Avant de lire ces lignes, il faut consulter ce petit montage du discours de notre Président sur "le lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d'innovation" prononcé le 22 janvier. Le ton est donné dès les salutations.
Les jeux étaient-ils faits à la fin du discours ? Non. Ils étaient faits avant. La vidéo est intéressante car elle illustre, par la gestuelle et l'attitude corporelle de notre Président, que ce sujet l'ennuie profondément. Il aimerait être ailleurs. Ses brusques affaissements, ses regards lancés au hasard, l'air blasé de qui tient un discours dont il sait qu'il n'entraînera pas débat, puisque les décisions ont été prises, tout cela est nécessaire pour comprendre la réaction des chercheurs.
"Depuis combien de temps n'avons nous pas un débat sur quelle était la politique scientifique de la France? C'est quand même un sujet!" s'écrie-t-il. Sans doute était-il trop petit pour se rappeler les assises de la recherche, en 2004 et 2005, organisées par Sauvons la Recherche, le livre de propositions qui en a émergé. "C'est quand même un sujet!" Oui, et nous voilà forcés à débattre publiquement puisque nous n'avons pas été pris en compte, et qu'une fois encore, un Président, écartant tout contradicteur, suggère à l'opinion publique que les chercheurs en France, "à financement égal, publient 30 à 50% de moins que nos amis anglosaxons"... "qu'ils sont dans une situation confortable: celui qui produit est celui qui évalue".
Jetant ainsi l'opprobre sur une classe de nantis et de fainéants, déchaînant les commentaires des Roberts et des Josettes, qui réclament des "trouveurs", stigmatisent des "professeurs Nimbus", fustigent les "inutiles", notre Président croit trouver dans la France éternelle, la France du bon sens et du dégourdisme, la France des débrouillards, de la Milice, un appui décisif.
Plusieurs réponses ont fusé, de-ci, de-là. Trautmann relevait que parler de "bataille de l'intelligence", concernant le monde de la recherche, était un non-sens. Le monde de la recherche, comme son nom l'indique, est cosmopolite, il est fondé sur l'échange, il est gratuit, ignore les droits de douanes et les rétentions aux frontières.
D'autres ont signalé que l'évaluation était permanente, et à plusieurs niveaux: lors du recrutement, lors de la présentation des projets, lors de leur évaluation, lors des publications des résultats, qui seront évalués par des revues dont l'acquiescement ou le refus vaudra pour l'évaluation globale - rapports annuels et quadriannuels des chercheurs, servant à l'évaluation des labos...
L'évaluation qui manque, c'est celle des enseignements, et celle de l'activité de recherche par l'Université elle-même, et non par le labo auquel l'enseignant-chercheur est rattaché. Si ce point venait à être discuté, il faudrait se demander pourquoi les enseignants chercheurs tiennent tant au CNRS, seule structure prestigieuse à laquelle se référer, tandis que les Universités ne parviennent pas à créer ce sentiment de loyauté et d'appartenance, ni chez leur personnel, ni chez les étudiants. "Gestion de flux", disons-nous de la première année. Pas de reconnaissance sociale, secteur peu valorisé, désenchantement permanent et meurtrier.
L'évaluation régulière proposée par la réforme, l'autonomie des universités va dans le bon sens - de cela je suis persuadé. Mais l'université continuera à n'être qu'un acteur de second ordre dans la formation d'une élite, le gouvernement axant tout l'effort de canalisation des talents vers les Grandes Ecoles. Combien de nos ministres, combien de capitaines d'industrie, combien de hauts fonctionnaires ont-ils arpenté les couloirs verdasse de Paris III au temps où j'y étudiais ? Combien d'entre eux se sont essayé à aller aux toilettes à Paris VIII ? Bouffé des sandwichs congelés, des croque-monsieur puants, croisé des élèves qui vous disent qu'ils ont mieux à faire, et s'entendre répondre par les Relations Internationales: "Fort bien, bouclez votre projet de coopération, cherchez des financements ailleurs, et nous vous appuierons"
Le système est structurellement injuste, les universités sont structurellement de second rang, les recherches sont structurellement sous-financées, et l'on comprend l'air gouailleur du président lors qu'il déclare:
"Nulle part dans les grands pays, sauf chez nous, on n’observe que des organismes de recherche sont à la fois opérateurs et agences de moyens à la fois, acteurs et évaluateurs de leur propre action. Je vois que cela peut être confortable. Je pourrais en tirer quelques conclusions pour moi-même."
