Les mondes de la représentation
Suis-je vraiment ce touriste entouré de Pataxó. C’est la Journée de l’Indien, 19 avril 2001 : j’entends des discours de revendication, et mes interlocuteurs ne se lassent pas de m’expliquer ce qu’ils sont. En même temps, je visite le village, dors quelques nuits, partage quelques repas, je dessine et je reçois des dessins d’enfant. Je pourrais dire, comme Beckett dans Watt : « la chose appelée rien s’est passée, avec la plus grande netteté formelle ». Nous nous trouvions, mes compagnons de voyage et moi-même, sur une scène ; un spectacle se déroulait sous nos yeux ; le soir même, tout était démonté, rangé jusqu’à l’année suivante, les pagnes et maracas, les arcs et les flèches. Qu’est-ce donc que ces gens représentaient ? Ils le proclamaient haut et fort : ils n’étaient autres que des acteurs d’eux-mêmes. Le sens commun déclare que l’on est soi-même ; comment peut-on dès lors se représenter ? Les Pataxó disaient : voilà ce que nous sommes réellement, voilà notre essence, des arcs, du gibier, du manioc, des huttes, du respect pour Mère Nature qui nous le rend bien. Et à la nuit tombée, on rentre chez soi, on revêt un bermuda, et l’on mange un poulet industriel arrosé de Fanta ; le jour suivant on va dans la forêt abattre les derniers arbres pour fabriquer des gamelles et des pelles à tarte.
Il n’est pas évident de savoir par quel bout on va s’emparer de cette scène, de ces multiples acteurs, pour en appréhender la réalité. Ce qui se donne pour un spectacle peut-il être vrai ? Michel Agier (2001) parle des « déclarations d’identité » comme phénomène contemporain, qui en vérité vont au-delà du registre déclaratif : elles consistent aussi en mises en scène, ou dramaturgies, de l’identité. Si revendication il y a, c’est d’abord une revendication de « soi-même », dont le reste découle – les droits territoriaux, une considération particulière, l’accès à l’éducation et à la santé. Admettons que nous devions faire le portrait de l’acteur Gérard Philippe ; devons-nous, pour cela interroger ses rôles – Julien Sorel, Fanfan la Tulipe ? Ce que je cherche à souligner, c’est que la réalité du village pataxó de Barra Velha m’apparut ce jour-là fragmentaire ; dans le même temps s’étaient multipliés les discours concernant cette réalité-là, que j’étais libre de croire ou non, mais qui en faisaient partie de manière très singulière. Un peu à la manière des récits postmodernes qui viennent accompagnés de leur propre glose et mode d’emploi, les Pataxó se présentaient avec un guide de lecture, joignant toujours le dire au fait.
Etre confronté à un terrain sans être équipé d’un modèle explicatif a un avantage et un inconvénient ; l’avantage est que l’on voit à peu près tout ; l’inconvénient est que l’on n’y prête pas attention, ou qu’on ne le comprend pas, ou qu’on ne sait comment le restituer. Parti pour étudier les stéréotypes organisés en discours identitaire, je me suis trouvé confronté à une multiplicité de paroles liées à autant de contextes que peut en présenter la vie quotidienne. La Journée de l’Indien peut être un événement important rythmant l’année des Pataxó, elle ne dure en fin de compte qu’une journée. Mes premiers séjours furent donc perdus en vaines tentatives de faire tenir aux Pataxó ces mêmes propos stéréotypés que j’avais entendus, tandis qu’eux-mêmes se sentaient bien incapables de les prononcer hors contexte, sinon quelques informateurs s’étant fait une spécialité d’agir en passeurs culturels. A entendre ces derniers, il existait des traditions liées à chaque aliment, à chaque étape de la vie ; ayant longtemps fréquenté des anthropologues, ils en avaient retenu que la « culture » transcendait chacun des actes de leur existence, que tout était culturel – mais n’était culturel, à leurs yeux, que ce qu’ils pouvaient qualifier « d’indigène ». Le fait de manger du poulet industriel n’était pas « culturel ». Manger du tatou l’était ; en conséquence, il fallait bien associer au tatou quelque rituel montrant l’attachement à la terre, par exemple, disaient-ils, en réunissant les os et en les déversant, ainsi réunis, en quelque endroit retiré, comme une offrande à Mère Nature.
