"Seuls Kitty et Levine n'avaient pris aucune part à la conversation générale. Au commencement du dîner, quand on parla de l'influence d'une nation sur une autre, Levine se remémora involontairement les idées qu'il s'était faite à ce sujet ; mais il se sentit incapable d'y mettre de l'ordre, et trouva bizarre qu'on pût s'embarrasser d'un problème qui naguère encore le passionnait et qui maintenant lui paraissait parfaitement oiseux. De son côté Kitty aurait dû s'intéresser à la discussion sur le droit des femmes, question dont elle s'était souvent occupée, tant à cause de son amie Varinka (...) que pour son propre compte dans le cas où elle ne se marierait pas : souvent sa soeur et elle s'étaient disputées à ce sujet. Combien cela l'intéressait peu maintenant ! Entre Levine et elle s'établissait une sorte d'affinité sérieuse qui les rapprochait de plus en plus et leur causait un sentiment de joyeuse terreur, au seuil de cet inconnu dans lequel ils s'engageaient."
Tolstoï, Anna Karénine, IV, 11
Ma destination était moins exotique que d'habitude : les Lucs sur Boulogne, haut-lieu des guerres de Vendée. Ma tante y possède une maison avec un jardin d'un hectare que j'entretiens de temps en temps.
Je ne surprendrai personne en signalant que c'est le printemps - mon album photo ci-contre pourra en témoigner. Le jardin était très fleuri, l'hiver était humide et les plantes reprennent vigueur mais perdent du parfum. Parmi les oiseaux : entrée en force des huppes fasciées, naguère épisodiques, disparition des pics verts et apparition des pics épeiches, moins de pinsons que d'habitude, des hulottes en phase de reproduction, beaucoup de merles et peu de grives. Un couple d'hirondelles seulement : gros problème d'insectes volants, manifestement.
Plein de grenouilles (une tous les 5m² environ), des lézards verts franchement agressifs (voir ci-contre), une couleuvre et quatre vipères, un orvet seulement.
Fauché, tondu, fendu le bois. On dit que quelques jours de vacances font perdre des points de QI, et je suis assez d'accord. Je pencherai pour 1 pt de QI par jour, ce qui fait que je suis passé sous la barre des 100 (si tant est que je l'atteignais).
Regardé la télé, aussi, je me suis réjoui du journal de France 2 : je pense que nous atteindrons bientôt les canons de la Globo en termes de rigueur et de hiérarchie des informations. En même temps, je comprends que les journalistes soient ennuyés face aux feintes et aux esquives du pouvoir : comment dissimuler le fait qu'il n'y a rien à cacher ? La France va à vau-l'eau, nous sommes mal gouvernés et encombrés de députés, de sénateurs, de conseillers municipaux, régionaux, généraux qui de toute façon n'ont aucune notion de ce qu'est l'intérêt général. On entre en politique par ambition, et non par compétence. On entretient une image à toute force, en déployant une énergie monumentale à entretenir son carnet d'adresse, autant d'énergie qui n'est pas dépensée à l'acquisition de ce qu'on pourrait appeler, vulgairement, une pensée politique. Les hommes politiques ne commencent à réfléchir qu'une fois à la retraite, ou quand dégoûtés ils sortent de l'arène.
Les déclarations (hum, c'est un grand mot) de Jean-François Copé ce matin, à propos de trente mesurettes prises dans la foulée du rapport Attali, sont éclairantes (il y avait "des hommes de gauche" dans la commission). La France n'est plus perçue, et par personne, comme un ensemble solidaire. Nous sommes des catégories juxtaposées, et chacune est une épine dans le pied des autres : les patrons, la main d'oeuvre, les retraités, les fonctionnaires, les handicapés, les chauffeurs de taxi, le monde agricole, les marins-pêcheurs, et j'en passe, voilà le petit monde qui s'agite et dont on se demande ce qu'ils font là tous ensemble. Je regarde les journaux télévisés et je ne sais si l'on s'adresse à moi depuis mars ou la lune. Et des tornades passent aux Etats-Unis. Et bientôt ce sera la saison du baccalauréat ("C'était aujourd'hui l'épreuve de philo pour des milliers de lycéens..."), puis les vacances ("le point sur ces vacanciers courageux qui ont pris le premier bain de l'année..."), puis l'ouverture de la chasse ("On l'appelle Mamie Roberte : elle a 90 ans mais pour rien au monde elle ne manquerait son faisan...") : les infos ne sont pas quotidiennes, elles sont annuelles, l'avez-vous remarqué ? Chaque jour, on ressort les bobines de l'année précédente. Et un petit point sur mai 68 : gros plan sur Cohn Bendit annonçant "nous occupons la Sorbonne" clic clac et le canapé est replié.