A mêler en permanence enseignement et recherche, quand c'est l'enseignement qui est bancal, à lancer des pointes qui sont destinées, non aux enseignants-chercheurs, mais aux Roberts et aux Josettes qui riront à leur tour avant d'être scandalisés, il s'impose une conclusion: le Président ne maîtrise pas ce dossier, se moque de ce dossier, il se fiche d'évoquer une situation réelle, il propose des slogans, parle de stratégie, parle d'innovation, parle d'intelligence, parle de défis du XXIe siècle, mais il ignore tout à fait la production scientifique française, il pense qu'elle se mesure en nombre de prix Nobel, caresse dans le sens du poil "Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise", ceux-là mêmes qui ont bénéficié, des années durant, d'un accès gratuit aux brevets déposés par la recherche publique, et se sont ainsi dispensés de créer des structures de recherche. Parasitant l'Etat, s'abreuvant à l'effort public, puis claironnant qu'ils veulent la libre initiative, et le Président les rassure : pauvres chouchous nous vous aiderons! Nous donnerons des coups de pied au cul à ces tocards ignorant la belle entreprise.
J'ai eu mal, en tant que chercheur, quand il m'a fallu mendier des crédits pour participer à des colloques, crédits que je n'ai pas obtenus, et suis allé à ces colloques parce qu'ils font partie de mes obligations de recherche. Les voyages au Brésil que j'ai payés parce qu'il fallait que ma recherche avance. J'ai mal, en tant qu'enseignant, de n'avoir pas d'interlocuteurs, pas d'étudiants motivés sinon tous les deux ou trois ans. Avoir des étudiants en bord de rupture sociale, et s'entendre dire "vous avez dépassé votre quota de photocopie". Mendier pour être publié. Faire les mise en pages, fournir les manuscrits clés en main. N'avoir pas d'éditeur scientifique digne de ce nom en France. N'avoir pas de structure qui traduirait nos articles en anglais.
Pourquoi ce discours ? A quoi bon ce discours ? Pourquoi ce ton méprisant pour parler d'un sujet qu'il ne connaît pas, qui l'ennuie ? Jamais vous n'entendrez, au cours d'un séminaire, quelqu'un aligner des incohérences et des inexactitudes sans que personne ne les relève. Personne n'oserait présenter un papier contenant des données non vérifiées.
La recherche et l'université tiennent parce que nous avons un semblant d'honneur professionnel, un sens du sacrifice que les porteurs de Rolex ont du mal à mesurer. Torpillez cela et vous aurez réformé la recherche comme on réforme les poules pondeuses et les vaches laitières.
Et ce qu'il y a de pire, lecteur, c'est que j'étais contre cette grève. Mais il a fallu qu'un représentant du peuple vienne se tortiller en public, il a fallu qu'il vienne dire publiquement le fond de sa pensée, comme un gamin vient faire son intéressant. Il a fallu que je lise la note de Narayan rendant public le courrier que les chercheurs ont reçu (- "sous réserve que le CNRS demeure votre employeur"). Il a fallu que j'apprenne que le rectorat d'Orléans cherchait à recruter des étudiants tout juste diplômés de Licence pour pallier les postes non pourvus dans les lycées et collèges.
C'est en entendant et en prenant la mesure du mépris qui sous-tend la réforme que j'ai décidé, moi aussi, de réagir. Le discours de Nicolas Sarkozy est comme le dit Proust "sans réplique car sans réalité". Donc il est inutile de répliquer, il ne reste plus - si c'est d'une bataille d'intelligence qu'il s'agit - qu'à contre-attaquer.
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