Retour de Cerisy. Trois heures dans un train surchauffé, complétant mon régime par une séance de sauna.
Tant d'émotions après cette étrange semaine de tensions et de consolations. Tant de gens aimables qui font oublier les "dispositifs" destinés à faire taire ceux qui n'appartiennent pas à la secte des constructivistes. J'emploie le mot "dispositif" car comme au tiercé il l'emporta de plusieurs têtes sur tous les autres concepts, récalcitrance, hésitation, etc. Nos phrases devaient contenir ce mot, il fallait donc les ciseler afin de le laisser apparaître en majesté.
Dispositif de contrôle de la parole: derrière, des soupirs exaspérés, devant des visages clos. Vous posez une question, faites un commentaire: ils ne sont pas relevés. Des gens détournent la tête quand vous leur parlez. Et au repas, tandis que nous autres innocents circulions de table en table, à l'autel de la reine rouge les places étaient réservées: l'éditeur, les groupies, les docteurs et doctorants, le même groupe constamment reformé.
Mais en dehors de cela, nous autres les pop-corns qui achetions du calva et le buvions sous les étoiles, vivant des moments d'étrange fraternité, nous étions en vacances, étranges vacances où l'on s'assoit et où on parle parle parle, chaque conversation allant au plus intime.
Hier soir, j'ai laissé le groupe se défaire pour rester auprès d'une jeune Américaine du colloque Stieglitz. A mesure que tombait le serein nous nous pelotonnions sous la couverture qu'elle avait apportée. Et nous parlions de constellations et de Scott Fitzgerald, et je songeais, comme Julien Sorel, au moment où je devrais prendre sa main. Mais aucune horloge ne vint battre cette heure.
Je suis exalté et bien loin de penser à des choses tristes, à des arguments à combattre. J'ai conclu en disant que nous étions nous mêmes des animaux de laboratoire, et qu'il nous faudrait en tenir compte. Le dispositif était posé, les amitiés, inimitiés, les idées cédaient le pas à cette tension, et moi-même, m'exprimant depuis un siège excentré, je sentais que personne ne relèverait cela, que Derrida avait raison, et qu'il fallait parler de nous en ces termes: "Ces animaux que donc nous sommes".
(c) Marie-Christine Favé
Ah comme j'aurais aimé être couché à ta place dans l'herbe, là, avec ces 2 poulains...
Rédigé par : Dodinette | samedi 10 juil 2010 à 17:18
Certes, mais aurais-tu aimé la contrepartie, c'est-à-dire être traitée de chauve prétentieuse?
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 11 juil 2010 à 11:09