L'organisation du système universitaire tel qu'il est conçu par les textes qui l'encadrent :
Les enseignants universitaires relèvent de différents corps et statuts. Le corps des professeurs (rang A), titulaires d'une thèse d'Etat ou d'une Habilitation à diriger des recherches, ayant 192h d'enseignement annuel (= 8 heures hebdomadaires) et la possibilité de diriger des thèses, d'orienter des recherches collectives.
Le corps des maîtres de conférences (rang B), dérivés des anciens maîtres assistants, titulaires d'un doctorat "nouveau régime", également en charge de 192 heures d'enseignements, mais qui ne peuvent diriger de travaux au-delà du Master, et doivent généralement céder le pas si un cours qui relève de leur spécialité est convoité par un professeur.
Ce sont là les enseignants-chercheurs proprement dits.
Autres titulaires, les PRAG (profs agrégés détachés dans le supérieur) : ce sont des enseignants du secondaire, agrégés, qui sont détachés à l'université afin d'y exercer une mission d'enseignement uniquement (double service : 384 h, 360 h, soit à peu près 16h hebdomadaire). Ils pourraient en théorie faire de la recherche mais le nombre de cours les en empêche généralement.
Non titulaires : les ATER (attachés temporaires d'enseignement et de recherche) qui sont des doctorants - donc toujours en thèse - qui exercent des missions de remplacement, en cas de vacance de poste. 192h également, mais salaires inférieurs à ceux des maîtres de conférences.
Non titulaires également, les lecteurs, recrutés pour deux ans, qui sont des maîtres de langue, généralement des jeunes issus des pays concernés (USA, Espagne, etc.) fraîchement licenciés (titulaires d'une licence) qui se forment à l'enseignement tout en voyant du pays. 192h. également.
1) Qu'est-ce qu'un cursus ?
On appelle cursus les enseignements organisés en vue d'un diplôme (licence ou master). Les diplômes délivrés par spécialité (histoire, droit, qui se déclinent en spécialités telles que histoire médiévale, contemporaine, ou droit administratif, européen) constituent des filières.
Trois types de cours sont dispensés : cours magistraux réunissant l'ensemble des élèves inscrits (les CM ou conférences proprement dites, théoriquement dispensés par des professeurs) ; travaux dirigés ou TD, où les étudiants (la "promotion") sont scindés en groupe de 45 élèves environ, et où est dispensé un enseignement supposément plus interactif qu'en "conférence",où donc les étudiants sont susceptibles de poser davantage de question ; les TP, réservés aux cours de langue donc aux lecteurs, ou à l'informatique, ou aux manipulations en laboratoire pour les sciences dures, qui réunissent de 15 à 25 élèves.
Chaque année, les étudiants doivent accumuler un certain nombre de "crédits" (qui leur permettent de monnayer leur reconversion ou leur changement de pays car il s'agit d'un système européen) en ayant assisté et validé des enseignements obligatoires et d'autres, optionnels (et parfois très éloigné du noyau de leur cursus). Ils ont environ 12 à 18h de cours par semaine, soit 250 à 300 par an. Les modes de conversion et d'équivalence changent à peu près tous les ans depuis 12 ans, donc je serai incapable d'en dire plus.
Les enseignements qu'ils reçoivent couvrent une palette de savoirs et de savoir-faire. Dans le cas d'un diplôme d'espagnol, ils assisteront à des cours de langue (grammaire, expression) de civilisation (la civilisation recouvre histoire et culture contemporaine, tant de l'Espagne que des pays hispanophones d'Amérique), de littérature (Espagne et Amérique), ces deux dernières catégories étant subdivisées en périodes : période médiévale, classique, coloniale, contemporaine. Ils reçoivent également des cours de linguistique (historique et fonctionnelle) et des enseignements optionnels dispensés par votre serviteur. En sociologie, la répartition en différentes spécialités et aires géographiques répondrait peu ou prou à la même logique, l'enseignement comportant de l'anthropologie, de l'histoire de la sociologie, des cours permettant d'approfondir les textes fondateurs, mais aussi des cours pratiques portant sur les méthodes de constitution et d'enquête de terrain. Etc, je laisse le soin au lecteur d'imaginer comment sont organisés les enseignements d'histoire, de droit, d'histoire de l'art, de lettres classiques...
