A la campagne, j'ai lu l'excellent livre de Laurent Vidal, "Mazagão, la ville qui traversa l'Atlantique", publié en 2005 chez Flammarion.
Mazagão était l'ultime forteresse portugaise au Maroc. Face au coût de l'approvisionnement, le gouvernement de Pombal décida de lui faire traverser l'Atlantique afin de coloniser l'Amazonie. En 1770, 2000 personnes furent ainsi déplacées, transitant par Lisbonne, puis par Belém do Para, pour finalement s'implanter dans une bourgade reconstruite, portant le même nom, à quelques encâblures de Macapa.
L'auteur s'attache à décrire ces périodes de transits. Il dispose pour cela des documents administratifs liés à ce déplacement, des listes faites et refaites, et quelques lettres de doléances. Il traque dans les interstices des inventaires les éclats de réel, la difficulté à vivre l'attente, un an, deux ans, dix ans.
Le premier chapitre, décrivant la vie dans une forteresse qui n'a plus de raison d'être, est particulièrement bien écrit et suggestif. L'installation dans la ville nouvelle met bien en scène le contraste d'un plan tracé au cordeau avec des pluies diluviennes qui dissolvent poutres et toitures. L'attirail de marteau, herminettes, clous, tous objets métalliques, confrontés à une Amazonie de bois et de boue, illustre le décalage entre l'arsenal colonial et la réalité des Tropiques.
Je suis moins inspiré par l'axe programmatique qui sous-tend ce livre: l'idée que pourrait exister une "historiographie de l'attente", de la latence, me paraît pauvre si on le confronte à ce qui ressort effectivement des documents consultés. La reconstitution mentale ne permet guère d'aller loin.
Cette question m'intéresse car je suis moi-même confronté à mes ambitions théoriques liées à l'observation des sociétés animales et la pauvreté du vocabulaire concret à ma disposition. Cette pauvreté ne peut être palliée par un discours à tonalité scientifique qui n'a d'autre fonction que de retarder l'entrée en matière. Le volume que je dirige est éclairant à cet égard. Les relecteurs traquent les moindres flottements conceptuels et ils ont raison. Je ne sais plus qui disait (Roland Barthes je crois) que le Réalisme, c'était la maîtrise du langage, l'usage des mots à bon escient. Cela vaut pour le programme que j'envisage de lancer.
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