotisme. Comme si, là encore, le respect de la consultation démocratique devait primer le simple devoir professionnel.
Enfin, l'évaluation des enseignements... Les collègues s'y opposent, le Conseil d'Administration nous l'impose, mais demande seulement "cinq volontaires" par année, à charge pour moi de les désigner. Je passe sur les multiples pressions - "comment, en Espagnol vous ne proposez que trois enseignements à évaluer sur l'ensemble du cursus? Vous serez mal vus!" - auxquelles j'ai finalement répondu que je désignerais des volontaires quand les statuts me donneraient le pouvoir de le faire, et pas avant, sachant que l'expression "désigner des volontaires" est évidemment un oxymore.
On peut concrètement mesurer les limites d'un pouvoir qu'aucun règlement ne vient épauler. Je me contente donc d'une pantomime qui est, en termes de techniques corporelles, ce qui se rapproche le plus d'une incarnation d'autorité.
Extraits de mon compte-rendu de réunion:
- Evaluation : qui garde les gardiens ? Les enseignants doivent accepter d’être évalués sous peine d’entretenir toute sorte de mythes et de fantasmes concernant leur indépendance et leur impunité, cela aussi bien du côté des étudiants que de l’opinion publique. Encore une fois, lorsqu’une telle évaluation est imposée à la fois à l’échelle nationale et par le Conseil d’Administration, instance représentative car élue, on ne voit guère au nom de quoi nous résisterions encore et toujours à cette évolution, d’autant qu’elle semblerait aller de soi dans un hôpital ou dans n’importe quelle administration : elle nous protège avant de nous menacer, sauf à invoquer la solidarité de la corporation envers et contre tous. Enfin, on ne peut d’un côté exiger qu’aucun nom d'enseignant ne soit cité en réunion, et prohiber par ailleurs toute forme d’expression des étudiants concernant le contenu d’un cours ou la manière dont il est mené : la souveraineté absolue, depuis trois siècles, n’existe plus en France.
- Les étudiants remarquent qu’il leur plairait de voir leur demandes prises en compte dès lors qu’ils les ont exprimées, quelle que soit la façon dont on les a consultés. C’est juste, mais Anthropopotame rappelle que le fait d’exprimer une demande n’implique pas qu’elle sera exaucée. Le système collégial évoqué en début de réunion ne signifie pas que les étudiants seraient appelés à définir le contenu des cours ou les modalités d’examen : ils n’ont pas reçu mandat pour cela, n’ont pas les compétences requises, et ne sont pas responsables devant la loi qui exige une harmonisation des contenus et des diplômes au niveau national. C’est donc l’affaire des enseignants et d’eux seuls, les étudiants étant présents à titre consultatif.
- Concernant la lutte contre l’échec, Anthropopotame souhaite soulever le débat suivant : se demander si politique d’accompagnement et renforcement n’entraîne pas le risque de bachotage et de désinvestissement des étudiants, réduits (parfois sans forte résistance de leur part) à la passivité. On constate en effet une forte inhibition chez étudiants de Master issus de cette politique, affichant une crainte de penser, préoccupation permanente de rester dans le cadre strict de la dissertation et de commentaire, difficulté à lire de la littérature scientifique, etc. Par ailleurs, il serait bon de colleter les étudiants, dès la première année, à des ouvrages critiques ou analytiques complexes, tels ceux de Bourdieu ou Bakhtine, non pour qu’ils les comprennent, mais afin qu’ils comprennent ce qu’ils devront comprendre en L3. On peut poser un parallèle avec une faculté d’Education physique, et imaginer qu’en première année aient lieu les assouplissements, en deuxième année, les échauffements, et qu’on ne pique le 100 mètres qu’en fin de cursus : l’échec est garanti. Or l’effort intellectuel ne diffère pas fondamentalement de l’effort physique : le progrès dépend de son exercice permanent et soutenu.
Bonjour,
Anthropopotame acceptez-vous d'évaluer sous forme de QCM ?
O Oui
O Non
Concernant cette demande d'évaluation sous forme de QCM, je tombe des nues. (je ne cache pas mon aversion pour les QCM, qui "robotisent" à mes yeux les candidats qui les passent, et offrent donc, toujours à mes yeux, une certification bien floue, bien fade, peu valorisante).
L'enfant Roi, oui, mais pas Souverain.
Rédigé par : nonos | mardi 09 nov 2010 à 07:48
Après un parcours scolaire en dehors du système des facultés françaises, j'ai décidé de faire une L3 par correspondance l'année dernière. Au vue des cours que j'avais reçu, des connaissances que j'avais le sentiment de ne pas suffisamment avoir intériorisées, de l'articulation des concepts qui m'étaient difficile, j'avais la certitude d'être recalée aux partiels. Je les ais passés en ayant conscience que je ne maîtrisais pas mes sujets, et donc, qu'à partir de là, il m'était impossible de me positionner.
