Jeudi, 10 juillet, vers 8h du matin. Le programme de la journée n’est pas établi. Petite conversation avec Liz et Philippe autour du petit déjeuner : tout est mauvais, du beurre au pain en passant par les biscuits. Seuls les fruits sont acceptables. Inutile pour moi d'aller au Ranchão : Mirlem n'y travaille qu'un jour sur deux, et c'est un jour "sans".
Je me suis réveillé un peu faible, mal de gorge, flemme.
A mesure que nous avançons, nous découvrons la face obscure de l’APA, mais il s’agit essentiellement de bribes de phrases et de rumeurs. Il reste à expliquer comment la direction a pu échapper au contrôle des membres, et pourquoi rien n’a été fait pour récupérer l’argent détourné, si détournement il y a eu.
A peu près tout le monde a le même argument pour expliquer le manque de solidarité et de cohésion sociale ici (qui à vrai dire ne m’apparaît pas choquante) : les origines multiples des habitants : capixaba, paranaense, gaucho, baiano, chacun avec sa tradition. José de Jesus m’a dit qu’autrefois il y avait un CTG (Centro ou clube de tradiçao gaucha) mais qu’il n’y en a plus à Ouro Preto do Oeste. J’essaye pour ma part de comprendre si existent des liens familiaux structurants mais à part les enfants de migrants, il y a peu d’éléments. La seule chose que je retiens est que José de Jesus me dit que le peuplement des lignes se faisait préférentiellement avec des gens de même origine. Les migrants d’ailleurs venaient souvent précédés d’un éclaireur, qui s’assurait d’un lot puis prévenait sa famille et ses amis restés au lieu d’origine. Il y avait un centre de triage, les familles les plus nombreuses recevant les lots les plus faciles d’accès, les couples sans enfants devant se contenter de terres moins gratifiées.
Ces gens étaient heureux de recevoir une terre, première fois qu’ils en possédaient une, et s’agissant d’un PIC (projet intégré de colonisation) l’accompagnement de l’INCRA était exhaustif, l’organe étant en charge tant des infrastructures que de la santé et de l’éducation. A l’arrivée les colons recevaient des outils, des semences, des bons d’alimentation, et devaient se lancer dans le déboisement. Généralement ils le faisaient à la hache, je suppose qu’ils devaient être tentés de mettre rapidement le feu sans faire très attention à sa propagation.
Premier rendez-vous, Embrapa (équivalent de l’INRA). Petites maisons au milieu de plantations expérimentales d’hévéa, de pupunha, de cupuaçu et de café. Nous rencontrons João Maria et Samuel, air de paysan rusé, chargé de la diffusion de la technologie auprès des agriculteurs. L'Embrapa d'ici s’occupe essentiellement de café, plus au nord on élève des buffles pour le lait et la traction animale. Testent les « consorcios » (moins avancé que SAF) : seringueira cacau, seringueira café.
Quand l’INCRA est arrivé, tout s’est conjugué pour favoriser le desmate et la monoculture. L’aide arrivait en fonction de la surface déboisée.
Selon João Maria, le problème de l'APA était le manque de matière première : « muito cacique pra pouco indio, muita fala e pouco trabalho ». “Beaucoup de chef et peu d’indiens, beaucoup de discours et peu d’actions”. Ceux qui produisaient pour l’APA n’étaient pas payés. Le discours environnementaliste est bon pour trouver des fonds, dit-il, mais les membres avaient une aversion pour les techniciens. Ils refusèrent d’en contracter pour appliquer le pro ambiente. Les buffles d’Abilio lui ont été fournis par l’Embrapa, mais il ne le reconnaîtra jamais. Le buffle résiste aux ectoparasites, pas besoin d’insecticides, plus rustiques, mange davantage de chose, et son lait est plus valorisé è compense le fait qu’il a besoin de plus de pâturage.
JM observe que problème de Rondonia est d’avoir quasi deux fois plus de bovins que capacité de paturages : 11M de têtes quand maxi serait 7 millions. Je trouve que Samuel et son air roublard mais sympathique ferait un excellent mari pour Liz.