Par ces explications qui voulaient à toute force affirmer la ritualisation du quotidien autochtone, ils me montraient comment un stéréotype tel la symbiose entre l’Indien et la nature se constituait en système générateur ; mais des multiples actes imprégnés de sacré qu’ils m’exposaient, bien rares étaient ceux qui « prendraient ». La logique mise en œuvre équivaut à une logique fictionnelle, ou poétique, selon ce que nous exposions précédemment, correspondant à la démarche de Conrad puisant à la métaphysique de la Volonté pour agencer les rapports de Willems et de sa fiancée Aïcha dans Un Paria des îles (1896). Les agents culturels pataxó produisaient des rituels comme ils produisaient des danses et des chansons, en fonction d’un canevas qui leur avait été pour partie suggéré ; de par leur expérience propre, leurs contacts avec les anciens, les stages de formation organisés par l’Université Fédérale de Bahia ou le Secrétariat d’Etat à l’Education, ils avaient eu accès à des patrons comportementaux à partir desquels ils élaboraient une « culture ». Mais avant de crier à l’ethnogenèse et à l’invention de la tradition, il faut prendre la mesure du phénomène : il n’incluait pas l’ensemble de la population, mais une minorité d’acteurs engagés dans la revendication ethnique sous l’angle culturel.
Les études d’ethnogenèse, telles que pratiquées au Brésil par l’école de João Pacheco (1998 ; 1999), cherchent à appréhender ce phénomène complexe « d’invention de la tradition », mais sont menacées en permanence par l’écueil de l’extrapolation, comme en témoigne cet extrait d’un article de Grünewald (2002 : 17-18), paru dans une revue spécialisée sur le tourisme, et portant sur l’artisanat Pataxó :
“No início da prática artesanal, esses índios não utilizavam nomes indígenas nem falavam uma língua Pataxó. Com o artesanato, muitos turistas começam a perguntar pelos seus nomes e se espantavam ao ouvir nomes cristãos, em português. Os índios começaram então a perceber a relevância de se apresentarem com um nome indígena e passaram a utilizar esse tipo de nome, principalmente em suas barracas de venda de artesanato em Coroa Vermelha, como estratégia de marketing. Além disso, os turistas queriam saber de sua língua e, como eram falantes do português, resolvem cada vez mais incrementar o uso de supostas palavras nativas Pataxó para impressionar o turista em visita ao seu ponto de venda. Isso levou, inclusive, a que muitos índios desenvolvessem palavras nativas próprias, sempre empregadas na estrutura gramatical da língua portuguesa. Por fim, turistas também perguntavam sobre suas danças e músicas e isso levou a uma produção de tradições deste tipo. (...) Mas os nativos, que conhecem os Pataxó de muitos anos, sabem que essas tradições foram produzidas há pouco tempo (...). Os brancos moradores da região negam legitimidade à produção cultural Pataxó também baseados no critério da criação recente das peças artesanais e demais itens culturais.”
Les critiques que l’on peut adresser à Grünewald portent sur la forme même de son argumentation (enchaînement imparable de l’invention de surnoms indigènes, de mots ethniques, et finalement de danses et traditions, le tout étant dérivé de la nécessité d’écouler l’artisanat) et sur les sources qu’il invoque (les « natifs » – non Indiens – de la région). Or, une enquête tant soit peu poussée, qui n’eût pas déconsidéré l’existence de Pataxó subsistant hors du circuit touristique, et eût évalué les tensions interethniques entre Indiens et « natifs », aurait constaté ce qui suit :
1) l’usage de surnoms indigènes – le plus souvent des noms d’oiseaux – est attesté dès les temps les plus reculés, le terme « pataxó » même étant un dérivé de nom d’oiseau. Des Pataxó ayant plus de 70 ans aujourd’hui portent des surnoms qui leur furent attribués très anciennement, comme c’est le cas de Siriri, Tururim, Coruja ou Zabelê. Qu’il y ait eu folklorisation de la pratique, c’est un fait, mais la pratique en elle-même ne surplombe pas le vide.
