Dîner avec Patrick hier, dans un restaurant nommé le 14 juillet.
Petit restaurant branché où les garçons, sortis tout droit de Men's Health ou de Têtu, vous malmènent, vous déplacent, posent le pain sur votre tête ou votre bras plié.
"Prenez votre fourbi", disent-ils au moment où l'on nous change de table.
Rompus au contact avec des Indiens hostiles, Patrick et moi avons sagement obtempéré.
La retraite de Patrick approche, et nous parlions de nos préférences respectives, moi pour l'écriture, lui pour les matières filmées. Les documentaires qui restent à faire. Ses collaborateurs aujourd'hui trop âgés pour tenir une caméra, ou aller sur le terrain.
Je me souviens de nos premières rencontres, il y a cinq ou six ans. La plus grande partie de ce qu'il me disait m'échappait, je n'avais aucune de ses références. Aujourd'hui nos univers se sont rapprochés. Je sais à qui il fait allusion quand il parle de Bill, de Roberte, de Peter et d'autres. Je sais ce qu'il sous-entend lorsqu'il dit qu'Untel a fait son premier terrain chez les Xavante (dans le Top Ten des groupes difficiles).
Mais nous parlons aussi de nos mères respectives, et de celle de Churchill. Nous parlons de Rubem Fonseca, de José Gil et d'autres intellectuels du Portugal ou du Brésil. Nous parlons de Viveiros et discutons le perspectivisme - rapport social ou ontologie? Nous parlons aussi de Philippe, de Pascale, égérie de la profession, des chemins qui nous ramènent à eux ou nous en éloignent.
Patrick me dit se rapprocher de mon point de vue concernant les sociétés animales. Nous convenons que les anthropologues qui affirment que les peuples qu'ils étudient gèrent méticuleusement la biodiversité ne savent généralement pas faire la distinction entre un singe laineux et un atèle, ni entre un lamantin et une tortue marine.
Evidemment, nous parlons du CNU: je lui avoue que j'ignore totalement qui siège ou ne siège pas, que je ne me suis jamais intéressé à ces questions. Je conviens que j'ai eu tort. Que je ne puis entrer dans le milieu et en sortir comme un farfadet ou un lutin. Mais j'avoue aussi ma lassitude devant le fait que chacun de mes articles est jugé "polémique". Une revue en publie un et l'accompagne de deux commentaires comme s'il fallait en neutraliser la portée.
Comme s'il fallait tuer le débat dans l'oeuf. Je lui rapporte ma réponse à La Vie des Idées qui avait refusé un de mes comptes-rendus qui risquait de créer la polémique: "la vie des idées serait donc un long fleuve tranquille?" Non bien sûr, me répondit-on. Mais de fait...
Nous nous sommes quittés bien tard. Patrick m'a raccompagné au métro et m'a rassuré une dernière fois. Aujourd'hui je me remets au travail.
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