COMPTE-RENDU REUNION SCHIENA DU 1ER OCTOBRE 2010.
On commence par fixer la date de la prochaine réunion : vendredi 12 novembre à 14h. Un calendrier Doodle sera bientôt envoyé pour fixer la date de la journée d’étude et de conclusion du programme, vraisemblablement un samedi de la mi-décembre.
Calendrier de la publication dans Pommologies rurales : les contributions devraient parvenir en février-mars, il faudra prévoir des navettes pour les remaniements en vue d’harmoniser l’édition.
Programme ANR : Anthropopotame a envoyé récemment un mail suggérant que l’ANR soit très axée sur des études de terrain, avec formation d’équipes pluridisciplinaires de 5 à 6 personnes travaillant ensemble. La typologie des terrains :
- animaux observables,
- de préférence sociaux,
- de préférence en interaction avec d’autres espèces en particulier des humains,
- avec un terrain dont la logistique ne poserait pas de problème majeur
- avec une problématique chaque fois pensée pour inclure à la fois les éthologues, anthropologues, ET géographes ET historiens (donc incluant problématiques de territorialisation ou d’usages de l’espace + inscription temporelle sous forme de documents de type archives)
Afin de clarifier sa propre situation, Anthropopotame rappelle qu’il a double casquette : en tant que responsable du projet, il s’efforce de penser en termes de travail collectif et de concepts transversaux. Lorsqu’il s’exprime en tant que simple participant au projet, il emprunte aux cadres de sa discipline, l’anthropologie ; cela ne signifie pas qu’il cherche à limiter la réflexion à ces cadres !
La discussion s’engage autour des modalités de préparation du programme. La rédaction devra avoir lieu en janvier-février, il faudra donc que l’on s’accorde sur qui s’engage à participer à la rédaction (au moins une personne par discipline, responsable de l’état de l’art et du protocole) et ce sur quoi nous nous mettons d’accord : combien de terrains et lesquels (1 rural, 1 urbain, 1 exotique ?), combien de doctorants, masterants et post-docs, quelle part consacrée à la réflexion théorique, à l’empirisme, à la méta-analyse, etc.
Il faudrait que nous ayons trouvé les réponses pour la prochaine réunion, d’ici un mois et demi, donc. Terrains évoqués : parc des ongulés africains à Thoiry, corneilles de Lyon, vaches de Vendée… N’oublions pas l’Histoire dans l’affaire. C’est aux historiens de spécifier si ces terrains leur semblent favorables, et sinon, quels terrains choisir dont on saurait qu’ils présentent une profondeur temporelle ?
Présentation d’Eric Fabre : exemple de réflexion commune à deux disciplines, l’histoire et l’écologie, pour reconstituer le parcours du loup. Quels sont les éléments dont dispose l’historien pour reconstituer l’évolution des écosystèmes, les variations de la population du loup ? Fonder la réflexion sur connaissance précise de l’écologie du loup pour repenser les fluctuations de son habitat, plus ou moins favorable, évolution des populations d’ongulés, politique d’occupation des sols, démographie humaine, corpus législatif relatif à son extermination (abrogé en 1924).
Discussion : selon Eric Fabre, il y a là une très nette divergence avec les propositions de SCHIENA. Pour Anthropopotame et Eric Baratay, en revanche, c’est précisément le cœur du projet : le loup physique, appréhendé dans son espace, son temps et sa réalité. Le problème réside sans doute dans la nécessité de clarifier certains aspects du projet, en particulier les concepts de « sujet », « subjectivité », etc. Nous y reviendrons au cours de la discussion. Mais il n’a jamais été question de nous enfermer dans une pièce pour disserter sur « l’animal », au contraire tout le projet tend à proposer une démarche empirique applicable à des terrains on ne peut plus concrets : ce sera le programme ANR. Il faut donc considérer que le modeste projet SCHIENA est là uniquement pour tester la solidité d’une future équipe et évacuer un certain nombre d’obstacles épistémologiques.
Pour Anthropopotame, la démarche que nous entreprenons doit nous permettre de poser des concepts transversaux à différentes disciplines, afin que nous puissions travailler ensemble.
