... contre le travail infantile.
Parmi les causes susceptibles d'être embrassées par le plus grand nombre, la lutte contre le travail infantile figure en bonne place. Mes lecteurs, sans aucun doute, y adhèrent de tout coeur, et s'il faut reconnaître qu'un enfant est mieux à même de se faufiler dans le boyau d'une mine, et donc d'en être extrait après un éboulement, on conviendra qu'il est préférable d'y cantonner de vrais mineurs.
Bien sûr, des théories d'avant-garde, développées ici-même, suggèrent que toute activité rémunérée exercée par un enfant est bonne à prendre, si l'on conçoit le foyer comme une coopérative où chacun fournit sa quote-part. Si mon Anthropopotame Junior (en projet) désirait, disons, des Nike ou des Reebok, je l'encouragerais vivement à enfiler un bleu de travail et à pointer à l'usine.
Mais s'il faut dénoncer un scandale, c'est bien celui des enfants malais, cingalais, bangladais ou birmans affectés à la fabrication de vêtements.
On évoque souvent les relents méphitiques qui s'échappent des cuves, la manipulation de textiles suintant de colorants chimiques dont l'excédent s'écoule dans le Brahmapoutre ou le Gange, le bruit assourdissant des machines à coudre, les contremaîtres adolescents tirant l'oreille de leurs cadets, et cela pour trois roupies tout au plus.
Or on passe sous silence un fait essentiel à tous ceux qui, comme moi, aspirent à une allure impeccable: c'est l'incapacité constitutionnelle des enfants de 4 à 8 ans à coudre correctement un bouton. Aussi, que m'importe que ma chemise me coûte dix euros, et mon pantalon quinze, si je dois moi-même assurer le service après-vente? Le consommateur est-il condamné à réparer, recoudre, reteindre lui-même ces pièces de vêtements malmenées par des doigts gourds?
S'il convient, donc, d'adopter une position mesurée à l'égard du travail infantile, afin de respecter les traditions locales, suggérons que la fabrication de vêtements ne soit autorisée qu'une fois achevé le développement psychomoteur. Ainsi, tout un chacun sera satisfait, en particulier le consommateur européen, soucieux d'élégance et de vêtements bon marché.
"Cher Anthropopotame - cette formule a des airs enfantins, comme si on disait cher Père Noël... - d'abord j'ai eu d'excellentes raisons de ne pas - mais on tutoie le P. Noël... - vous commenter immédiatement car votre "rapport de mission" est arrivé à la rentrée, alors que j'étais en plein déménagement et prenais mes quartiers dans un nouveau lycée avec une surcharge surprise de travail - et je ne dispose du net que par intermittence : j'avais archivé vos pages sur mon pc mais ça ne copiait les couleurs donc j'ai remis ça à plus tard. Je viens toutefois de terminer la lecture de votre périple et j'aimerais traduire quelques impressions. Il ne s'agit pas de procéder à une critique en bonne et due forme (pas d'opinion délirante ni scandaleuse comme vous pouvez en être coutumier) dans la mesure où l'objet ne s'y prête pas. J'ajouterai que le découpage chronologique et non pas thématique rend malaisés les commentaires (puisque tout a été publié le même jour) de votre "journal". En vrac donc : faute de connaître avec précision les enjeux de la mission et son historique, j'avoue être un peu paumé dans la dépouillement de ces notes. On croit toujours que le journal d'un anthropologue doit être passionnant et regorger d'anecdotes uniques : ce que vous racontez est au contraire souvent d'une grande banalité (cela dit sans jugement de valeur). Le résultat, si on s'en tient à la matière brute transmise paraît bien mince ! Néanmoins, votre témoignage est instructif parce qu'il nous fait découvrir que la nature de votre travail de terrain est fort proche de celui d'un archéologue, c'est-à-dire que vous ne savez pas ce que vous cherchez précisément et il n'y a aucune raison qui préside à la découverte d'un trésor. Ainsi, on comprend mieux que l'anthropologie soit fastidieuse et aussi souvent décevante : on veut de l'extraordinaire alors que celui-ci ne se décrète point. En outre, votre population autochtone était tout sauf l'incarnation du rêve exotique : ce n'est pas un peuple de primitifs que vous nous avez montrés ! Je m'en veux donc un peu de ne pas avoir trouvé ça plus intéressant et de n'avoir pu m'y plonger avec délectation comme dans un volume de Terre humaine. Je pense qu'il faudra que j'y revienne car je n'ai pas le sentiment d'en avoir retiré la moelle...
Bon retour parmi nous cher ami et pour de nouvelles aventures à Neverland !"
Rédigé par : Bardamu | mardi 21 sep 2010 à 21:03