Un article du Monde qui vient à point dans la polémique que je compte engager: nous entretenons l'idée selon laquelle les sociétés "traditionnelles" seraient, par essence ou par nature, respectueuses des écosystèmes. Ce qui expliquerait le naufrage de la civilisation occidentale serait le "Grand Partage", c'est-à-dire ce moment de la pensée européenne, appelé "Temps Modernes", où la Nature fut posée en opposition avec la Culture, où les lois naturelles furent inscrites dans un autre registre que les lois humaines. A un moment du XVIIe siècle, la Société se trouva, ipso facto, hors de l'aire d'influence des phénomènes naturels, avec ce que cela implique d'exploitation éhontée tant des ressources que des peuples dits "naturels" ou primitifs, donc non civilisés, etc.
Or, pour reprendre Latour (voir ici), on pourrait dire à lire cet article du Monde que "Nous avons toujours été Modernes", c'est-à-dire que l'exploitation éhontée des ressources et l'incurie quant aux conséquences est une marque de l'humanité en tant qu'espèce, depuis le paléolithique et ses centaines de chevaux précipités du haut des falaises (je n'ose imaginer les chasses à l'incendie de steppe à mammouth...). Que peut-on attendre d'autre d'un primate qui change de niche écologique? Le néolithique n'a fait évidemment qu'empirer une tendance déjà inscrite - le néolithique n'étant rendu possible que par cette tendance.
S'il y a bien un tournant dans la pensée (mais pas dans les comportements), c'est le diagnostic réflexif posé depuis la conférence de Stockholm.
Je vous laisse juge de cet extrait:
"A ces époques, on voit l'émergence chez les Celtes d'une société très inégalitaire, dominée par une aristocratie guerrière qui concentre l'essentiel des richesses", dit M. Olivier. Or de riches sépultures guerrières ont été découvertes dans la proximité immédiate des salines, ce qui suggère que celles-ci étaient, dans cette région, l'un des principaux instruments de l'enrichissement des élites. La ressource a donc été exploitée et, de toute évidence, surexploitée. "Vers 600 avant notre ère, on observe un changement des techniques d'extraction du sel, ajoute l'archéologue. La saumure n'est plus chauffée comme auparavant dans de grands bassins. On ne sait d'ailleurs pas exactement comment le sel était alors extrait. Ce que l'on sait, en revanche, c'est qu'on ne chauffait plus que des petits moules à sel, qui servaient au conditionnement du produit fini, sous une forme standardisée..." Les raisons de ce changement de technique ne tiennent pas à un tarissement de la ressource elle-même. C'est le combustible qui semble faire défaut.
L'analyse des vestiges de fourneaux montre en effet que, jusque vers 600 avant J.-C., les sauniers ne lésinent pas sur le bois de chauffage : chênes et hêtres dominent. Ce sont ensuite des essences secondaires (noisetiers, buissons, etc.) qui fournissent la chaleur nécessaire à durcir les petits pains de sel. Que s'est-il passé ? Pourquoi cette soudaine parcimonie ? "Il est possible qu'on ait connu alors une sorte de crise énergétique, dit M. Olivier. L'ensemble de la vallée a subi un déboisement massif pendant plusieurs siècles et, de toute évidence, le bois de chauffage a commencé à faire défaut..."
Cette déforestation massive, pratiquée pendant plusieurs siècles, a eu aussi un impact fort sur l'environnement. Une fois la forêt rasée, un inexorable mécanisme d'érosion s'enclenche et la vallée est peu à peu remblayée. Outre ce phénomène, des quantités formidables de "briquetage" - les fragments de terre cuite issus des installations, qui doivent être régulièrement reconstruites (bassins, moules à sel, etc.) - sont rejetées dans la vallée. Elles s'y amoncellent. La quantité des amas ainsi accumulés sur ce territoire d'environ 30 km2 est estimée par les archéologues à quelque 4 millions de mètres cubes.
(Stéphane Foucart, "Pollutions antiques", le Monde du 11/09/2009
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