Antonio Carlos a été président de l’APA en 2006, mais a renoncé quand il a vu la taille du déficit. C’est Joao qui a alors assumé. APA fonctionnait bien quand elle avait 30 socios. Walmir savait administrer, il achetait des projets à ceux qui savaient en faire. Il était bon pour courir le monde, pour réunir de l’argent. Mais les socios n’avaient pas de capacité de production. Le problème est apparu quand ils ont commencé à produire ! Il semble que tout soit resté pure virtualité ; exemple des plants, largement insuffisant pour couvrir demande, comme par exemple pour le reboisement du Boa Vista (d’après certaines sources, ceux à qui ils avaient acheté les semences n’en produisaient pas… Mystère, mystère). Pour fournir Alter Eco, ils étaient obligés d’acheter du palmito partout, leurs membres ne produisaient pas ou ne voulaient pas leur vendre, donc achetaient au Reca (autre assoc de petits producteurs située au nord de l’Etat.
Les membres étaient éloignés les uns des autres, ils n’avaient pas d’origine commune, pas de liens de parenté. Le personnel administratif de l’APA recevait des cours de formation, ils allaient se former à Rio, alors que Samuel, fonctionnaire, n’a jamais rien obtenu de l’Embrapa ! (pointe d’envie). Lorsque venaient des ressources, la plupart était dépensée en voyages, plutôt que d’être réinvesti dans la production.
Ils expliquent que l’APA a échoué, mais que les producteurs qui y adhéraient sont des gens sincèrement attachés à la terre. Les fils des producteurs d’ici ne reprennent pas les exploitations, ils partent en Europe, dans la construction civile, en Italie, Allemagne, Portugal ou à Londres. Nous donne l’exemple des fils d’Abilio qui sont aux Portugal (NB les fils d’Elias de l’Emater sont aussi au Portugal, mais pour étudier). Ce sont les ruraux qui migrent, les plus robustes, ce sont parfois leurs propres parents qui les y incitent.
Selon JM et Samuel, les producteurs de lait et viande n’ont aucune pression qui les inciteraient à reboiser. De plus, ils ont les moyens d’accéder individuellement au crédit voire de s’en passer. Le Ministère de l’Agriculture ne donne aucune orientation en ce sens à l’Embrapa, l’aide technique n’est pas conditionnée par la conduite respectueuse. Pas de concertation avec le Ministère de l’Environnement. Nous parlent du MDA (ministère du développement agricole, scission du ministère de l’agriculture par Lula, inclut INCRA, plus orienté vers petites exploitations.
Entrons dans le domaine intime : Samuel explique que Lindomar est non seulement principal suspect du pillage caisse APA, mais il a aussi séduit Renilda, qui s’occupait des comptes.
Je sors fumer et j’attire l’attention de Samuel, je lui demande qui pourrait nous dire la vérité au sujet de l’APA. Il me répond que c’est Alexandro, mari d’Ivone, qui travaille dans magasin de motos. Il a été gérant des fonds du Pro Ambiente confiés à l’APA.
Il nous y conduit en moto, mais Alexandro est en stage à Sta Catarina, il a démissionné. Nous obtenons numéro de sa femme Ivone qui travaille dorénavant à Fazendinha, petite exploitation et resto mineiro à 20 km d’Ouro Preto.
Nous allons déjeuner à Fazendinha, content de trouver de la nourriture Mineira. Petit resto au bord de la route, très agréable, avec boutique de produits régionaux (j’apprendrai plus tard que les produits viennent de Minas, à part le miel, du Mato Grosso). Les tables sont faites d’énormes planches de troncs entiers. Cuisine mineira, assez bonne, jus de fruit d’araça. Notre petit jeu est de déterminer qui est Ivone, Liz puis moi allons demander à la même personne si c’est elle. La deuxième fois, la femme en question me regarde avec des yeux étonnés. Mais non, il s’agit de la femme de Deuseminio, de la CEPLAC.
Ivone est à la caisse, elle est blonde comme les blés, assez jolie même si prématurément vieillie par le soleil. « Ivone, lui dis-je, nous te cherchions partout » « Je sais » « Nous avons fait un long chemin pour te voir ». "Je suis là, tu m'as trouvée".