A l'éventail de cours donnés correspond un éventail d'enseignants susceptibles de les dispenser. On recrute donc des maîtres de conférences ou des professeurs selon les besoins et, ceci est fondamental, selon le nombre d'étudiants. Je sais que d'un point de vue gestionnaire cela paraît assez logique. Imaginons un cursus comportant 5 spécialités nécessaires à l'obtention du diplôme (par exemple droit canonique, droit hébraïque, droit musulman, droit coutumier et droit international). S'il y 250 étudiants inscrits en premier année, les professeurs dispenseront des conférences subdivisées en deux (125 étudiants pour qu'ils tiennent dans la salle) et la promo sera subdivisée en 5 TD, l'ensemble des étudiants passant successivement entre les mains expertes de nos cinq spécialistes spécialement recrutés. Jusqu'ici tout va bien. Mais si, au lieu de 250 étudiants ne s'inscrivent que deux tondus et trois tonsurés, nous avons : les mêmes enseignements, les mêmes enseignants, sauf que l'encadrement est à présent de 1 enseignant pour 1 étudiant. En logique gestionnaire, le cursus est supprimé, fin de la spécialité. En logique académique, ces enseignements constituent des savoirs constitués en plusieurs siècles de transmission ininterrompue, un peu comme l'art des tailleurs de pierre. Ce type de spécialisation n'est donc pas "suspendu", il est radié du champ des connaissances, du moins dans l'université en question.
Car, et c'est là que je demande au lecteur un effort de concentration, toutes les universités ne sont pas logées à la même enseigne, ni en termes de recrutement, ni en termes de promotions, ni en termes de gestion ou de logique. Les universités de province sont par vocation plus généralistes que les universités parisiennes, tout en ayant un potentiel d'étudiants moindre, un potentiel d'étudiants brillants encore moindre (les excellents font une prépa à Paris ou Bordeaux ou Lyon), un potentiel de formation moindre (une bibliothèque pour de multiples spécialités face aux multiples bibliothèques parisiennes, sans parler des musées, expos, cycles de conférences, etc.), un potentiel de recrutement moindre (les meilleurs enseignants préfèrent enseigner à Paris pour des raisons pragmatiques que je viens d'exposer). Les universités parisiennes peuvent investir dans l'excellence, même si le nombre d'étudiants ne suit pas, car elles compensent en termes de coopération internationale, d'échanges de haut niveau, etc. Les universités de province doivent faire des choix : privilégier quelques domaines d'excellence (études sur la Renaissance, génie électrique ou médecine) et sacrifier le reste, ou plus généralement, conserver un pôle d'excellence et surgénéraliser le reste.
Donc, à mesure que les effectifs fondent, c'est le potentiel d'enseignement qui fond. Les départements qui, au temps de l'abondance, ont investi dans le recrutement de PRAG, se voient avec un nombre x d'heures bloquées (il faut à tout prix compléter le service des PRAG; donc trouver 384 heures fois autant le nombre de PRAG), le service des profs, le service des maîtres de conférences, celui des lecteurs, bref, le "surencadrement" guette, alors que le nombre de spécialités incluses dans un cursus est fixe. Je veux dire par là qu'un cursus d'espagnol comptera toujours des civilisations médiévales, classiques, coloniales et contemporaines, pareil pour les littératures, plus langue et linguistique. Pourquoi cela ? Parce que les diplômes sont nationaux. Une université ne peut donc bricoler un diplôme à la carte selon son potentiel d'enseignant et le nombre d'étudiants inscrits. Elle ne peut non plus rayer l'enseignement d'un trait de plume, car que ferait-elle des titulaires ? Elle ne peut non plus conserver les enseignements en l'état car que dira le contribuable ? Voilà où nous en sommes, et en l'état actuel il n'y a d'autre solution qu'une progressive dissolution (démoralisation, culpabilisation, paranoïaïsation, et j'en passe).
Fort heureusement, des stratégies existent : lorsque les enseignants concernés ont entendu vingt fois dans les conseils d'UFR, scientifique ou d'administration : "Huhu, avec cinq étudiants je ne pavoiserais pas si j'étais vous" ; "Huhu, cher collègue, je vous conseille de réfléchir sérieusement à l'avenir de votre mission", ils en arrivent au point de maturité (dégoût de soi-même, sentiment de sa propre nullité) qui les incite à demander leur mutation dans les pires conditions d'auto-estime ("je suis un minable mais daignerez-vous que je me joigne à votre équipe ?"). C'est une manière élégante de régler le casse-tête que j'ai décrit (pour plus de détails, et qui me concernent directement, voir ici), car le combat finit par cesser faute de combattants.
Finalement je scinde la note en trois.
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