2) les danses et chants à tonalité indigène font partie de la tradition pataxó depuis le milieu des années 70, sachant qu’auparavant les Pataxó pratiquaient une samba régionale. L’indigénisation de ces pratiques repose sur une volonté interne de ressusciter un lien avec le passé afin de ressouder la communauté en période de tensions politiques. Ceci fut fait indépendamment, et bien avant, l’irruption du tourisme.
3) le témoignage des « natifs » invoqués par Grünewald est sujet à caution, dans la mesure où ces mêmes « natifs » ont acheté des terrains à Caraíva à d’anciens occupants, pêcheurs pour la plupart, qui avaient obtenu des caciques pataxó l’autorisation de demeurer sur place, bien que Caraíva fît partie de la terre Indigène. Les occupants actuels ont tout intérêt à discréditer l’indianité des Pataxó afin de maintenir leurs auberges indûment acquises. La situation est identique à Cumuruxatiba où les propriétaires d’auberge accusent les Pataxó locaux d’être des « caboclos », cependant que les « vrais » Indiens se trouveraient justement à Barra Velha – ceux-là même que les habitants de Caraíva cherchent à disqualifier.
Il faut donc nuancer les réflexions portant sur « l’authenticité culturelle » (titre de l’article de Grünewald) en évaluant ce qui dérive, au sens propre du terme, de schémas culturels préexistants. Après tout, on pourrait aussi bien dire que la Tour Eiffel est une « invention de la tradition » au motif qu’elle est relativement récente, est devenue l’emblème du tourisme de masse à Paris, et fait l’objet de multiples répliques de laiton fabriquées en Chine, confondant ainsi la cause et les effets. Comme le fait observer Roberto Araujo (2004), il existe une différence fondamentale entre une affirmation telle que « Nous brûlons les os des morts parce qu’ainsi l’exigent nos ancêtres » et celle-ci : « Nous brûlons les os des morts parce que c’est notre tradition ». Dans un cas comme dans l’autre, des ossements sont brûlés ; mais l’agent, ou ce qui détermine l’action, est situé tantôt dans les ancêtres, perçus comme principe spirituel, tantôt dans le groupe lui-même, comme décision collective, celle de « perpétuer la tradition », éventuellement à des fins de propagande politique ou touristique. Dans le premier cas, les ancêtres sont l’ordonnateur du spectacle, et leur immanence le justifie. Dans le second cas, on adhère à une représentation collective précisément pour se mettre en scène collectivement, à des fins x ou y. Cela ne signifie pas la mort définitive des ancêtres, mais déplace seulement le principe générateur du rituel. Dans un cas comme dans l’autre, les éléments divers qui intégreront le spectacle – ou rituel, ou manifestation – sont puisés à un système de représentation qui lui donneront sa cohérence ; la scène est vouée à signifier quelque chose, mais le sens est puisé tantôt dans une cosmologie dont aucun acteur n’a une représentation totale car cette totalité lui échappe (la totalité est contenue dans l’ensemble des représentations de tous les membres du groupe), tantôt dans une idéologie dont au moins certains acteurs ont conscience des origines et des implications. On retrouve la même différence entre ce qui est symbolique et ce qui est allégorique : le symbole est un signe non maîtrisé, qui vaut précisément par ce qui nous échappe ; l’allégorie est inscrite dans un système de correspondance fermé sur lui-même : dans la culture européenne, le lion de l’héraldique signifie la puissance, la royauté, et non pas le fait de se nourrir de viande et d’avoir pour habitat l’Afrique. Le symbole est opaque, l’allégorie translucide. La « course au tronc » pratiquée par les Indiens Gê et macro-Gê (dont les Pataxó feraient partie) n’est pas réductible à un signifié unique, et nul ne pourrait convenablement en épuiser les significations. Elle est le résultat d’une convergence de signifiants et s’inscrit dans un ensemble ramifié dont on peut soupçonner d’autres expressions dans les fêtes au mât – le tronc devant servir à cet usage, chez les Pataxó, est d’abord employé comme pénis