... je me suis habitué à parler à voix basse, échangeant toujours quelques idées avec Sarah.
Comme il a plu hier et aujourd'hui, je me suis consacré au rapport pour le ministère de l'écologie. J'en suis à cinquante pages, dont 20 sont des copier-coller, le reste étant le fruit de mon inspiration du moment. Un extrait? Voici le plus lyrique:
"La
Puisaye présente une image inversée de ce qu’est, par exemple, le paysage
vendéen entourant la Genétouze, plus proche de la Forterre – openfields,
quelques bosquets, clochers visibles dans le lointain. Les bois et les cours
d’eau s’étendant à l’ouest du village de Saints, les paysages bocagers
conservant des haies majestueuses – nommées localement les
« bouchures » - donnent une idée de ce que fut la nature en France
avant le remembrement, et même plus avant, du temps des Renart, des Ysengrin.
Plans d’eau regorgeant de brochets, de brêmes, d’anguilles ; forêts
offrant toute l’année des fruits, des baies, du bois de chauffe et de
construction, et jonchées à l’automne de champignons, de glands et de
châtaignes, donnant aux hommes comme aux bêtes une nourriture abondante pour
l’hiver ; des chevreuils, des sangliers peu farouches, passant d’un massif
forestier à un autre, visibles chaque matin dans les champs et les clairières… Pour
les membres de l’équipe qui travaillent habituellement en Amazonie,
cette région de Bourgogne est l'endroit de France qui s’en rapproche le plus. Les habitants
actuels de la Puisaye valorisent cet héritage, et se plaisent à énumérer au
visiteur les plantes sauvages comestibles et leur saison. Ils valorisent
également cette autarcie alimentaire à laquelle ils pourraient, si nécessaire,
se cantonner."
Comme je repars demain à Paris, je dois préparer la maison à mon absence. Croquettes empilées dans le garage, chauffage éteint, cheminée nettoyée. La tante de mon chat est allée se réfugier dans le grenier, et je suis incapable de l'en sortir. Elle se tient là, à miauler après son chaton resté dans le jardin, et se cache dès que j'arrive. Je suppose que je devrai la laisser mourir de faim, et ma tante retrouvera son cadavre desséché sur un lit ou un fauteuil. En attendant, elle fait craquer les planchers et les meubles et pousse des cris rauques difficiles à supporter. Je ne serais pas fâché, je l'avoue, si elle se momifiait, tant elle me tape sur les nerfs. On parle beaucoup des chats voleurs, beaucoup moins des chats assassins, mais je préfère ne pas m'étendre sur le sujet.
Mon petit chat, quant à lui, ressemble à une boule blanche, et cherche à m'impliquer dans toutes ses activités. J'aime le voir revenir en arrière, m'appeler, pour ensuite foncer comme un bolide - sphérique - à l'endroit où il présume que je devrais me trouver.
J'ai fait ce que je pouvais dans le jardin pour cette période de l'année. J'aurais pu tailler davantage, mais on se prend au jeu et on finit par massacrer les arbustes. Le temps est doux, clément, même, j'espère que Sarah ne mourra pas de froid dans le garage. Le voisin qui l'alimente s'inquiétait: "Qu'est-ce que je fais si elle franchit le pas?" Je lui ai suggéré de déposer son corps à l'entrée de la forêt, et que je m'en occuperais à mon retour. La plupart de nos chiens sont enterrés là, tantôt écrasés, tantôt empoisonnés, Sarah serait donc la seule à mourir de vieillesse.
Les commentaires récents