Shaun ELLIS & Penny JUNOR, 2011 (2009) Un homme parmi les loups, Paris, JC Lattès.
Shaun Ellis a été élevé par ses grands-parents, dans la campagne anglaise. Son grand-père était ouvrier agricole. Shaun Ellis raconte comment, dans un foyer misérable, il devait compléter l'ordinaire par du braconnage.
Un soir, il a assisté aux jeux d'une famille de renards. Nuit après nuit, il est retourné les voir. Cette expérience décida de son destin. Il se résolut à travailler dans un parc animalier où une famille de loups constituait le centre d'attraction. Les loups étaient discrets et fuyaient le contact. Shaun Ellis décida alors d'entrer dans leur enclos la nuit, et d'attendre.
Il se laissa approcher par un des loups, se laissa mordre, jusqu'à ce que le reste de la meute finisse par s'approcher. Cela prit des semaines. Il adopta d'emblée la posture du loup solitaire cherchant à se joindre à un groupe d'étrangers. Cette attitude lui permit d'entrer dans l'intimité de la meute, qui se révélait la nuit, de partager les repas en connaissant d'emblée la part qui lui revenait, bref à pénétrer l'univers des loups en tant que loup, non en tant qu'homme.
L'étape suivante consista à pénétrer une meute de loups sauvages, au nord des Etats-Unis cette fois. L'expérience dura deux ans, au long desquels il chercha, longtemps, une meute disposée à le recevoir. Deux ans durant il porta les mêmes vêtements, n'adressa pas la parole à un humain. Après six mois de recherche, il finit par être contacté par une meute. Il reprit l'attitude d'attente soumise, laissant l'éclaireur le flairer plusieurs semaines d'affilée, puis le mordre, puis s'imprégner de son odeur. Une fois admis, il adopta la position de nourrice: garder les petits quand le groupe part en chasse. Cela lui permettait de bénéficier de la nourriture rapportée par le groupe.
Après deux ans, amaigri, affaibli, anémié, il mit un terme à l'expérience. Et qu'en rapporte-t-il? Quelques pages remarquables sur la logique alimentaire des loups, dont les besoins varient au long de l'année; des aperçus de leur technique de chasse, de la répartition des tâches au sein du groupe.
Plus intéressant encore, pour un anthropologue, est sa position de départ: observer les loups "de l'intérieur", donc acquérir un statut et une fonction sociale au sein du groupe. C'est l'essence même de l'observation participante, une technique également adoptée par Jane Goodall et Diane Fossey pour se faire accepter des groupes qu'elles étudiaient. La durée de l'expérience est également remarquable, le courage physique et moral de Shaun Ellis. Il a fait ce qu'il convient de faire - et qui est pourtant si difficile - lorsqu'il s'agit d'étudier sérieusement une communauté, qu'elle soit humaine ou animale.
Le livre n'est pas exempt de critique. Dépourvu de formation scientifique, l'auteur cherche à tout prix à généraliser ses assertions par des propositions théoriques, valables tant pour les loups que pour les chiens. Or le propre de l'anthropologie est d'appréhender, d'abord, les groupes humains pour eux-mêmes; il n'y a aucune raison d'affirmer que les meutes de loups obéissent toutes aux mêmes règles. Autre exemple d'hyper-théorisation: l'insistance à établir une hiérarchie dans la meute, chaque degré correspondant à une fonction. Ellis propose ainsi le rôle de "régisseur" - ou contrôleur du respect des règles, celui de "désamorceur", etc. Alors même qu'il a su se fondre dans une meute particulière, et qu'il a bien conscience d'avoir affaire à des individus autonomes, son désir de contribuer à la discipline éthologique l'incite à ramener ses observations à des catégories générales, acceptables par des pairs hypothétiques dont il redoute le jugement en même temps qu'il le méprise.
C'est pourquoi sa démarche m'intéresse à double titre: pour ce que l'on apprend sur les loups, d'abord; pour les étranges redressements de perception, ensuite, par lesquels on tend toujours à gommer l'individuel au profit du spécifique, afin de se rendre crédible dans le milieu scientifique.
A l'arrivée, mes conclusions diffèrent des siennes: ce qui se dégage de son récit, c'est que les loups sont d'abord sensibles aux différences sociales - les différences spécifiques sont secondaires par rapport à cela (c'est également la conclusion de Shaun Ellis, semble-t-il). Ensuite, et là nous divergeons: je crois que l'intérêt de son expérience réside dans la description d'une meute de loups particulière, et non dans les réflexions générales que cette description peut susciter, à propos des chiens de compagnie ou des autres canidés.
Les commentaires récents