C'est la rentrée à Neverland. Comme les horaires sont désormais attribués par ordinateur, nous commençons nos journées à 8 heures et les terminons à 19h. Certains assument jusqu'à 6 heures de cours d'affilée. L'ordinateur ombrageux ne tolère pas les changements de salle ou d'horaire.
Cette contrainte naît, paradoxalement, des filières à succès: celles qui, année après année, engrangent des dizaines d'étudiants supplémentaires, faisant fi des limites physiques des établissements et de l'interdiction qui nous est faite de recruter des enseignants. Si un holà à été mis par le Président, ce n'est pas pour ces raisons élémentaires, mais parce que l'enveloppe réservée au paiement des enseignants est désormais sous étroit contrôle budgétaire - autonomie oblige.
Nous évoluons, donc, dans notre univers feutré, passant d'une salle entièrement équipée à une autre, où les volets se déglinguent à l'improviste, où les lumières ne marchent pas (sauf à lancer le chauffage), dans de merveilleux préfabriqués.
Face à nous, des 1ère année pleins d'allant. Certains portent encore les stigmates de leur séjour en lycée: s'asseyant au fond de la classe, soufflant bruyamment, plutôt fiers de leur inculture. "Venez vous asseoir devant", leur dis-je. "Avez-vous des raisons particulières d'émettre des bruits?"
On en vient au contenu. A quoi sert le cours? Voyons ce texte; de quoi parle-t-il; repérez les mots-clés et les articulations. 10 minutes passent. Les mots-clés sont soulignés, les articulations entourées: "De quoi parle le texte?" Silence. "Très bien, commençons par démonter les blocs. Essayons de comprendre la logique d'argumentation." 15 minutes passent: "De quoi parle le texte?"
- Il parle de la famine?
- Très bien. Quelle famine?
Silence. "Dégageons de chaque bloc de sens les arguments. Pour repérer un argument, commencez par rechercher les articulations: et, donc, pourtant, d'abord..."
Les réponses commencent à fuser. Certaines sont des commentaires apportés au texte, qu'il faut recadrer: "Commençons par la synthèse. Les commentaires viendront après. Vous ne pouvez commencer une analyse si vous n'avez pas entièrement démonté la logique d'argumentation."
Ce qui est compliqué à transmettre, c'est le côté à la fois pratique et théorique de ce type d'enseignement. L'outil est destiné à faciliter la compréhension des cours, la prise de note, la lecture d'articles. Mais, habitué à des enseignements sectoriels, les étudiants ont du mal à comprendre qu'un cours n'est pas achevé lorsque l'heure a sonné, qu'il doit faire l'objet d'une réflexion, et d'une application à d'autres cours.
Et puis, il y a la disparité des étudiants: ceux qui comprennent où on veut en venir, et savent interpréter les objections, et puis ceux qui ne savent pas ce que signifie "décupler" ou "anachronique", ne connaissent pas l'histoire de la 2e guerre mondiale ou de la Nuit de la Saint Barthélémy.
Moi-même je vis sur des réserves. Je ne m'offusque plus des fautes d'accord qu'on trouve dans le Monde, jusque dans les titres. Mon expression se relâche, mes phrases deviennent incorrectes. Quelle énergie doit-on déployer pour expliquer la distinction entre "avoir intérêt à" et "avoir de l'intérêt pour"? Si l'on y tient absolument, l'oeil finit par se focaliser sur les fautes de langue et perd complètement de vue le contenu de l'article, ou du plan de travail...
Marchant d'un site à l'autre, ruminant le contenu des cours, ce qu'il faut changer, revoir, compléter. Faire quelque chose avec ce que l'on a: bricoler.
Heureux de vous relire, cher anthropopotame.
Bon courage pour une nouvelle année à Neverland !
Rédigé par : Ono | mardi 25 sep 2012 à 09:31