Je reviens de la soutenance d'HDR de Jocelyne Porcher, à Nanterre.
Sa position est qu'élevage et production industrielle ne relèvent pas du même domaine, que dans l'élevage l'animal travaille au côté de l'homme et que c'est donc par la sociologie du travail qu'il convient d'appréhender la relation homme/animal d'élevage.
Jocelyne fait une large part à l'approche intuitive, la seule qui permette d'appréhender l'investissement d'un animal dans la tâche qu'il accomplit, celle-ci se résumant parfois, mais c'est déjà beaucoup, à faciliter le travail de l'éleveur.
Par ailleurs, les travaux de Jocelyne Porcher ont mis en évidence l'immense souffrance qui se dégage des sites de production industrielle, souffrance des animaux, en particulier les porcs, et souffrance de ceux qui y travaillent et doivent jongler avec toute sorte de stratégie d'évitement pour supporter la souffrance qu'ils infligent.
Parmi les reproches qui lui furent adressés, figurait celui de confondre sociologie critique et engagement, et de ne pas adopter, avant de s'engager, une posture distanciée. La réponse de Jocelyne était qu'ayant été elle-même éleveuse, elle a également une vision de l'intérieur dont il ne rimerait à rien qu'elle s'affranchisse.
Norbert Alter lui faisant observer qu'il était présomptueux d'estimer qu'un intellectuel, et lui-seul, pourrait bouleverser les modes de pensée et de production, sa réponse fut qu'il fallait que quelqu'un prenne sur soi pour exprimer les non-dits d'une profession, et porter également cette parole au public. Nous touchions là au coeur d'une question qui aurait mérité un débat à part, dans la mesure où les principaux mouvements alternatifs aujourd'hui ne sont pas affaire d'intellectuels, mais de citoyens désireux de s'informer et de s'engager.
Evidemment, nous nous trouvions ici face à un cas d'école: sept collègues masculins, bien établis, massifs, face à une frêle jeune femme habillée en garçonnet. Mais la domination symbolique n'a pas trouvé à s'exercer, sinon dans les interstices. Les commentaires furent chaleureux et les réponses apportées par l'impétrante, à la fois claires et mi-bredouillées, toujours lumineuses quand elles se concluaient.
Je suis frappé par la possibilité qui s'ouvre, aujourd'hui, de considérer l'animal comme partie intégrante du champ des sciences sociales. Il y eut des pionniers, comme Tim Ingold, mais qui ne furent suivis que vingt ans après.
Cette soutenance devait être très intéressante en tout cas.. mais il vrai qu'on demande au sociologue de rester OBJECTIF et cette objectivité permet bien souvent de dénoncer de nombreux problèmes sans s'engager. C'est là tout l'art de la sociologie et tout son intérêt car les conclusions d'études sont souvent indéniables.
Rédigé par : Paulette | jeudi 16 sep 2010 à 23:11
Moui, c'est ainsi qu'on produisait, dans les années 60, de superbes études sur les Indiens du Vaupés Colombien, évoquant leurs rituels et leur chamanisme, tandis que dans le même temps ces Indiens se faisaient massacrer et enlever pour aller collecter du caoutchouc. Mais dans les années 60, on considérait encore que cela relevait d'un épiphénomène, indigne de figurer dans une enquête.
La position de Jocelyne, et les outils conceptuels qu'elle déploie, sont innovants: elle mise sur la subjectivité, l'intuition (la capacité à percevoir les non-dits). De ce point de vue, elle prête le flanc à la critique; mais si les résultats qu'elle apporte et le champ qu'elle ouvre à la discipline sont subordonnés à cette subjectivité, je pense qu'elle a raison de s'y attacher, et six membres du jury sur sept ont considéré qu'elle avait toute légitimité pour le faire.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 17 sep 2010 à 06:55