J'ai rêvé de Churchill l'autre jour. Rêvé que je pleurais à la fin de chaque volume des Mémoires de la deuxième guerre mondiale. Quand je les lisais, je me souviens de mes difficultés à dormir et de mes rêves épuisants. J'avais dû suspendre la lecture pour prendre un peu de repos. Et je pensais à Churchill, le matin au petit déjeuner : nous nous réveillons et songeons à la lettre qu'il faudra mettre à la poste, à un coup de fil à passer, à deux trois courses qu'il faudra faire ; lui pensait aux nombres de combattants en Birmanie, aux négociations avec Roosevelt, à l'approvisionnement en oeufs de la capitale, à la mise au pont des radars, à Rommel, à Franco, au pétrole à livrer aux troupes australiennes, au siège de Malte qu'il lui fallait lever, et la planète entière se couvrait de têtes d'épingles colorées.
Le lecteur, égaré par mes multiples confessions, aura sans doute perdu de vue, comme cela m'arrive parfois, les objectifs de ce blog. Ils figurent dans les notes associés à la catégorie "Profession de foi" mais je vais essayer de clarifier ici ma démarche.
Parmi les multiples maux dont souffre cette planète, il faut savoir faire son miel de ceux qui entrent dans le cadre de mes recherches amazoniennes sur le développement durable en contexte indigène ou "traditionnel". Bien entendu, ce qui m'a orienté vers ce type de recherches est l'idée que l'avenir du monde ne se joue ni en Irak, ni en Palestine, mais en Amazonie. Une altération en profondeur d'un tel écosystème aurait des conséquences bien pires que l'explosion de Tchernobyl ou des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki réunies. Modification des régimes de pluie dans l'hémisphère sud, avec des conséquences inévitables sur la capacité de production agricole, et d'autres conséquences pour lesquelles les outils de calcul me manquent.
Il y a donc une question d'échelle et de catégorie qui diverge de ce que l'on pourrait attendre d'une démarche citoyenne : ma perspective concerne l'évolution à l'échelle géologique, et l'humanité en tant qu'espèce parmi d'autres. Par conséquent, le fait que des gens n'aient pas les moyens de s'acheter de la viande ou de se payer un DVD, s'il m'afflige, n'entre pas exactement dans mes considérations. Le lecteur m'opposera que dans ce cas, je ne devrais pas parler du parfum qu'a laissé sur ma chemise une danseuse de tango, et je l'approuve. On peut adopter une perspective ample, se placer du point de vue de Sirius, et rester toutefois un individu égocentrique et suffisant. Je demande donc au lecteur bienveillant de faire la part des choses, et au lecteur malveillant de s'exprimer librement, d'autant que je pars quelques jours à la campagne et ne pourrai donc répondre aux propos calomnieux.
Pour illustrer le point de vue de Sirius, voici un intéressant Turé dansé sur la plage de Cumuruxatiba, sous la pluie, et sans public, par un groupe de Pataxo. Je prétends ici uniquement illustrer la tristesse que l'on éprouve face à l'océan, qui ne répond ni ne nous entend.
Le débarcadère menant au fleuve Uaça, au tout petit matin :
Houellebecq écrivait : "Tout peut arriver dans la vie, et surtout, rien".
Je ne suis pas loin de croire qu'il a raison. Est-ce d'avoir fini l'article sur le chamanisme, panne de neurone. Je suis en rade au bord de mon cerveau, à l'écoute de vieux tangos - Recuerdos, La Yumba, Mala Pinta - qui m'évitent de réfléchir.
A la milonga d'hier, une danseuse a laissé sur ma chemise un parfum entêtant, merveilleux en vérité, presque magique.
Journaux ? Non. Nouvelles du Brésil ? Problème de contestation d'une terre indigène dans l'Etat de Roraima. L'idée que l'humanité passera comme le reste rend tout cela dérisoire.
