D'abord, j'annonce à mes lecteurs bien-aimés que je suis officiellement inscrit en HDR. Il m'en a coûté 342 euros, à bas, à bas, à bas la sélection ! Inutile de vous dire qu'il faut disposer de revenus confortables si l'on souhaite réellement diriger des recherches.
Ensuite - je m'adresse essentiellement à mes jeunes admirateurs - au vu du nombreux courrier de lecteurs récemment pubères et qui hésitent entre les professions d'anthropologue et de trader, je dispenserai ces quelques conseils.
Etre anthropologue est un sacerdoce (dans le dictionnaire, "sacerdoce" figure à la lettre "s"). Il est vrai que nous fréquentons beaucoup de jolies femmes, tant dans les séminaires que sur le terrain. Ces jolies femmes sont irrésistiblement attirées par notre côté baroudeur habillé chez Battistoni (ici je parle plutôt des anthropologues mâles). Notons toutefois que ces mêmes jolies femmes ont également un côté baroudeur et "je ne m'embarrasse pas de chichis" qui peuvent rebuter les âmes sensibles, en particulier quand elles se mouchent entre leurs doigts. Si par exemple vous étalez votre veste dans une flaque d'eau pour leur faciliter le passage, il est probable qu'elles ne s'en rendront pas compte, occupées à disserter sur l'agentivité ou la construction des corps chez les Tupi-Kawahib.
Sur le terrain, être anthropologue peut flatter l'ego le plus chatouilleux. En effet, nous sommes souvent considérés comme des dieux ou à la rigueur des quarts de dieu. Comme en un mythe du cargo constamment réactualisé, les indigènes -ces naïfs - entretiennent un "mythe de l'anthropologue" et nous prennent souvent pour des fabriquants d'appareil photo numérique, susceptibles de faire apparaître ces merveilles technologiques de n'importe quelle poche de notre sac à dos. Etrangement, ces mêmes indigènes éprouvent spontanément une forte attirance pour les montres Rolex, souvent préférées aux bimbeloteries, aux hameçons et aux perles. "Tu dois nous aimer beaucoup pour être venu de si loin m'apporter un Nikon FC44. As-tu des cartes mémoires, grandes ou petites (cartemémoire-açu, cartemémoire-mirim) ?".
Mais, comme je l'annonçais, être anthropologue relève du sacerdoce (toujours au même endroit dans le dictionnaire). En effet, il faut une sensibilité d'écorché pour s'imprégner du mana local, l'esprit qui circule de maison en maison. Il faut déployer un pouvoir visuel qui ne se peut comparer qu'à des rayons X. Nous comprenons l'âme des autochtones bien mieux qu'ils ne le font eux-mêmes. Parvenu à un certain degré d'expertise, l'anthropologue n'a même plus besoin de se lancer dans des entretiens fastidieux. Un coup d'oeil à l'ensemble, et hop ! son enquête est bouclée, il n'y a plus qu'à signer le bon à tirer. Il m'a fallu cinq ans pour comprendre les Pataxo, cinq mois pour les Galibi, cinq semaines pour les Palikur, cinq jours pour les Karipuna, cinq heures pour Iratapuru, cinq minutes en Rondonia, et je pense à présent pouvoir même éviter de me déplacer, et écrire mes articles à la simple vue d'une photo de groupe (après y avoir, yeux bandés, promené mes doigts).
C'est donc là, on l'aura compris, un bien beau métier que nous faisons, un métier qui ne connaît pas la crise, et l'on comprend aisément qu'il suscite des vocations. Quant au métier de trader, j'ignore absolument ce que c'est.
Je sors des entretiens au CNRS, et ceci est ma 400e note.
J'ai eu le temps d'exposer ce que j'avais à exposer, tout s'est déroulé de manière cordiale, mais je sens bien que l'on m'a tendu une perche que je n'ai pas su relever.
Nous verrons. Je dirais 1 chance sur 10.
Par Fantômette
Cette note s'adresse bien entendu au lézard et à la lézarde de Federico Garcia Lorca(1).
Séchez vos larmes, mes vieux amis, car votre anneau de mariage, le bel anneau de plomb, est retrouvé.
Hier, j'ai été m'acheter des roses - de belles roses rouges - sur le marché.