fécondant les maisons. A l’inverse, le concours de tir à l’arc que proposent les Pataxó aux touristes venant visiter la Jaqueira (municipe de Porto Seguro) est un marqueur de l’indianité des maîtres des lieux. Si développements explicatifs il y a, ce sera à partir d’un faisceau divergent : partant du fait ou de la chose désignée, on lui assignera a posteriori une série de significations. Je me rappelle ainsi une conversation étonnante avec un jeune anthropologue bahianais, afro-brésilien, qui m’avait expliqué que la « roda de capoeira » renvoyait à la figure universelle du serpent qui se mord la queue, et partant de là, déclinait une symbolique de l’éternel recommencement, etc., choses dont la capoeira pouvait fort bien se passer. Le fait que la capoeira se pratique (aujourd’hui) en cercle devait pour lui forcément signifier quelque chose, et il fallait donc invoquer les grandes figures circulaires de l’humanité, Table Ronde incluse, afin de complexifier (ou « mystériser ») la ritualisation de la capoeira. Ces observations amènent plusieurs remarques : - la première est qu’il faut distinguer divers ordres de stéréotypes : les stéréotypes latents, souvent informulés, qui relèvent d’un monde de représentations partagées par le groupe ; et les stéréotypes qui résultent d’une communication intense avec la société environnante, de par la multiplication des sphères de médiation (télévision, missionnaires, universitaires, voyages de groupe, etc.), phénomène dont l’importance est telle aujourd’hui qu’on peut l’inscrire dans une réflexion plus générale sur la « globalisation » ; - la deuxième est que l’existence d’agents culturels ne rend pas compte de la complexité du réel ; la réalité la plus répandue (la plus « réelle ») est que l’immense majorité des Pataxó, loin de songer à se grimer ou à rencontrer des touristes, vaquaient à leurs affaires, c'est-à-dire à leurs champs. En outre, un vaste trafic d’objets en bois, mettant en péril la survie d’un reliquat de forêt déclaré « réserve de la biosphère », donnait lieu à des dénégations ou à des explications embarrassées.
J'ai deux problèmes avec cette partie-là (trois si on compte celui qui découle du fait que je ne parle pas le brésilien, mais celui-là me semble secondaire) :
- premier problème : je suis tout à fait incapable de faire le lien entre votre première partie et la deuxième. Cela peut provenir du fait que je ne dispose pas du corps de votre première partie, qui doit logiquement amener à la seconde, mais cela reste néanmoins susceptible de poser un problème formel.
Je le signale notamment parce qu'il me semblait n'avoir pas trop mal compris votre Intro chapitre 1.
- Le second problème est lié au fait que je ne comprends pas quelle est la problématique de votre seconde partie.
La première intro m'apparaît plus structurée. On a davantage l'impression d'une lecture théorisée et problématisée d'un questionnement : décentrement de l'observateur/commentateur, problématisation de la transparence du langage ("a rose by another name..."), Bouveresse et sa troisième voie (le langage est imparfait à décrire le réel dans sa totalité, mais y tend suffisamment pour être utile à le décrire), et la limite de la troisième voie : quid d'un intelligible non verbalisable ?
Bon.
Et je vois pas du tout comment vous en arrivez à la partie 2 : les mondes de la représentation.
Est-ce la suite de la question soulevée par votre interrogation sur l'intelligible non verbalisable ? Pourtant, les représentations que vous décrivez sont précisément verbalisables et verbalisées (vous parlez d'ailleurs d'un guide de lecture).
Qui plus est,
cette deuxième intro diffère sensiblement de la première, au niveau de la forme, du fait qu'elle donne l'impression d'être plus descriptive, et moins "théorisante" si vous voyez ce que je veux dire. Je me demande là aussi si cela ne soulève pas un problème de forme. En tout cas, cela ne me permet pas de comprendre votre problématique.
(Ceci dit, relativisez la portée de tout ce que je raconte, je vous rappelle que je n'y connais rien après tout).
