samedi 21 août 2010
Chaleur épouvantable mais ciel magnifique. V. est partie hier pour Calçoene avec Joao, et D. ce matin. Vac passe son temps à planter C. qui s’obstine à prendre des rendez-vous plutôt qu’à sauter sur les occasions d’accompagner les gens dans leurs abattis. Notre exotisme s’émousse et les gens retournent à leurs affaires, ils en ont sans doute assez d’être pressurés. De mon côté je me contente de m’asseoir ou m’allonger là où sont formés les groupes et à participer mollement aux conversations jusqu’à ce qu’on en arrive à un point qui m’intéresse. Les infos obtenus hier de Bigo et d’Hermogenes le furent ainsi : tranquillement allongés tous les trois au dessus de l’eau, profitant de la brise.
Cela me convient d’autant plus que je me sens très faible.
Conversation avec Mariza ce matin à propos du nettoyage du village : comment la décision est elle prise ? Mariza me dit que n’importe qui peut convoquer une réunion… Mais cela c’est la théorie. Les réunions ont lieu quand arrive un représentant de la Mairie, elles ne sont pas organisées spontanément sur décision d’un habitant, je pense. En tous cas Mariza suggère que les hommes participent peu aux décisions, mais j’ignore si c’est un concours de circonstances (il y a peu d’hommes dans le village) ou une tradition.
Puis je parle avec Rosa. Elle me dit que cette année le Santo (organisateur de la fête) ne passera pas, à Calçoene, de maison en maison. Pourquoi ? Parce que l’Etat d’Amapa octroie 5000 reais à la communauté pour l’organisation, en tant que descendants de quilombolas, cela depuis trois ans (et cette année l’argent n’est pas arrivé). Au passage, c’est un excellent moyen pour tuer l’esprit de ces fêtes communautaires produites par la coopération de chacun… J’avance sur le terrain miné face à Rosa toujours un peu moqueuse, mais qui aujourd’hui est en veine de conversation.
Mais au fond, lui dis-je, c’est quoi un quilombola ? « É gente como eu, de cor negra. » “Entao quer dizer que vocês descendem desses Baianos que vieram?” “Ora nao sei, mas acho que nao, porque minha avó veio das ilhas”. Elle m’explique que de toute la fratrie de sa mère Mariuza, seul Domingos s’est trouvé être de couleur noire, tous les autres sont comme Mariuza (elle ne définit pas la couleur mais physiquement ils ressemblent aux caboclos de base). Je demande si éventuellement Domingos aurait un père différent de ses nombreux frères et sœurs. Elle rit et dit que sa grand-mère prétendait que non. Et ton grand père ? « Ah nao sei de onde ele era » (son grand père a reçu um pau en faisant une roça et il est mort jeune et très affaibli des suites de cet accident, elle avait dix ans quand il est mort) et elle poursuit : « mas ele nao era de cor negra, ele era como eu. »
Soir. Conversation avec Bigo sur le ponton. J’essaye de lui suggérer de nous faire une carte mentale. La conversation dérive sur les serpents : il me décrit ceux qui sont vénéneux et ceux qui ne le sont pas ; même ceux qui ne le sont pas le sont un peu, dit-il. Me raconte tous les cas de morsures, y compris la sienne : boire de la poudre de cartouche et vomir. Son grand père (se rappeler qu’il s’est suicidé d’un coup de fusil dans la gorge) savait guérir les morsures : préparait une potion, faisait un gargarisme, aspirait la blessure et recrachait un liquide verdâtre. Il emploie le qualificatif « cabôco » (… « ela tinha mordido o caboco no traseiro »). Il les tue tous, systématiquement : « cela en fait toujours une de moins ». Pour lui, les serpents n’utilisent pas leur venin pour tuer leurs proies, car cela les tuerait à leur tour : cite le cas d’un crapaud blessé, en sang, qui a pu s’enfuir sans autre dommage. Alors à quoi sert le venin ? « É que a cobra vive para atacar cristaos ».
Plus tard, je vais chez Domingos, allongé dans son hamac de garimpeiro (il est en slip, passe rapidement un bermuda. Il n’a toujours pas fait le dessin, alors je lui explique que c’est pour ses petits enfants, s’ils reviennent d’ici trente ans… « ah, entendi, entendi… » Il me parle de l’ancienne église et de ses tuiles de Marseille que leurs parents, dans leur innocence, ont voulu changer pour de la Brasilite. Il y avait un tunnel qui allait jusqu’au Monte Corro. Là où deux archéologues ont trouvé des restes indigènes… Ninguém sabe se era suspiro de cobra ou tunel mesmo. Je lui demande si ça ne peut pas être un tunnel creusé par des mineurs. Non, non, dit-il , car alors le tunnel suivrait un filon. Le tunnel a de toute façon disparu aujourd’hui.
Puis il me raconte l’organisation des bandits à Oiapoque, qu’on lui a expliqué quand il était en prison (le sujet a été amené car nous avons évoqué la méfiance qui règne entre orpailleurs, et le fait qu’un gars qui estime avoir suffisamment d’or a intérêt à s’esquiver pendant la nuit). Les touristes supposément riches ou les orpailleurs chanceux sont repérés à St Georges. Les complices sont prévenus à Oiapoque, qui mettent en place le guet apens : un taxi se présente, il sera suivi par une moto qui mènera l’attaque. Les changeurs, les patrons d’hôtel aussi préviennent des complices quand ils estiment avoir un bon client. C’est pourquoi il faut toujours mentir sur son heure de départ, déclarer une heure plus tardive, correspondant au bus suivant celui qu’on veut prendre.
A six heures, Domingos se lève pour allumer le moteur. Sa peau noire luisante dans la semi obscurité s’harmonisait avec le moteur tout imbibé de diesel.
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