Le soleil, capitán redondo, portait son gilet de satin.
J'attendais patiemment que le fleuriste ait fini d'attacher les fleurs entre elles pour ne pas qu'elles s'échappent, lorsque j'ai remarqué sur la table, posée dans une soucoupe sur un petit tas de pièces de monnaie, une bague.
- Quelqu'un vous a laissé une bague comme pourboire ? me suis-je étonnée.
- Non non.
Le fleuriste m'a sourit, en me tendant le bouquet de roses.
- Nous avons trouvé l'anneau en ouvrant un carton de roses d'Espagne. Nous avons décidé de le laisser là.
Curieuse, j'ai pris l'anneau dans la main. C'était un anneau sans valeur, gris, en plomb peut-être - en plomb sûrement - gravés de quelques motifs réguliers.
- C'est une curieuse histoire, ai-je dit en m'éloignant.
Dont je connais le fin mot, naturellement.
(1) Le Lézard est tout en Larmes..., F. G. Lorca
Le Lézard est tout en larmes,
La lézarde est en tout en larmes.
Le lézard et la lézarde
En petits tabliers blancs.
Ils ont perdu par mégarde
Leur anneau de mariage.
Hélas, leur anneau de plomb
Leur joli anneau de plomb !
Personne dans le grand ciel
Où monte un globe d'oiseaux.
Le soleil, gros capitaine
Porte un gilet de satin.
Regardez comme ils sont vieux !
Comme ils sont vieux les lézards !
Et comme ils pleurent, mon Dieu !
Comme ils sont tout en larmes !
Bon. Voilà un samedi qui se profile sans M. la jolie.
Travaillé hier soir jusque tard avec une amie géographe qui m'a retoqué mon Powerpoint, et voici la diapo finale (la vingtième) :
Le "et voilà" est de moi, je pense que je vais l'enlever.
Reste à finir le rapport de synthèse sur le Rondonia, corriger l'article sur Eternal Treblinka, corriger des copies, préparer un projet pour l'Institut supérieur de communication de Rio. Un bon week-end à tous.
Fantômette, c'est à vous !
Par Fantômette
Le masque dont je me suis affublée vous l'aura évidemment appris, je suis victime d'un syndrome hélas extrêmement répandu parmi mes confrères avocats, celui dit du justicier masqué - également répertorié dans la littérature médicale sous le nom de syndrome DVO, soit syndrome du défenseur de le veuve et de l'orphelin.
Les symptômes en sont classiquement les suivants : entretien farouche d'un mystérieux anonymat, détermination à porter une cape en toute circonstance (y compris professionnelle), effrayante capacité à se fondre dans l'ombre, nette tendance à préférer les séduisants cambrioleurs (type Arsène Lupin) aux flegmatiques détectives (type Hercule Poirot), incapacité à résister à tout ce qui ressemble - de près ou de loin - à un appel à l'aide.
Ainsi, sollicitée par notre hôte, anthropopotame, je m'empare donc - une nouvelle fois - des rênes de ce blog pour lui apporter mon aide, succombant délicieusement à une nouvelle manifestation de cette handicapante manie.
A très bientôt.
En ce moment j'ai l'impression de parler tout seul.
Je fais la tournée des blogs : mortel. Secouez-vous, les gars ! Narayan, au boulot ! Mouton, debout ! Le Piou, allez, achète-la cette baraque ! Veggie, muscle un peu les réponses aux commentaires de tes fans !
Au passage, je voulais remercier les lecteurs habituels de ce blog et les commentateurs réguliers - Fantômette, l'ami Taupe - qui font que je n'ai pas besoin, comme Eolas, de me pourvoir d'un troll detector ou d'un "café du commerce detector". Je serais vraiment désolé que mes commentateurs se contentent d'un "Trop cool" ou d'un "Bin moi c'est pareil".
La vérité est la suivante : préoccupé par mes candidatures, je suis incapable de me consacrer à des notes d'information sur l'Amazonie, comme promis. Ce qui prouve ma grandeur d'esprit. Je serais vraiment soulagé si Fantômette voulait bien prendre le relais et publier ici quelque chose d'un peu plus palpitant que mes aspirations carriéristes.
