J’ai buté hier sur une
opinion publiée dans le Monde, par Sylvie Brunel, ancienne président d’Action contre la faim, intitulée Pour sauver la planète, sauvons les paysans.
"(...) Cette nature que les citadins aiment tant est le produit de sociétés paysannes, qui ont entretenu les chemins, ouvert les espaces inaccessibles, débroussaillé, planté, sélectionné. Les espaces verts sont d'abord des espaces agricoles. Pas un paysage en France qui n'ait été façonné par des paysans. Livrez la nature à elle-même : vous n'y mettrez plus les pieds ! Ronces, taillis, genêts, orties envahissent tout. La diversité et la beauté de la France, notre pays les doit à des siècles de tradition agraire."
J'ignore de quelle nature nous parlons. Livrée à elle-même, la nature produira en effet des ronces, des orties et des taillis, pour la raison simple qu'il s'agit de plantes pionnières, qui réalimentent les sols épuisés, protègent les jeunes pousses, et laissent progressivement la place à une reconquête par les espèces ligneuses. Je suis personnellement opposé à cette vision qui catégorise les plantes en "mauvaises herbes" et plantes "utiles à l'homme", qui renvoie à des pratiques d'éradication appliquées également aux animaux dits "nuisibles". La nature n'est pas mauvaise, non, mais elle est bien maltraitée.
On pourra comparer cet extrait avec cet argumentaire publié il y a quelques années par Luc Guyau, alors président de la FNSEA, "L'Europe
a sa propre vision des choses. Elle s'est construite autour d'une politique
agricole, qui a été progressivement réformée. Celle-ci permet encore le maintien sur nos territoires d'une
agriculture diversifiée et garante des paysages."
Il serait temps de prendre en considération une autre réalité, qu'un documentaire sorti cette semaine donne à voir: Le Temps des Grâces, où l'illusion d'un retour des surfaces bocagères est hélas pourfendue.
Mais l'auteure va plus loin :
"Terminons par ce qui préoccupe le plus la communauté internationale : les gaz à effet de serre. Nous dépensons des sommes considérables pour limiter nos rejets d'oxyde de carbone, lorgnons vers les forêts tropicales comme si elles seules pouvaient sauver la planète. Sait-on que, dans le calcul de l'empreinte écologique, un champ cultivé séquestre plus de CO2 qu'une forêt ? Et une prairie autant ? Il ne s'agit évidemment pas de défricher toutes les forêts pour les mettre en culture - leur superficie ne cesse de toute façon de progresser en France. Il s'agit de comprendre que les paysans, dès lors qu'ils mettent en oeuvre des pratiques durables, sont aussi pour nous les meilleurs garants de la lutte contre le changement climatique."
Une réponse s'impose. Faute de référence précise, il est difficile de comprendre à quoi l'auteure fait allusion, mais confondre séquestration et stockage me paraît bien aventureux. Un arbre pesant dix tonnes stocke peu ou prou 5 tonnes de carbone. Un arbre sur pied est donc un puits de carbone qui se dégage s'il est brûlé. Par ailleurs, il en séquestre et métabolise tout au long de son existence, à un rythme qui diminue à mesure qu'il vieillit. Je ne sais si les plantes cultivées dopées aux intrants parviennent à rivaliser avec eux, mais si cela était le cas, doit-on tenir pour rien l'érosion, l'entropie des sous-sols biologiquement morts, le coût environnemental de l'irrigation, de la récolte et de la transformation? Pourquoi livrer une telle opinion, tellement conforme aux attentes des syndicats majoritaires de l'agriculture et aux producteurs de viande qui proclament les vertus des boeufs élevés en prairie?
Je ne voudrais pas par ces lignes donner l'impression d'accabler une profession ingrate, soumise à des mutations permanentes et à des injonctions contradictoires. Le métier de paysan est en réinvention permanente. Les fermiers des années cinquante, vivant avec leurs vaches, les rituels des moissons effectuées collectivement, puis le remembrement, la professionnalisation et la technicisation, l'avènement enfin de l'agriculture biologique, fait que l'on ne saurait invoquer nulle continuité ou tradition dans la profession agricole, sinon, parfois, un amour pour la terre souvent déçu ou malheureux. Ceux qui s'en tirent le mieux sont peut-être aujourd'hui les grands céréaliers et producteurs de viande gorgés de subventions, et les agriculteurs reconvertis dans le biologique quand ils bénéficient d'un réseau de commercialisation. Entre les deux, endettement, absence de loisir, problèmes de stress physique et psychique. Mais perpétuer le mythe d'une tradition paysanne en France, bercer le citadin de contes et de légendes comme s'il n'avait jamais croisé un topinambour ou un mouton, quel intérêt ? Le faire, mais pour défendre quoi ?
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