23 mai :
Arrivé 8h30. Aux étables, Jean et Cyril règlent le problème d’une vache aux pis gonflés et irrités et qui ne laisse pas téter son veau. Ils finissent par bloquer la vache par une botte de paille et le veau tête protégé par des barres métalliques. Nous parlons longuement des bovins et des éleveurs en Amazonie, je leur explique comment les propriétés se sont constituées. Ils ont vu Raoni à l’occasion d’un sujet sur le barrage de Belo Monte et ont pensé à moi.
Je dis que Madalena m’a donné un coup de corne hier et Jean, surpris, me dit, « il faut aller voir le cahier pour voir s’il n’y a pas eu de pb avec son dernier veau », comme si c’était le B-A BA du comportement des vaches.
Ils m’expliquent qu’au moment du vêlage en juillet ils ramèneront les vaches aux étables, pour les relâcher ensuite, mais par groupe de 27. Je prends un air malheureux en disant que ça ficherait mon enquête en l’air, et que j’aimerais bien qu’ils maintiennent mon petit troupeau en l’état. Le pb c’est de vérifier si Basilic n’est pas le frère de l’une d’entre elles.
A 9h45 j’arrive au champ. Elles sont disposées en arc du nord au sud. Sonia, Luisa et Madalena sont les plus au sud (Luisa et Sonia sont très souvent ensemble).
A 9h55 se lèvent et partent à l’est. Pour les approcher maintenant je fais comme elles : quelques pas, puis je m’arrête, l’air méditatif. Quand je veux les identifier je ne marche pas tout à fait dans leur direction et je ne les regarde pas, sauf quand je m’arrête à deux-trois mètres. Elles passent en me jetant à peine un coup d’œil, elles me frôlent quand je suis sur leur chemin. Je ne sais si je m’imaginais qu’elles me feraient des grâces et se rouleraient par terre en me voyant.
A 10h, comme prévu, elles sont arrivées au bout du champ et font demi-tour.
A 10H05, j’ai autour de moi Sarah, Cristina et Alexandra la plus petite.
10h15 ont entamé migration vers l’ouest. Elles se répartissent sur toute la longueur du champ, isolées les unes des autres. Basilic un peu en retrait, Sonia et Luisa au Sud : je suppose que c’est au sud que l’herbe est la meilleure. Puis elles convergent vers les abreuvoirs.
Manuela et Carla ont pris du retard mais ne se pressent pas.
Luisa domine Alexandra (fastoche : la plus vieille contre la plus petite).
Marta marche vite vers la mangeoire, queue dressée et tendue, jamais vue comme cela. A la mangeoire elles ont l’air tout excitées, remuent la queue, se poussent légèrement, se placent tête contre tête… Je suppose que c’est le lieu de vérité, là où elles remettent les pendules à l’heure en ce qui concerne la hiérarchie.
Echange de coups entre Sarah et Yasmina. Sarah défaite lèche la tête de Luisa, qui aussitôt se tourne contre Yasmina, je ne sais si les deux affaires sont liées.
10h30, toujours aux mangeoires, pause méditative.
Marta m’a repéré, mais c’est Laura qui vient à moi ; j’espère secrètement que Laura écartera Marta, mais non : Marta revient me faire des misères. Puis long échange avec Laura ; je m’agenouille devant elle comme dans la Guerre du Feu, afin qu’elle puisse me flairer. Je filme cette rencontre.
10h45 : la pause méditative se poursuit. Laura essaye de téter Maria.
Yasmina est la première à se coucher. Basilic veut se dégager la vue et donne coup de tête dans les fesses de Maria.
Julia et Manuela me regardent avec beaucoup d’intérêt, et de manière synchrone.
Cyril arrive ; il me parle des restrictions sur les herbicides, pesticides, et la commune qui ne fauche pas à temps : la pansac ou pansacre est en fleur, celle dont la carotte tue les vaches, il devra les faucher lui-même. J’en arrache une : odeur douceâtre.