Rédigé par : Fantômette | dimanche 14 déc 2008 à 16:31
Juste pour rajouter un truc : en fait, cette intro ressemble moins à une intro qu'à une partie. Toujours formellement. Voilà, je crois que c'est plus clair si je le formule ainsi.
Rédigé par : Fantômette | dimanche 14 déc 2008 à 16:32
Vous devez être une redoutable avocate : vous percevez immédiatement la faille du dossier ! La vérité est que ceci n'est pas l'intro à mon deuxième chapitre, mais la première sous-partie, bien vu! Je n'ai pas mis la véritable intro qui faisait référence à la constitution de l'ethnologie comme une science engagée (au départ, les ethnologues étaient au service des empires coloniaux, c'est dans les années 50 qu'ils ont basculé dans le camp des peuples qu'ils étudiaient). Cette intro était davantage en rapport avec l'intro de la 5e partie.
Le problème de cette synthèse, quand on l'aborde de manière fragmentaire, est que je suis différentes lignes argumentatives : le langage comme créateur de fiction (l'hominisation en étant une à mon sens), le rapport entre vision du monde et action sur le monde (en l'occurrence sa destruction); et un programme de recherche sur deux niveaux : 1) défaire l'écheveau de représentations qui justifient, y compris légalement, notre usage immodéré de la nature; et 2) agir sur le terrain en trouvant des modalités d'usage des ressources au sein d'aires protégées.
Maintenant, pour vous éclairer sur le rapport entre les chapitres 1 & 2, il s'agit d'aborder la question du discours à propos d'une réalité, et le fait que l'ethnologue a affaire à des discours des Indiens sur eux-mêmes, qui risquent d'entraver l'accès à la réalité de la vie quotidienne, et dans le cas des Pataxo que j'étudiais (et qui font l'objet d'un vaste débat au Brésil) le fait qu'ils tiennent un discours hyperécologique tout en grignotant le bout de forêt préservée qu'ils ont récupéré en arguant du fait qu'ils le protégeraient (80% de déboisement en 15 ans)
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 14 déc 2008 à 16:51
Je crois tout de même, même si c'est un peu elliptique, que cette partie est une transposition de la problématique initiale : en quoi la vie quotidienne des Pataxo est-elle générée par la réalité environnante ou par une série de schèmes générateurs de rituels, tantôt anciens, tantôt liés à leurs rapports aux touristes et aux anthropologues. (ce qui dans l'intro au premier chapitre prenait la forme des modes d'engendrement de la fiction, selon des règles propres au langage ou des éléments empruntés au réel). L'allusion à l'ethnogenèse vient de là: peut-on aller jusqu'à dire qu'un groupe humain est susceptible de se refonder en permanence, à partir de rien ou presque, de se constituer comme une fiction, dépourvue de rapport avec son environnement ou la simple réalité? Ma réponse est non, mais il s'agit d'une hypothèse de travail.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 14 déc 2008 à 17:07
OK, je comprends mieux.
Finalement, votre deuxième partie est ce qu'en langage juridique on appellerait la "qualification" de vos observations, au regard des concepts que vous avez définis dans votre première partie, c'est cela ?
Dans la partie II, vous envisagez de qualifier le discours produit par les Pataxo sur eux-mêmes de "fiction" au regard de leur structure interne ou des règles de leur engendrement (toujours si j'ai bien compris).
Bon, je passe au III.
Par contre, prévenez-moi tout de suite si vous avez encore transformé des parties en intro, parce quà tous les coups, je vais retomber sur le même problème formel.
Une question en passant : c'est classique en anthropologie les plans en cinq parties ?
Rédigé par : Fantômette | dimanche 14 déc 2008 à 18:04
Cinq parties? Classique, non, mais courant je crois.
Pas d'entourloupe, le reste est bien une série d'introductions :-)
En revanche vous allez bondir si vous attendez un rapport direct entre les II et III. J'alterne réflexion théorique et recherche appliquée, cela pour les besoins de la synthèse qui est, rappelez-vous, une forme d'exposé raisonné des recherches que j'ai menées au long de ma carrière (en littérature, puis sur la question des stéréotypes identitaires à Bahia, puis sur celle des déterminants du développement durable en Amazonie). Tantôt j'expose un problème théorique (ce qu'on appelle une hypothèse de travail) que les faits doivent conforter ou infirmer, tantôt j'expose une succession de faits observés qui m'amènent à élaborer une proposition théorique, cela en respectant plus ou moins la chronologie de mes travaux.