Pour Eric Baratay, il s’agit de prendre l’animal pour sujet, chaque discipline ayant sa manière, afin d’aboutir à un portrait croisé d’animaux individualisés et comportant autant de facettes que d’approches disciplinaires.
Michel Kreutzer s’intéresse d’abord à la manière dont les concepts empruntés à d’autres disciplines permettent un enrichissement mutuel de la réflexion.
Nathalie Blanc propose que l’on parte de questions communes, ainsi de la notion « d’espace de contrôle » qui aboutit à une cartographie alimentée par l’éthologie.
Jean-Michel Le Bot envisage plutôt la démarche comme une façon d’alimenter une réflexion anthropologique sur les acteurs sociaux. Une vache atteinte d’encéphalopathie est une manière d’aborder en creux cette question.
Anthropopotame constate que les attentes sont multiples. Il sera temps bientôt de passer à la phase d’observation et de voir ce qui émerge, en termes de collaboration entre nous et en termes scientifiques.
Présentation de Jocelyne Porcher : Qu’est-ce qui crée du lien dans un univers dénaturalisé, totalement artificiel ? Comment appréhender des truies au sein d’un élevage industriel ? Un élevage de porc est-il une PME ou une grande entreprise, si l’on y inclut les truies ? Savoir ce qu’est le travail tel que perçu par un animal : de son passé d’éleveuse, JP garde la conviction très nette que si l’animal ne collabore pas, le travail ne se fait pas. La question est donc : collaborent-ils ou sont-ils conditionnés ? Les hypothèses au fondement de ses travaux sont liées à la psychodynamique du travail de Christophe Dejours. Constat d’une subjectivité affirmée chez des vaches pourtant extrêmement peu considérées par leur éleveur, ruses, etc. Les bêtes ont accès aux états émotifs de l’éleveur, elles consacrent une part considérable de leurs efforts à l’observation et à l’interprétation de ces états. Afin d’appréhender comme un ensemble ces éléments a priori séparés que sont les vaches d’un côté et l’éleveur et le système dans lequel il s’insère de l’autre, la sociologie du travail s’est imposée et permet de penser le tout comme un ensemble psychodynamique.
Nathalie Blanc se demande alors comment accéder au monde d’autrui ? Comment appréhender, sans se tromper, une subjectivité non humaine, sachant que nous nous trompons dans la lecture des émotions d’autrui et que les animaux, vraisemblablement, se trompent aussi. Anthropopotame observe qu’à l’échelle de l’individu c’est l’intimité plus ou moins grande, alliée à une sensibilité plus ou moins développée, qui permet de dire si l’on « voit » juste ou non.
S’ensuit une discussion autour du terme de « conduite » appliqué aux vaches, de préférence à celui de « comportement ». JP explique que conduite implique une dimension volontaire, individuelle, tandis que « comportement » renvoie à des hypothèses mécanistes et spécifiques. Anthropopotame approuve cette distinction en rappelant qu’un des objectifs de SCHIENA est d’en finir avec la double terminologie et les discussions interminables autour de la subjectivité animale. Il faut partir d’hypothèses de travail viables, qui ne nous obligent pas en permanence à revenir en arrière, du moins si l’objectif est d’avancer. Pour Michel Kreutzer, le fait que les animaux soient de bons observateurs est indéniable. Il expose, par divers exemples, la manière dont notre expression corporelle précède souvent l’expression de notre pensée, or c’est à ce langage du corps que l’animal a accès. Nous ne les voyons pas nous observer, un peu à la manière dont les maîtres de maison ne voyaient pas leurs domestiques au XIXe siècle, cependant que les « domestiques » - noter l’ambivalence du terme – savaient tout d’eux, anticipaient leurs désirs, connaissaient leurs manies…
Présentation de Michel Kreutzer. Prolégomènes : en sciences naturelles, on ne commence pas par définir des concepts, mais par se poser une question. C’est l’observation qui permettra de juger si la question est pertinente ou non, et de forger ainsi ou retoucher le concept. La question suivante par exemple : « les animaux ont-ils un genre ? » entraînera de la part des sciences sociales une réponse telle que « Impossible, puisque le genre est lié à la norme et à l’identité ». Or l’observation permet d’affirmer que certaines attitudes sont liées au sexe de l’animal. Dans le choix de partenaire, tous les individus ne se valent pas. La compétition parmi les mâles introduit une dérive évolutive purement masculine dont les femelles sont exclues. Quelques remarques :
1) les femelles ont des modèles. Il existe des canons de beautés ou des prototypes à la manière dont les médias, chez les humains, véhiculent certains canons par effet de mode.
