Fin du colloque « un tournant animaliste en anthropologie », organisé par Noëlie Vialles et Frédéric Keck, au Collège de France.
En fait d’état des lieux, il y eut beaucoup de règlements de compte. On peut se demander pourquoi les organisateurs ont privilégié les invités prestigieux, mais hors-jeu, durant deux longues sessions.
Que Francis Wolff préfère les délices de la dissertation à ceux de la recherche scientifique, c’est de bonne guerre.
Mais qu’en fait d’animal, on fasse venir un dinosaure, c’est moins appréciable.
Jean-Pierre Digard est à la retraite depuis quelques années déjà. Sa phase de production scientifique est derrière lui. Sa contribution s’est limitée à reprendre un texte de conférence, paru il y a trois ou quatre ans sur le site www.agrobiosciences.org intitulé « les nouveaux rapports homme-animal »
(http://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/PDF_Digard_seminaire_DGER_2008.pdf).
Servir un plat réchauffé est une pratique peu respectueuse si l'on songe à ceux qui se sont fatigués à effectivement produire quelque chose de nouveau.
Le texte en question ne comporte pas de références scientifiques mais des propos à l’emporte-pièce du type : « La cause animalitaire est activement défendue auprès des autorités nationales et internationales par un lobbying à l’anglo-saxonne extrêmement puissant, riche et organisé, ainsi que, sur le terrain, par des groupuscules radicaux hyperactifs, parfois très violents ». Pas de référence, on ne sait d’où provient la richesse de ces groupes, et encore moins d’où vient l’information. Cela fait songer au lobby agricole brésilien dénonçant les menées « biopirates » d’ONG anglo-saxonnes, riches, puissantes et organisées.
Autre perle:
"Il y a au contraire toutes les raisons de s’y opposer [aux mouvements pour le bien-être animal], en vertu d’un principe de réalité simple qui est celui-ci : ce qui ne va pas dans le sens de l’intérêt de l’homme n’a aucune chance d’être adopté et de s’inscrire dans la durée. Ce principe est fondé sur le constat de la supériorité de l’espèce humaine par rapport aux autres espèces. Cette supériorité, résultat d’une évolution étalée sur 25 millions d’années, n’est pas un credo créationniste, mais un constat scientifique. L’évolution n’est pas une théorie, mais un fait. Entre les animaux et l’homme, il y a certes une continuité biologique, mais aussi un saut cognitif. Que cela plaise ou non, même les plus « intelligents » ou entraînés des chimpanzés ne connaissent ni langage articulé, ni arts, ni sciences, ni philosophie, ni système politique construit."
Ces phrases martelées, dont on retrouvera des avatars ici (Prochiantz), ici (Ferry) et ici (Atlan), ne reposent sur rien d'autre que sur des objurgations ("c'est un fait"; "c'est la réalité scientifique") rendus plus autoritaires par l'ignorance et le mépris de toute la production scientifique de ces vingt dernières années. On condamne d'entrée les neurosciences, la primatologie, les sciences cognitives, avec d'autant plus de facilité qu'on ne sait de quoi il s'agit.
Comme l'a fait remarquer Viveiros de Castro, qui s'exprimait après Digard: "Je vois que mon collègue s'exprime depuis une position métaphysique".
Les seuls ajouts à ce texte sont issus d’une lecture superficielle de titres et de résumés.
Jean-Pierre Digard put ainsi citer mon projet de recherche, issu de mon dossier de candidature au CNRS, auquel je me demande bien comment il a eu accès.
Il put également, sans être interrompu, ironiser sur un doctorat fraîchement soutenu. Comme me l'écrit un collègue anglo-saxon, après cette intervention: "For me what was also unforgivable was his mocking of PhD students and their work - if I heard him correctly. From his position of seniority we expect more courtesy and leadership, surely? Perhaps he should listen more and speak less freely...."
« Un Grand Seigneur méchant homme est une terrible chose », disait Sganarelle dans Dom Juan.
Je crois que nous pouvons tous déplorer qu’à l’issue d’une carrière scientifique honorable, certains collègues se claquemurent dans des commissions, des comités de rédaction, et des officines diverses non pour favoriser la nouvelle génération, mais pour la bloquer.
Devenir puissant et malfaisant, est-ce là la finalité du mandarinat ? Rejoindre les cercles des has-been qui publient, sans étayer, des pamphlets anti-réchauffement, anti-écologiste, etc ? Ici et là, les positions institutionnelles semblent, malheureusement, valoir pour des positions scientifiques. Les sciences de l'animal ont trouvé leur Allègre.
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