Cela n'excuse rien d'ailleurs si l'ensemble vous paraît confus, et vous infliger les 200 pages de l'ensemble risquerait d'aggraver mon cas.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 14 déc 2008 à 18:20
Je ne crois pas que le problème soit de savoir si l'ensemble est confus ou pas. Enfin, si, mais peut-être pas de la façon dont vous l'entendez.
Vous avez un parcours intéressant parce que transdisciplinaire. Vous assumez cette transdisciplinarité dans votre démarche universitaire en prenant des thématiques convergentes par différents bouts.
Je trouve cela très intéressant, et pense que cela doit être fructueux.
Mais je crois aussi que, précisément, l'HDR (au-delà de la modification statutaire qu'il vous apporte et qui sera un plus - ou plus exactement, dont l'absence risque de devenir un moins) est une étape de travail dont il faut tirer profit, précisément pour sortir de la chronologie et de la juxtaposition de vos différents champs d'investigation.
Je crois qu'on peut envisager l'HDR un peu comme ce jeu, vous vous rappelez, où il fallait relier les points dans un certain ordre, pour découvrir un dessin.
Vous dessinez les points, en reliez certains, mais d'autres restent isolés, et sans connection avec le reste. Or, il faut faire l'hypothèse qu'il y a une logique. Effectivement, le problème c'est le III, tel que vous le présentez dans son intro. (Enfin, je dis le problème, ce n'est pas le bon terme. Le III, c'est le point isolé).
Mais, là aussi, à vrai dire, je me demande si ce n'est pas, précisément, un problème dans la façon dont vous avez rédigé et construit l'intro.
Un peu comme pour le II, je trouve l'intro du III peu conceptualisée. On voit bien où vous voulez en venir, c'est compréhensible. Mais là, vous présentez un projet (c'est un peu comme votre contre-lettre), vous suggérez une piste d'action, nourrie de concepts anthropologiques sûrement, mais qui sont peu apparents et se mettent au service d'enjeux politiques. Cela le rend détonnant par rapport au reste.
Vous produisez vous-même brusquement un discours du type de ceux que vous disséquez et analysez.
Ceci dit, je pense que vous n'avez pas nécessairement ce problème-là dans le corps du III.
Alors, je me suis demandée si votre III n'aurait pas fait plutôt un V. Mais à la réflexion, je ne pense pas. Je crois qu'il est central dans votre pensée, et qu'il est donc à sa place en inclusion sémitique. Mais il reste à relier plus lisiblement au II et au IV. Il faut que vous le rattachiez aux concepts et lignes directrices des deux parties qui l'encadrent.
Enfin, ce n'est que mon point de vue d'ignorante, hein, j'dis ça ...
Rédigé par : Fantômette | dimanche 14 déc 2008 à 20:56
Bon, il faut que je mûrisse vos remarques. Il faut que je les mûrisse en tenant compte du fait que vous avez peut-être raison. A ma décharge, il faut vous rappeler que ces introductions successives ne sont pas liées entre elles, mais aux conclusions des parties qui précèdent. Le fond du problème, que vous pointez, est qu'en effet je prône un certain engagement. Mais ce qui pose question, est que mon engagement n'est pas anthropologique au sens strict du terme. Je serai évalué par mes pairs qui sont tous membres de Survival International, ou ont contribué à des missions d'expertise visant à délimiter et protéger des Terres Indigènes et autres territoires. Ma gageure est de suggérer que notre attention doit également se porter sur des aires protégées en fonction des écosystèmes qu'elles abritent. En ce sens, oui, ma position est politique. Ce que je dois évaluer, d'après vos commentaires, c'est si le contenu même des chapitres est politique également, ou si j'en reviens à la notion plus classique d'argumentation scientifique.