A mon grand étonnement, tant dans la formulation des questions, tant dans les plans qui découlaient de ces dernières, je me suis rendue compte que l'on nous demandais simplement de recracher un cours, voir un plan déjà donné, sans laisser aucune place à des prises de positions, des lectures...
Mon expérience de la fac n'a été qu'une énorme déception, le sentiment d'avoir simplement ingéré un ensemble de terminologies dont je ne maîtrise pas la portée, et ma licence n'en a qu'un goût plus amer...
Cette position d'étudiant par correspondance m'a toutefois donné la possibilité d'être dans une sorte d'entre deux, pas tout à fait étudiant (en tout cas pas intégré dans le fonctionnement de l'institution, n'en connaissant toujours pas les rouages, et de l'autre, dans un rapport avec les formateurs (dit-on professeurs?), quelque peu différent, avec le sentiment de n'être pas considéré comme étudiant, mais vase vide à remplir...
Au final j'ai ma licence, mais je ne porte pas ce contenu qui m'a été transmis (que j'ai ingéré!). Bref, si je me fie aux questions de partiels que j'ai eu, le QCM aurait eu le même effet... Je reste donc amplement d'accord avec vous, ce qui me semble important c'est avant tout de donner accès aux étudiants à des ouvrages dont ils ne comprennent pas forcément tout, mais qui les inscrits dans l'effort intellectuel..
Rédigé par : Lucie | mardi 09 nov 2010 à 08:42
Hahaha, 5 volontaires pour les évaluations de profs?? Mais c'est encore le Moyen-Age chez vous braves gens!! Ca fait 15 ans que je suis évaluée constemment par mes étudiants et mes collègues! Je dis pas que j'aime pas, hein, mais ça force les profs à faire un peu attention à ce qu'ils font...
Rédigé par : Dr. CaSo | mardi 09 nov 2010 à 16:41
Évalué par des élèves? je rêve! (bon, qu'ils donnent leur opinion sur la qualité des rapports humains, la ponctualité, le respect dû aux personnes, etc. je le conçois et je conçois même qu'on en tienne compte).
Mais il y a une différence fondamentale entre le maître et l'élève. Le maître SAIT et l'élève ne sait pas (ENCORE). Donc tant que l'élève n'est pas arrivé au niveau du maître, il se consacre à APPRENDRE. Point barre.
Je suis de gauche, tendance républicaine et sociale, farouche partisan de l'égalité des chances. Et je considère que la démagogie va à l'encontre de ces principes. Aucun élève n'évaluera jamais mes compétences. JAMAIS. Mes pairs, mes supérieurs, oui. Pas les élèves (au sens large) dont j'ai la charge (je n'écris jamais "mes" élèves)
Rédigé par : Benjamin | mercredi 10 nov 2010 à 21:32
"Je suis de gauche, tendance républicaine et sociale, farouche partisan de l'égalité des chances."
Nous parlons d'élèves majeurs, ayant le droit de vote. S'ils ne "savent pas", retirons-leur ce droit jusqu'à, disons, 25 ou 26 ans.
Je suis frappé de voir comment l'on se dédouane de son étroitesse d'esprit par des pétitions de principe en totale contradiction avec les assertions suivantes.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 10 nov 2010 à 21:46
Ils ne savant pas "évaluer" les compétences de leur enseignant, tout comme ils ne savant pas définir le contenu de leur enseignement (par définition: comment donner un avis sur ce qu'on ne connaît encore pas? En revanche, que des étudiants donnent des avis pertinents sur les aspects positifs et négatifs de l'enseignement reçu lors du second degré, là je trouverais cela très judicieux: ils sont les premiers à dire ce qui leur a manqué lors de l'entrée en fac)
Je n'ai nullement écrit qu'ils ne savaient RIEN. J'ai eu la charge d'élèves amérindiens. En classe JE savais. En nivrée, j'étais un élève (très humble)
PS: je suis pour le droit de vote à 16 ans, puisqu'on peut passer en Cour d'Assises (même "aménagée") à cet âge. Et à cet âge, on en sait souvent bien plus sur les mécanismes institutionnels que plus tard, grâce à l'éducation civique. Voire même à 15 ans puisqu'on a le droit à une vie sexuelle libre: pouvoir enfanter sans entrave et donner un avis politique, il y a plus que des nuances
PPS """". Par ailleurs, il serait bon de colleter les étudiants, dès la première année, à des ouvrages critiques ou analytiques complexes, tels ceux de Bourdieu ou Bakhtine, non pour qu’ils les comprennent, mais afin qu’ils comprennent ce qu’ils devront comprendre en L3. On peut poser un parallèle avec une faculté d’Education physique, et imaginer qu’en première année aient lieu les assouplissements, en deuxième année, les échauffements, et qu’on ne pique le 100 mètres qu’en fin de cursus : l’échec est garanti. Or l’effort intellectuel ne diffère pas fondamentalement de l’effort physique : le progrès dépend de son exercice permanent et soutenu."""
J'ai adoré
Rédigé par : Benjamin | jeudi 11 nov 2010 à 02:11
Heu.... je suis speechless, là...
