Voici un extrait de la lettre que les collègues de Neverland s'apprêtent à envoyer à notre Président (d'Université). Je mets en gras ce à quoi je m'oppose :
Par ailleurs, nous ne saurions accepter la lettre de cadrage adressée à tous les responsables de concours et de masters. Celle-ci stipule en effet que le volume d'heures des nouveaux parcours serait de 800 heures et qu'au moins 550 heures devraient être affectées aux enseignements disciplinaires incluant l'enseignement épistémologique et la didactique disciplinaire (150 h) (nous soulignons). Nous ne sommes pas dupes. Il s'agit de faire passer pour « enseignement disciplinaire » une formation qui appartient, précisément, au domaine non-disciplinaire (didactique, « sciences de l'éducation »). C'est une supercherie que nous ne saurions en aucun cas cautionner car elle montre bien ce qui est en jeu dans cette réforme : un appauvrissement des contenus disciplinaires qui serait préjudiciable aussi bien au niveau des compétences des futurs enseignants du secondaire qu'à la qualité de nos filières de master de recherche.
Sachez aussi que notre opposition à cette réforme ne se réduit pas seulement à la défense de « nos » postes, de « nos » heures, de « nos » masters mais qu'elle repose sur l'analyse de la nocivité d'un projet qui attaque les fondements de l'emploi public (suppression de l'année de stage en responsabilité pédagogique, présence de personnalités issues de la « société civile » dans les jurys des épreuves orales, importance démesurée accordée à une discipline nouvelle – la connaissance du système éducatif – qui conduira au formatage idéologique et pédagogique des futurs enseignants, etc.). Cette réforme est très clairement articulée sur celle qui affecte nos statuts. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit bien de porter atteinte aux emplois de la fonction publique d'État et de dégrader l'enseignement que les deux projets insultent en le traitant de toute évidence comme la cinquième roue du carrosse. D'un côté, en effet, on vise par la « mastérisation » du concours à fabriquer des enseignants qui ne sauraient rien ... sinon « enseigner », le savoir-faire remplaçant le savoir ; de l'autre, on envisage de faire enseigner davantage ceux qui seraient considérés comme ne faisant pas de recherche, ce qui est contraire à ce sur quoi est fondée, en son principe même, l'Université.
"Un appauvrissement disciplinaire qui serait préjudiciable à la (...) qualité de nos masters recherches": s'agissant d'un master professionnel, on ne voit pas en quoi les masters recherches seraient affectés. Aujourd'hui le M1 est la copie conforme du L3 (en littératures et civilisations) car il s'adresse prioritairement aux futurs agrégatifs. Il serait judicieux, au contraire, de trancher le cordon.
"formatage idéologique et pédagogique des futurs enseignants" : je ne sais pas ce que cela signifie. Spontanément, je qualifierais cela de "verbiage", mais peut-être quelque chose m'a-t-il échappé.
"On envisage de faire enseigner davantage ceux qui seraient considérés comme ne faisant pas de recherche..." : en général, sont considérés "comme ne faisant pas de recherche" ceux qui ne font pas de recherche. Coïncidence ?
"... ce qui est contraire à ce sur quoi est fondée, en son principe même, l'Université". Hum. L'université est censée, non seulement transmettre, mais aussi produire des savoirs. Je vois qu'elle n'accomplit pas vraiment sa mission, justement parce que les recherches sont sacrifiées aux masses pléthoriques d'étudiants de L1 abandonnant leurs études après deux mois de tourisme.
Donc je propose une contre-lettre, dont je sais déjà qu'elle obtiendra zéro soutien :
"Monsieur le Président,
Les réformes introduites par le gouvernement menacent la continuité et la cohésion du corps des enseignants chercheurs. 130 MCF bénéficiaires de ce qui était autrefois le privilège du corps des professeurs, sur un corps de plus de 30000 fonctionnaires, est une logique de loterie, non de gestion des ressources.
Nous pensons qu'une opposition systématique serait vaine, dès lors que des améliorations sont possibles.
Plutôt que le statu quo, pourquoi ne pas proposer de réelles avancées?
Nous pourrions défendre ainsi l'idée d'une sélection à l'entrée de l'université. Les effectifs demeurant stables d'un bout à l'autre du cursus, nous épargnerions aux étudiants motivés le permanent retour aux fondamentaux de nos disciplines, nous n'aurions plus affaire à ces élèves baillant et ne prenant pas de note, abandonnant en cours d'année après avoir rendu l'atmosphère digne d'un collège abandonné.
Nous pourrions nous concentrer sur un nouveau seuil d'exigence, le renouvellement des savoirs, des formations ciblées, des coopérations internationales, si seulement les finances étaient orientées vers ce qui est le cœur de notre mission : l'enseignement et la recherche, qui seules peuvent prétendre accompagner le projet des étudiants.
En favorisant ainsi l'émulation, la concentration, le sérieux et l'honnêteté scientifique, nous ne serions plus tentés de confondre décisions pédagogiques, scientifiques, et gestion des ressources humaines. Nous n'aurions plus à trancher en permanence ce dilemme d'attirer une foule indistincte pour garantir la pérennité de nos postes et de nos missions, aux dépens de la qualité de ce que nous enseignons.
Par une évaluation régulière de nos travaux, tant pédagogiques que scientifiques, nous ne serions plus soumis aux aléas dans la gestion de nos carrières, chacun accomplissant ce qu'il pense être juste, et étant en position d'assumer et défendre ses choix.
Monsieur le Président, il nous faut aujourd'hui trancher avec la logique qui nous secondarise, au sens propre comme au figuré. Les enseignants-chercheurs de notre université sont démotivés, découragés. Aucun service de communication ni slogan ne pourra remédier à cela. Les demandes de mutation, les départs en pré-retraite, sont autant de signes que le malaise est profond, et il vous appartient, Monsieur le Président, de prendre notre parti afin qu'ensemble nous élaborions un nouveau plan, un nouveau cadre de formation."
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