Cela dit, il faut nous entendre sur le sens de politique : faire en sorte que les Indiens ne soient pas exterminés à la mitraillette, comme ils l'étaient dans les années 20 au Brésil, est politique. Faire en sorte que les écosystèmes terrestres ne s'effondrent pas est également politique, au sens où cela intéresse tout le monde. L'anthropologie est une science appliquée, comme l'est le droit : votre savoir vous guide à l'heure du procès. Elle est aussi une science impliquée, dans la mesure où elle tient compte ou cherche à déterminer les intérêts supérieurs de ceux qu'elle étudie. Mais je ne cache pas que vos remarques sont fondées et qu'elles m'obligent à davantage de réflexion.
Rédigé par : Anthropopotame | dimanche 14 déc 2008 à 21:17
Je dois ajouter quelque chose (qui figure en fait dans l'intro générale) : l'attitude destructrice des humains à l'égard du vivant - cf ma note "sans commentaire" où je cite des extraits du "Chasseur français" - est une question anthropologique fondamentale. Il n'y a pas de différence essentielle entre le français moyen qui détruit les ronces, les orties, les renards, les taupes, les lapins, les fourmis, les vipères, les araignées, les loirs, les lérotins, les "mauvaises herbes", et les fazendeiros qui brûlent des milliers d'hectares de forêt amazonienne ou indonésienne. Il s'agit d'une attitude générale de l'humanité vis-à-vis de la nature. J'essaye, en tant qu'anthropologue, de comprendre les mécanismes de cette attitude, et dans le contexte de crise environnementale, de chercher les moyens de l'atténuer. Cela est clair pour moi, mais il est évident que ce n'est pas suffisant, et je dois donc cadrer davantage mes propos.
Rédigé par : Anthropopotame | dimanche 14 déc 2008 à 21:42
Je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendu.
Je ne disqualifie pas par principe votre III parce qu'il est porteur de votre engagement, engagement pour lequel j'ai le plus grand respect.
Mais je crois qu'y compris cet engagement aurait tout à gagner à trouver sa place au sein de votre expertise universitaire et dans le cadre des pistes de reflexions que vous y élaborez.
En d'autres termes, cet engagement, pour filer ma métaphore, ne peut pas rester un point isolé, posé à côté de l'image, sans que vous lui fassiez courir le risque de perdre le bénéfice de vos recherches.
Rédigé par : Fantômette | dimanche 14 déc 2008 à 21:58
Fantômette, vous êtes surprenante. Car j'en viens à craindre à la fois la pertinence de vos remarques et le fait que vous cessiez d'en faire :-)
Le plus simple est que je vous explique le contenu de ce troisième chapitre. Il s'agit de cette partie de mes recherches qui avaient une finalité pratique, c'est à dire évaluer le degré de réussite de programmes de "développement durable" en Amazonie, aussi bien chez des Indiens que chez des populations traditionnelles (cf catégories "Mission Iratapuru", "Mission Oiapoque" et "Mission Rondonia" ci-dessus à droite) du point de vue socio-environnemental. Peut-on concilier l'amélioration des conditions d'existence des populations tout en préservant les écosystèmes et en assurant la viabilité économique des programmes? Ces programmes de développement, je vous le rappelle, sont financés par la Banque Mondiale mais aussi des organismes tels le Fonds Français pour l'Environnement (FFEM) ou l'Union Européenne, c'est à dire par l'argent des contribuables que nous sommes. Pour mener à bien ces missions, il faut maîtriser certains concepts qui ne sont pas proprement anthropologiques, mais relèvent de l'économie, de la démographie ou de la géographie.
L'introduction, que vous critiquez avec raison, "dramatise" en quelque sorte les enjeux, et les place sur un plan plus global de politique environnementale concertée à l'échelle internationale. Il s'agir pour moi d'expliquer le rôle de l'anthropologie dans cet ensemble, en contextualisant les enjeux.
La correction que je puis apporter, en tenant compte de vos remarques, serait, d'abord de dédramatiser, puis tout bonnement d'annoncer mon plan...
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 14 déc 2008 à 22:16