Je tombe sous son charme : elle a un regard franc et de beaux yeux bleus. Mère allemande, père polonais, parlait polonais à la maison quand elle était petite. Je l’invite à dîner avec nous ce soir, elle accepte volontiers (elle oubliera le rendez-vous, nous ne la verrons que demain). Je décide illico de l’épouser, tandis que Liz fait la fine bouche (Samuel de l’EMBRAPA ne lui convient pas).
Nous allons faire un tour dans la propriété : tout est largement déboisé, sauf une colline dont le sommet est une ancienne carrière de granit, il y a étang de retenue, des urubus partout. A flanc de colline, un filin pour la pratique de la tirolèse ? (se laisser glisser suspendu jusqu’en bas). Tout en bas, il y a une maison avec une grande piscine d’eau sale, nous ne savons à qui elle appartient.
APRES MIDI Emater. C’est à nouveau Elias qui nous accueille. Polaco n’est pas là, il noie le poisson en prétendant qu’ils n’ont pas de cartes, qu’ils travaillent sans. Il estime que 50 % APP plus réserve légale est trop pour viabiliser un projet. Les sols de la région sont bons, n’ont pas besoin d’amendement.
Arrive João Vilmar, o Polaco (« le Polac ») – et en effet c’est surprenant de voir un homme à tête de Polonais, roux et bronzé, parlant portugais. Il est gérant de l’Emater, et faisait partie du conseil de gestion de l’APA. Il a été élevé ici où il est arrivé à l’âge de 4 ans. Cela fait neuf ans qu’il est à l’Emater. Nous parle de la CIRA-PICOP, coopérative créée par l’INCRA (cooperativa integrada de reforma agraria), qui a duré bon an mal an tant qu’il y avait argent public de l’INCRA. Elle était bien structurée, elle avait une serraria, un séchoir (café ? cacao plutôt) et un supermarché. A été fondée en 78 et a duré jusqu’en 1988. L’entrepôt de l’APA était celui de la CIRA.
Quand l’APA a signé le contrat avec la France, elle a cessé de remplir ses obligations de chargement et est allée à vau-l’eau. APA avait grandi très vite, elle avait ses propres cadres techniques. Le problème fut toujours la gestion. A mesure qu'elle grandissait, les ambitions personnelles de ses membres allaient croissant. L’APA a géré l’argent du Pro ambiente, mais devait rendre compte tous les six mois. Ils étaient très fermés. Antonio Carlos a assumé pendant deux mois en 2006, mais il a renoncé quand il a vu qu’on ne pouvait pas sauver l’APA. Polaco faisait partie du conselho gestor, mais la direction ne voulait pas rendre de comptes. Il n’y avait pas de bilan (il dit « Pasmamos » - « nous sommes restés bouche-bée »), seulement des notes et factures de ci de là, ou des listes de dépenses sur des morceaux de papier. Quand venaient 190000 du Pro Ambiente, on justifiait 70000 de dépenses, et le reste on ne savait pas, impossible de dire où ils étaient passés. La Preta (Marli) répondait « Les 120000 ? Je ne sais pas… ». Du temps de Walmir, les choses allaient mieux, mais quand il est passé à l’IBAMA il a été accusé d’avoir détourné du bois de la réserve légale Margarida Alves, mun de Nova Uniao, en 2006..
Du coup le Pro Ambiente est passé de l’APA à l’Emater, qui ne pouvait assumer je ne sais pour quelle raison, on a alors songé à la FETAGRO (une autre association de syndicat rural, concurrent du MPA) mais pas de cadres techniques, alors passé à l’EFA (école familiale rurale) qui a dû changer de statut pour pouvoir assumer cette tâche.
Lindomar recruté comme administrateur, et Renilda s’occupait des finances, ils se sont réunis. Il n’y a pas forcément eu détournement, peut-être s’agissait-il juste de cavalerie. Ils n’avaient pas de fonds de roulement (capital de giro). Ils étaient en dette envers tous les producteurs de la région, et envers les acheteurs… Il nous laisse entendre qu’en dépit de ce qu’il raconte, il y a tout de même eu détournement.