O abîme, tu es le dieu unique !
Un immense fleuve d'oubli nous entraîne vers un gouffre sans nom
Les dieux passent comme les hommes, et ils ne serait pas bon qu'ils fussent immortels.
La foi que l'on a eue ne devrait jamais être une chaîne : on est quitte envers elle quand on l'a roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts.
Renan, Prière sur l'Acropole (approximativement).
Si Ulysse vivait à Paris, il mourrait de faim attaché à son mât : le lecteur parisien n'aura pas été sans remarquer qu'on ne peut circuler dans Paris sans entendre, montant de chaque boulevard, le chant d'une sirène.
On connaît la célérité avec laquelle les fonctionnaires de police répondent aux appels des vieilles dames : d'un geste, hop ! Le gyrophare est posé sur le toit, le pare-soleil rabattu, et la sirène lancée à fond pour couvrir Eminem.
Comme les télécommunications modernes permettent à ces véhicules banalisés de répondre de manière synchrone à toute sollicitation, et que par précaution on envoie en renfort deux ou trois cars de police, le passant, cycliste ou automobiliste se trouve à un moment confronté à des choix cornéliens : griller le feu pour laisser passer celui qui vient derrière ? Mais alors, comment éviter la fourgonnette qui vient à droite ? Dois-je répondre aux appels de phare et aux grands gestes du bras de l'inspecteur penché à sa fenêtre, dussé-je écraser la maman qui traverse avec sa poussette ?
Oui, on assiste parfois à des scènes dignes du Cuirassé Potemkine. Le cycliste est particulièrement mal loti : d'une part, il ne peut, comme d'autres, fermer tout bonnement sa fenêtre. D'autre part, les 4x4 effarouchés, se rabattant à gauche, à droite comme une volée d'étourneau, le bloquent contre le trottoir entraînant chutes, contusions, traumas nécessitant parfois un rude et long suivi psychologique.
Ci-dessous, le destin a frappé à la porte de ce cycliste :
On constatera qu'admirable, cet homme ne cesse pour autant de travailler au "Dictionnaire DURAMAZ du développement durable" pour faire plaisir à Martine Droulers.
Un lecteur irritable m'écrit à propos de la note d'hier : "on a connu un anthropopotame plus pétillant". Je ne sais que répondre, sinon que j'ai de tristes heures. Incapable de me concentrer, ayant laissé de côté le chamanisme que je rendais par les yeux, je cherche quelque vérité dans l'évolution de la faune africaine au Miocène sans, ma foi, découvrir grand chose.
Une chose est sûre : le moteur de l'évolution, ce sont les variations climatiques et les bouleversements floristiques qu'elles entraînent. La terre est entrée dans un cycle glaciaire/interglaciaire depuis 3.2 millions d'années, avec une aggravation il y a 2 millions d'années. Nous sommes actuellement dans une période interglaciaire selon un cycle de 20 000 ans environ, ce qui fait que nous en avons encore pour 10 000 ans de climat tempéré. Sauf si le réchauffement entraîné par nos activités brise cette succession de cycles pour recréer une terre globalement tropicale comme au temps des dinosaures (Jurassique/Crétacé).
Tout cela n'est pas très pétillant, je dois le reconnaître. Le fait est qu'il ne m'arrive rien de spécial, à part des footing de 350 mètres environ (le temps de récupérer ma capacité pulmonaire) et une lancinante envie de fumer. J'alterne rêves et cauchemars sur les mêmes sujets. En réalité un poème correspond à ce que j'éprouve, mais je l'ai perdu. Il s'agissait d'une traduction de "Sensation" par Pippo Delbono - traduction, non. Le poème de Rimbaud compte deux quatrains, et Delbono en fait un fleuve magnifique, Le sere azzure d'estate, andro... Non parlero, non dicero niente, Ma l'amore infinito salira nell'anima...
Si quelqu'un retrouvait ce poème longtemps punaisé au-dessus de mon bureau et que j'ai égaré, vi suplico, vi prego : envoyez-le moi de nouveau.
Retrouvé !! J'en avais des doubles planqués dans un dossier. C'est un extrait de sa pièce La Rabbia.
Le sere azzurre d'estate andrò nei sentieri a camminare sull'erba, - sognante ne sentirò nei piedi la freschezza, - lascerò il vento bagnarmi la testa nuda.