Bon, la journée se termine, je n'ai rien foutu à part écouter en boucle des messes de Mozart et lire un Agatha Christie (la coupable était surnommée Killer Kate).
En décembre, la veille de mon départ pour New York, une collègue m'apprend que pour être candidat au CNRS il faut un projet de recherche d'au moins quinze pages. J'ai ouvert de grands yeux : Ah bon ?!!?
Elle m'a regardé d'un air inquiet pour ma santé mentale, puis pour me rassurer m'a dit que les projets écrits au coin d'une table étaient les meilleurs. Bon, j'ai fait ce que j'ai pu là-bas entre deux hamburgers et deux visites de Chinatown.
Maintenant, j'apprends à trois jours des oraux qu'il faut l'accord d'un directeur de labo. Heureusement deux d'entre eux m'ont répondu tout à l'heure qu'ils étaient OK.
On pourra donc dire que j'ai de la chance dans ma naïveté.
Mais je ne sais si l'épithète "naïf" me garantit une carrière prometteuse. C'est d'autant plus rageant que j'aime à me penser comme un fin politique !
Et me voilà plongé dans l'aboulie la plus totale. Ce qui vient ajouter à cette aboulie est le mail d'une collègue brésilienne qui me demande si je voudrais passer un an à Rio à l'Institut supérieur d'information et de communication. Bien sûr, cela me fait sauter de joie, mais dans mon état d'hébétude, écrire un nouveau programme d'enseignement et de recherche équivaut à m'opérer moi-même de l'appendicite.
Une collègue m'annonce son intention de se suicider dans la journée. Parfait, lui dis-je, je n'y vois pas d'objection. Mais elle ajoute qu'elle projette de se jeter sous un TGV.
Ah non !
Non, lui dis-je. Je dois prendre le train de 19h23. Elle finit ses cours à 17h, et compte donc profiter du passage du TGV de 17h20. Le calcul est vite fait : cela signifie que le train de 19h23 sera retardé et vraisemblablement bourré de monde. Pourquoi ne pas attendre tranquillement son retour à Paris, et se jeter sur la voie du tramway qui passe près de chez elle ?
Elle insiste, persiste, mes hymnes à la vie n'y font rien - que faire ? Sans doute, ami Mouton, serai-je en retard à notre rendez-vous de ce soir.
J'ai fait un drôle de rêve cette nuit.
J'étais dans un village Palikur situé en montagne. J'avais une balle dans l'abdomen, j'ignorais si j'allais en mourir ou non, mais cela semblait bien parti. Je devais demeurer immobile mais, étant seul, il me fallait sortir pour trouver de quoi manger. Dans une sorte de marché fermé je me faisais voler mes derniers centimes d'euros par une vendeuse de passage.
Rentré dans ma maisonnette, je voyais par la fenêtre la forêt qui commençait à brûler, à grandes volutes noires. Des hélicoptères passaient, et à mesure que le feu progressait, des animaux en contrebas fuyant dans tous les sens. Et je vis des paresseux géants frappés par la foudre, et des ânes marchant debout.
Enfin il fut procédé à l'évacuation du village. Il pleuvait de la suie et des cendres. On me mit dans une voiture, mais ou parce qu'elle était trop chargée, ou trop vieille, elle ne faisait que patiner, patiner, patiner.
Je me suis demandé par quels étranges chemins m'était venu ce drôle de rêve. En y réfléchissant, hélas, je me rends compte qu'il émane sans doute du dernier compte-rendu de réunion (celle d'hier, réunissant les facs de lettres et de droit) que j'ai reçu de Neverland, et dont je cite et commente ces quelques extraits :
M. W. (Histoire/Archéologie) insiste sur le fait que les enseignants ont lancé le 2 février une grève illimitée en sachant très bien ce qu’ils faisaient ; il ne faut pas cesser un mouvement parce qu’il y a une menace sur les diplômes ; soit on arrête tout tout de suite, soit on continue et on va jusqu’au bout. Si cela va jusqu’à l’annulation des diplômes pour le semestre, cela sera très difficile, mais la lutte contre la destruction de l’Université vaut bien cela.