Pour nous donner aperçu de comment les choses fonctionnent ici, il nous dit qu’est venu un acheteur du Mato Grosso, voulait des graines de pupunha qu’il achetait à bon prix. Alors des anciens de l’APA se sont mis à acheter des graines à leurs voisins, à bas prix, pour les revendre à cet acheteur. Aucune confiance entre les gens. Quand j’évoque la destruction des archives à Iratapuru, avec l’incendie de la fabrique, il prend un air complice et m’explique que justement, un des ordinateurs de l’APA a disparu, ainsi que notebook, appareil photo… (je mettrai plus tard la main sur l’ordinateur en question)
La mise en place de la SAF par l’APA n’était pas désintéressée. « Il y a des gens qui savent très bien suivre les mesures provisoires et décrets publiés par chaque ministère, et savent parfaitement monnayer ces informations. ». Ils savent que des fonds seront libérés pour tel et tel type d’action – favoriser assoc, mettre en place SAF (système agroforestier), etc. SAF d’abord financée par PDA (un des plans d’action du PPG7) puis par le programme Pro Ambiente du MMA.
Parenthèse : Ceci est à mettre en rapport avec ce que nous dira Fernando à propos des avocats qui épluchent les documents notariés pour savoir quelles terres ont statut incertain, et forment quadrilhas pour les envahir. Ce que Polaco suggère ici, c’est qu’il y a un opportunisme dans le maniement des informations légales et dans la rétention ou diffusion de ces informations. Ce qui m’oblige à la réflexion suivante : il y a manifestement manque de cadres locaux, et pas d’accompagnement par l’Etat ou la Fédération, donc il y a systématiquement des gens qui obtiennent postes qu’ils ne sont pas qualifiés à recevoir – problème des zones pionnières, peu de volontaires – exemple de Walmir nommé chef de l’IBAMA suscitant colère des ingénieurs et police fédérale qui devaient lui obéir. Les politiques publiques sont mises en place sans qu’il y ait cadres compétents pour les appliquer ; donc le résultat est quasi fatalement qu’elles sont gérées par des gens incompétents ou par des opportunistes qui savent en tirer parti pour leur propre chapelle.
NB Fetagro = fed dos trab agricolas de Rondonia. Le MPA est né d’une dispute interne – ainsi naissent les syndicats ruraux: il y en a déjà trois à Nova Uniao, alors que c’est un assentamento récent. Il y a 27 assoc à Ouro Preto (à partir de 1990, la création d’une assoc permettait d’accéder à des crédits. Il existe même association familiale, autour d’une seule famille, ex famille Farias.
Une coopérative peut commercialiser, une assoc non. L’apa a du changer de statut (fazer mudança regimental) pour pouvoir vendre ses produits. Ex de la COCARAN et ACARAN à Ji Paran, toutes deux liées au commerce équitable (comercio justo).
Se rappeler que la région d’Ouro Preto a été gérée dès le début par l’INCRA, pas vraiment zone de non droit (NB la femme d’Heraldo le seringueiro me dira le contraire, les grileiros sont arrivés dès qu’a été ouverte la route, dans les années 60.) La région a été divisée en petites propriétés, qui forment 95% du total régional.
Lorsqu’il s’agit pour l’EMATER de mettre en application lois sur APP et reserva legal, les propriétaires n’acceptent que si compensation.
Territorio da cidadania (Territoire de la citoyenneté) : il y en a 80 dans le pays. Sont territoires identifiés comme ayant bas indices de développement humain. Plus d’infos sur site du MDA, chargé de mettre en application ce programme, tourné vers petits agriculteurs ici. Il y en a sept en Rondonia, dont 4 homologués (équivalent de zones prioritaires pour l’éducation, accès au crédit, etc.)
Ouro Preto se trouve dans Territorio central, Porto Velho dans celui du Madeira Guaporé.
Le soir, nous attendons vainement Ivone. Mon cœur se brise quand j’apprends qu’elle a tout bonnement oublié le rdv…
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