2) Homosexualité beaucoup plus répandues qu’on ne le pensait. Il existe des couples homosexuels chez les cygnes mâles, forçant des femelles à pondre pour eux puis les chassant. Cette question a été abordée par les neurosciences, mais pas dans l’optique de la sélection sexuelle.
3) Variabilité individuelle des comportements parentaux. Il n’y a pas, ainsi qu’on le croyait, de canon comportemental pour l’élevage des petits, du moins tel qu’on l’a observé chez les rouges-queues. La femelle peut prendre en charge certains petits, le mâle en prend en charge d’autres, ou non.
4) Question du pouvoir et de la domination : avoir du pouvoir pourquoi ? Pour dominer et posséder. La réponse est universelle.
Discussion : Anthropopotame observe que la justesse du terme « conduite » adopté par Jocelyne Porcher semble confirmée ici.
Ce qui est également posé, c’est qu’il convient d’abandonner l’idéal platonicien du « spécimen holotype » et prendre acte du fait qu’il faut considérer des individus. De même, les concepts fédérateurs tels que celui de domination doivent être revus au miroir de stratégies individuelles : l’établissement d’une hiérarchie de dominance a jusque très récemment été pensée comme forcément liée à la violence. Or de Waal a permis d’ébranler cette idée en introduisant l’idée de politique, d’alliance et de réconciliation. Et de fait, on observe que certaines hiérarchies s’établissent aussi par la gentillesse, l’attention à autrui, l’affection. Bref, un vaste champ est ouvert à l’investigation.
Michel Kreutzer conclut qu’il faudrait passer de l’animal intentionnel à l’animal désirant, mû par des désirs.
Conclusion générale :
On observe un élément fondamental dans notre démarche, que l’on doit tenir pour un acquis méthodologique : c’est le va-et-vient. Nous n’y échapperons pas : il y aura du va-et-vient entre l’observation de terrain et la discussion après coup, la méta-analyse des données. L’autre va-et-vient se fera entre des propositions mécanistes et d’autres versant dans l’ontologie ou l’esthétique : nous n’avons pas à nous fixer au préalable de limite quant à l’amplitude de ce mouvement, si nous ne perdons pas de vue que la vérité doit se trouver quelque part entre ce deux pôles.
Puis, il y a une clarification nécessaire : la question posée par SCHIENA est simple, et ne porte pas directement sur la subjectivité animale. La question est : « Les sciences humaines et sociales sont-elles aptes à appréhender des animaux individuels ou des sociétés animales, et si oui, par le biais de quelles méthodes, quels concepts ? Qu’est-ce que cela peut apporter ? Cela enrichira-t-il les sciences humaines et sociales, ou bien les sciences de l’animal, ou ni les unes ni les autres ? »
La question subsidiaire, celle qui a entraîné peut-être des confusions, est celle-ci : dès lors que notre attention se porte sur des réalités non explicitées par un discours des intéressés eux-mêmes, peut-on poser comme principe que, pour appréhender la subjectivité d’un animal, la subjectivité du chercheur aurait une valeur heuristique ?
Enfin, et pour que nous nous mettions d’accord sur des hypothèses de travail propres à clarifier notre démarche, peut-on admettre que nous nous proposons de considérer les animaux comme étant des sujets. « L’animal est sujet » cela signifie :
- Qu’il est acteur de son existence.
- Qu’il a une histoire individuelle autant que spécifique.
- Qu’il a une conduite qui lui est propre, et non un comportement spécifique.
- Qu’il a des préférences.
- Qu’il effectue des choix conscients.
La réunion s’achève à 17h. Elle fut particulièrement riche et animée : Anthropopotame remercie tous les présents.
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