Les vaches ont une prédilection pour le trèfle, puis pour le ray-grass anglais. Elles savent parfaitement où il y en a dans chaque champ et se précipitent dessus à l’arrivée. Bizarrement n’aiment pas les graminées en épi, ce qui explique pourquoi elles préfèrent rebrouter une même zone. Le trèfle est météorisant, et quand au ray-grass, il faut éviter de leur en donner avant l’accouchement car il ne faut pas qu’elles soient grasses. Ils les rationnent un mois avant. « Elles veulent toujours aller plus loin » me dit-il, ce qui prouve la véracité du dicton « ailleurs l’herbe est plus verte ». Elles regardent avec envie le champ des voisines, et il est vrai que dans mon champ l’herbe est plus grasse donc mes vaches passent moins de temps à brouter et plus à ruminer que dans le champ voisin.
Les difficultés à les déplacer : le plus souvent elles veulent bien changer de champ (reconnaissent au fait que tracteur déplace les abreuvoirs) mais parfois ne veulent pas bouger d’un pouce, il faudra revenir le lendemain. Me raconte le cas du taureau Repro (passé à l’abattoir depuis car trop vieux pour saillir) qui était très dominateur avec les vaches, était allé chercher deux retardataires qui traînaient dans l’ancien champ…
Ils les rentrent en octobre, et là c’est le drame car les vaches ne veulent pas rentrer à l’étable ; pour les convaincre, ils font mine de s’engager dans la direction opposée ; une fois qu’elles sont sorties du champ, demi-tour. C’est ce qu’il appelle « leur jouer un sale tour ». En revanche, me dit-il, s’il pleut il n’y a aucun problème, comme elles n’aiment pas ça elles vont où on veut qu’elles aillent.
Il semble qu’il y ait deux champs, dont l’un avec grand chêne qui fait monter les sources, où des vaches avortent systématiquement. Il le remarque sans avoir d’explication. Ensuite m’explique qu’il y a des sources partout à nos pieds. Ils ont fait venir un sourcier pour les repérer. Comme leurs vaches sont labellisées, ne peuvent leur donner l’eau des étangs qui sont donc clôturés. Seule l’eau municipale est autorisée. Pourtant l’été on rationne l’eau à cause des touristes, et les vaches, assoiffées par l’herbe sèche, boivent cent litres chacune et par jour.
Les génisses sont plus difficiles à déplacer que les vaches ; inexpérimentées, refusent de traverser la départementale car ont peur du bitume.
Leurs labours sont contrôlés par satellite : comme je m’étonnais qu’il ait retourné son champ jusqu’à l’extrême limite, m’explique que c’est contrôlé car s’il déclare trois hectares pour subventions, il faut qu’il sème bien sur trois hectares, alors qu’avant laissait bande herbeuse pour pouvoir contourner le champ. « Du coup je sais qu’en bordure le maïs viendra à peine haut comme ça, mais on doit semer alors là c’est semé ! »
Les chasseurs n’ont pas le droit d’entrer dans champ s’il y a vaches, mais certains le font ; ce sont les chiens qui les affolent, elles sont toutes retournées pour la journée. Son moyen de pression sur la fédération départementale est de menacer d’interdire de chasse tous ses champs, donc les chasseurs se plient à la loi et rappellent les indélicats. Il reçoit 1,50 euro par hectare laissé ouvert à la chasse.
Cyril me dit qu’ils mangent leurs propres vaches, cela ne leur pose pas de problème particulier. Il peut même savoir précisément laquelle il mange mais n’y a pas songé. Ils envoient des vaches à l’abattoir, elles y restent huit jour à l’état de carcasse, de là transitent par un centre de découpe qui les emballe sous vide par dix kilos, et Cyril et sa famille font de la vente aux particuliers. Maintenant ça part très vite mais la première année se sont trouvés avec deux cents kilos de viande sur les bras.
Dans le jardin, il fait si chaud que seul un machaon prend le risque de voleter. Pas un insecte sinon des mouches. J’ai pris des photos d’insectes étranges et magnifiques ces derniers jours, je vois qu’ils sont à nouveau variés et heureux de ces prairies que je leur laisse.
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