Rédigé par : Dr. CaSo | jeudi 11 nov 2010 à 02:59
On pourrait tout de même souligner qu'en théorie, chaque enseignant s'auto-évalue à chaque heure de cours qu'il donne, et qu'il vient de donner.
C'est (ou devrait être) une pré-occupation constante. Qu'est-ce qui a fonctionné, qu'est-ce qui n' pas fonctionné, ou peut être amélioré, quid du plaisir en classe, etc.
A titre d'exemple, chaque année mes cours changent. Je ne suis jamais satisfait (ajoutons que cela brise un peu la monotonie des années qui passent - je refais 8 fois le même cours sur des cycles de 2 semaines), et d'ailleurs, je regarde déjà mes cours proposés depuis septembre de travers.
On me prend pour un dingue, ou un perfectionniste, ou un hyper-actif, et si je suis tout ça à la fois, certes, ce n'est pas ce qui explique mon activité: c'est uniquement affectif.
En ce sens, leur avis m'intéresse. Si le cours est douloureux, principalement douloureux disons, c'est que l'on a (eux et/ou moi) raté quelque chose.
Pour une évaluation par mes pairs ou collègues, j'ai du mal, mais ça vient d'une difficulté à accepter l'autorité, ça vient de moi, et ce n'est pas justifié (d'autant que j'ai toujours laissé une forte impression dans ces cas-là, bah oui j'ai du y passer, ensuite parce que pour ce que j'en ai vu, l'observation a toujours été bienveillante, de bonne foi et constructive).
P.S: j'enseigne à un niveau très très bas, la première marche tout juste, à de jeunes majeurs ou presque, en grande difficulté, le contexte est donc très différent qu'à l'Université)
Rédigé par : nonos | jeudi 11 nov 2010 à 09:09
Un fait également, que je m'explique mal.
Des représentants de classe sont élus pour chaque classe (je devrais dire "section", je n'aime pas trop), afin de participer à trois réunions annuelles en presque tête-à-tête avec la direction de l'établissement.
Il arrive que l'ambiance tourne au règlement de comptes.
Ce que j'ai observé, c'est que si certaines de nos pratiques pourraient être critiquées, cela ne ressort jamais.
Et qu'en revanche, les critiques formulées sont souvent tout à fait injustifiées, déplacées, et toujours faites par les groupes les plus réfractaires au travail et au respect: à chaque fois, ce sont les "pires" groupes".
(si j'en parle, c'est que le problème de la causalité est réglé, ils ne sont pas devenus les "pires" parce qu'ils ont des critiques à formuler).
Je n'ai jamais été la cible de telle remontées, mais j'en souffre pas mal pour certains de mes collègues, parce que la direction n'a pas exprimé clairement son retrait sur ces critiques.
Il faut remettre les critiques (bonnes ou mauvaises) dans leur contexte. Elles peuvent ainsi en apprendre autant sur l'évalué que sur l'évaluateur.
Rédigé par : nonos | jeudi 11 nov 2010 à 09:21
L'évaluation n'est pas destinée à flatter les Ego, ni à vilipender. Il s'agit d'une mesure administrative permettant, à mon sens, d'identifier les manquements graves aux devoirs d'un enseignant. Faute de quoi chacun poursuit sa course jusqu'à la retraite sans être jamais inquiété, chose que je ne tolère pas.
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 11 nov 2010 à 13:10
C'est vrai que ce cas de figure se présente (je dirais même que sans doute, élèves, nous en avons tous au moins une fois fait l'expérience); je ne l'ai pas pris en compte, ma branche professionnelle n'offrant théoriquement pas cette possibilité (sauf si la direction de l'établissement est complaisante - je l'ai observé une fois): un enseignant peut y être licencié comme tout autre employé (je l'ai observé trois fois -pour des motifs qui laissent amers, puisqu'essentiellement liés à un manque de soutien à de jeunes enseignants, mais passons).
Rédigé par : nonos | jeudi 11 nov 2010 à 13:33
"L'évaluation n'est pas destinée à flatter les Ego, ni à vilipender. Il s'agit d'une mesure administrative permettant, à mon sens, d'identifier les manquements graves aux devoirs d'un enseignant. Faute de quoi chacun poursuit sa course jusqu'à la retraite sans être jamais inquiété, chose que je ne tolère pas. ""
D'accord, sur cet aspect. Mais c'est davantage "l'être humain" qui est évalué, que le professeur. Et bien entendu, chacun peut critiquer ces manquements graves
Un exemple. A un étudiant (moi même, il y a fort longtemps) qui se voyait reprocher quelques absences á des TD, justifiées par l'absolue nécessité de travailler pour gagner sa vie, qui a eu le malheur de dire: "il faut bien que je vive" on a répondu (sans blaguer) "je n'en vois pas la nécessité absolue"
Je n'aurais pas été contre une expulsion de l'Université de ce professeur, coutumier du fait...
Rédigé par : benjamin | mardi 16 nov 2010 à 16:51