Non parlerò, non penserò a niente, e l'amore infinito mi salirà nell'anima.
Nel grande giorno, l'uomo, stanco di infrangere i suoi idoli, rinascerà - libero di tutti i suoi dei, e siccome appartiene al cielo, scruterà il cielo.
Il pensiero, invincibile, eterno, il dio che vive sotto la sua carne d'argilla, - salirà, salirà, salirà, salirà, salirà, salirà, salirà, e brucerà nella sua mente.
E tu vedrai l'orizzonte, - sprezzante dei vecchi ostacoli, - libero di ogni timore, splendido, radioso, - sorgendo dal seno dei grandi mari, - gettando nel vasto universo l'amore infinito, in un infinito sorriso.
Il mondo vibrerà come una immensa lira - nel fremito di un immenso bacio.
Il mondo ha sete d'amore - e tu verrai per placarlo.
Je m'arrête là, je dois aller au CREDAL.
Samedi grisâtre... Encore plongé dans mon chamanisme, traduisant les récits portant sur les anacondas hantant les lacs et les bras de rivières.
Pas fumé depuis huit jours, footing, légumes et fruits, écoutant Cassia Eller ("Admiravel gado novo"), reprise en main de l'organisme, grigris etc. tout pour émerger des brumes de l'Uaça et de ses vilains sorts perceurs de poumons et briseurs de moëlle épinière.
Je me plonge avec délectation dans les livres portant sur le Cénozoïque (Agusti et Anton), le paléolithique et le néolithique (Jean-Denis Vigne et Jacques Cauvin), successions de mammifères défilant comme par une lanterne magique où une seconde équivaut à deux millions d'années, où la domestication du blé et de l'orge s'étale sur deux millénaires, où les statuettes progressivement deviennent figures divines, femmes aux yeux étincelants dont le trône est soutenu par des panthères. Hommes ayant vécu parmi les fauves, hommes aux vastes espaces inexplorés, marchant, marchant des mois sans rencontrer personne, maîtrisant la taille du silex et de l'obsidienne jusqu'à obtenir des pointes et des tranchants parfaits, creusant leurs maisons, les toitures au ras du sol, premiers silos, premiers autels domestiques, il y a 11 000 ans de cela, premiers crânes couverts de bitume et de chaux, peints en vert et rouge, masques de pierre aux dents esquissées, élevant des chèvres, chassant l'aurochs, et les générations se succèdent, nous voilà plus graciles, prêts à quitter le Moyen Orient et les flancs du Taurus pour aller mettre la Terre en culture. Drôle d'espèce, vraiment. Lente dérive vers une discipline sociale tournée vers le travail. A quoi pensaient-ils ? De quoi parlaient-ils ? Qu'avaient-ils donc à dire ces hommes-là ?
Selon Jacques Cauvin, le néolithique introduit la hiérarchie des êtres, l'homme se situant à mi-chemin des bêtes et de la divinité. Conscience de soi, perte de contact avec le reste des créatures. On parle "d'hominisation" pour désigner le processus, mais le terme exact ne serait-il pas plutôt "animalisation" ? Le reste du vivant bascule dans l'indifférenciation, dans le mutisme. Si l'on a vu juste, les fresques de Lascaux, de Chauvet, de Rouffignac, traduisent une perception des chevaux, des bisons, des aurochs et des mammouths comme d'autres gens, d'autres clans avec lesquels existent des relations, fussent-elles de guerre et de prédation. Soudain cette perception disparaît - "soudain" comme dans l'expression "soudain la nuit tomba". La complexification du langage a entraîné une perte de communication fondée sur d'autres signes, langage corporel, gestuelle, odeurs, qui sait le monde de sens dont nous avons perdu la maîtrise à mesure que le vocabulaire fixait les choses sur un plan hors intuition, hors perception, et finalement hors de toute réalité immédiate.
A voir ces gens qui fument dans la rue quand depuis cinq jours j'ai arrêté, je me sens comme le jeune athée des Possédés qui ne sait que faire de "sa nouvelle, sa terrible liberté", et se propose en conséquence de se faire sauter le caisson...