Remarque habituelle : ce sera "très difficile" pour les étudiants, les salaires des enseignants continuant à être versés. La "lutte contre la destruction de l'Université" me paraît merveilleusement ironique, au vu de l'état des locaux et de l'abandon des étudiants. Qu'à cela ne tienne, citons Clausewitz :
M. X. précise que ce sont surtout les L1 qui ont disparu. « La force d’une armée, c’est le soutien populaire » (Clausewitz)
On ignore ce que veut dire M. X., ce stratège. Sans doute pense-t-il aux première année comme un bataillon de fantassins russes, armés de faux et de bâtons, pour essuyer les premiers feux de la blitzkrieg ?
M. W. en revient aux démissions et dit que la politique de la chaise vide est inefficace. La question des L1 est dramatique, mais, d’un certain point de vue, c’est trop tard – les dés sont jetés. Ceux qui ont lâché prise ne reviendront pas, donc pourquoi arrêter le mouvement pour eux ? Les L3 d’histoire sont très présents, et les L2 aussi.
Après Clausewitz, César. A moins que ce ne soit là le courage d'Agamemnon, prêt à sacrifier sa fille afin de s'embarquer dans une guerre de dix ans ?
Selon M. Y. (Droit, LEA), la situation est différente de 2003 : en 2003, on se battait pour nous (retraites), alors que, cette année, le mouvement vise à préserver le service d’enseignement public pour les générations futures. Si on laisse faire la thatchérisation de la France, elle se fera. S’il y a des dégâts à court terme (diplômes 2008-2009), c’est pour défendre les élèves et les parents d’élèves, la société dans son ensemble.
Of course. Et la mussolinisation de la France est un risque, aussi. La société dans son ensemble est affectée par le statut des enseignants chercheurs et leur évaluation. Cela vaut bien de faillir une fois à notre mission de service public, justement afin de préserver le service public. Le message est fort : "OK, toutes les autres fois on se battait juste pour nos intérêts, mais là c'est différent." Les "générations futures", ayant renoncé à affronter une université bordélique, remercieront les collègues de leur avoir donné le courage de passer les concours d'entrée aux grandes écoles, ces "générations futures" ayant elles aussi souci de leur avenir.
Mme X. (Lettres) trouve regrettable que l’on ne fasse que la grève des enseignements. Continuer à faire des colloques, et même à écrire des articles, est de plus en plus problématique.
Il est clair que le refus, par Mme X., de publier un article, équivaudrait à l'acte d'un Proust suspendant sa plume après avoir écrit "Combray, à dix lieues à la ronde..."
M. Z. (qui appartient à mon département) aimerait rappeler qu’il y a aussi une responsabilité des non-grévistes dans le durcissement du mouvement, et donc dans les menaces sur les diplômes.
M. W. insiste sur l’importance de ne pas envoyer de signal de déblocage via la Présidence; en cas de nouveau déblocage, il y aurait un risque de violence et d’escalade, dont les enseignants seraient partiellement responsables.
Le commentaire de M. Z. est savoureux, puisqu'il fait, je pense, référence à votre serviteur. Si les grévistes durcissent le mouvement, c'est à cause des non-grévistes, qui sont en fait les vrais responsables de la poursuite de la grève. M. W. embraye et nous entrons dans une logique singulièrement tortueuse : si le mouvement se radicalise et si violence il y a, ce sera de la faute de ceux qui veulent éviter la radicalisation et la violence. Message : si les cours reprennent, cela va mal tourner.
Conclusions : Pour lutter contre la destruction de l'Université, il faut la détruire. Pour assurer notre mission de service public, il ne faut pas l'assurer. Pour sauver les étudiants, il faut les sacrifier. Pour mettre un terme à cette grève, il faudrait que les non-grévistes cessent de ne pas faire grève.
A ce sujet, voilà plusieurs fois que je reçois des messages, amicaux et inamicaux, me prévenant que cela pourrait devenir "dangereux" pour moi à Neverland. Je me demande ce que signifie le terme "dangereux" en contexte universitaire, mais lundi j'emporterai mon magnétophone et mon appareil photo. Si Neverland se situait en Amazonie, j'emporterais également ma machette.
Rassure-toi, lecteur, ma prochaine note portera sur l'Amazonie. Tu peux, pour te faire une idée de son contenu, te reporter à cette note de Bergère, et à la chanson de Mickey 3D qu'elle transcrit.
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