"La Globo a un je ne sais quoi / Que vous connaissez très bien / C'est le "quoi" de Qualité / Cette qualité qui nous pousse toujours plus haut, plus loin / Sans jamais perdre notre crédibilité, et jusqu'à l'émotion la plus pure / Respectant la liberté d'opinion et la neutralité des positions / La qualité de la Globo va au delà de ce qu'on voit: elle est dans ce qu'on sent /Qualité des deux côtés : de notre côté et du vôtre / Des décors à 300 000 dollars jusqu'aux détails des costumes / C'est ce qui nous permet depuis si longtemps d'apporter dans votre maison, dans tout notre Brésil / nos désirs d'exigence etc."
Ce discours de propagande récité par les stars de la Globo dans un montage qui les met en scène sur le plateau de leurs émissions et novelas respective était montré environ dix fois par jour, ce qui fait que je l'ai plus ou moins mémorisé.
Qu'est-ce que la télévision en général ? Une entreprise d'écervelage. Qu'est-ce que la Globo ? Une entreprise d'écervelage particulièrement réussie.
Disons-le tout de go : j'adore les telenovelas. J'ai compris progressivement que la Globo, au contraire de Balzac qui inventait le retour des personnages, avait inventé le retour des acteurs, et c'est irrésistible : comment lutter contre le charme de Deborah Secco, de Leticia Spiller ou Deborah Falabella ? Contre la gouaille d'Antonio Fagundes et la présence d'Edson Celulari ? Quand on connaît ces acteurs, ma foi, on peut attraper n'importe quelle novela et se retrouver en terrain familier. Comme un reporter peut s'afficher tantôt en Sibérie, tantôt en Terre de Feu, la belle Deborah Secco se trouve tantôt dans une favela de Rio, tantôt dans une villette du Minas au XVIIIe siècle. D'après son air, on devine si elle est dans le camp des gentilles ou des méchantes, et ce n'est pas la peine de chercher à en savoir davantage.
Mais les novelas ne sont que la partie émergée de l'iceberg : la Globo fonctionne en double circuit fermé : fermé sur le Brésil, et fermé sur elle-même. Passons sur la tranche d'actualité "le tour du monde en une minute" qui en dit long sur l'approfondissement des conflits et crises extérieurs au Brésil. Ce qui est extraordinaire et intrigant, c'est l'extraordinaire décomplexion avec laquelle la Globo se met en scène, elle et ses porte-drapeaux que sont les artistes et les animateurs.
J'ai pu assister aux ultimes épisodes du BBB (Big Brother Brasil). C'était la huitième édition : les journaux signalaient que les postulants au million de réaux avaient si bien étudié les éditions précédentes qu'ils avaient compris que la plus stricte neutralité était de mise pour empocher le gros lot. Résultat : aucune scène croustillante, pas de dispute, peu de flirt, un évitement permanent des conflits. Les plus actifs (un psychiatre nommé Marcelo et une Thatiana qui passait son temps à hurler) sont sortis bien vite. Ne sont restés en lice que les deux plus ternes, Rafinha et Gyselle, leur affrontement, inexistant à l'écran, passant par les votes de leurs Etats respectifs (Piaui et São Paulo). Le présentateur Pedro Bial avait beau les pousser dans leurs derniers retranchements, ils ne faisaient que répondre : "je suis comme je suis, je suis sincère". On les faisait passer au détecteur de mensonge, et hélas, ce qu'ils disaient était vrai : ils évitaient les conflits par tempérament, et non par stratégie. Furieuse des images parfaitement ineptes qui émergeaient jour après jour (les candidats enfermés dans leur chambre, ne parlant pas, ne lisant pas, à la rigueur allant se préparer un sandwich, ou mangeant ensemble un petit déjeuner offert par Nestlé, Nestlé écrit partout et eux concluant : merci Nestlé !), la production multipliait les épreuves humiliantes. La dernière fut extraordinaire, digne des meilleures expériences menées sur les rats : les candidats devaient s'enfiler dans un labyrinthe, et en une minute, ramasser le plus de piles communes et Duracell que possible, la Duracell valant huit points et la commune 1 point. Puis ils devaient, une après l'autre, déposer leurs piles dans une urne en déclamant : "Commune... commune... Duracell...", le présentateur insistant pour qu'ils brandissent bien la pile devant la caméra. Ces jeunes gens transformés en supports publicitaires, parfaitement conscients qu'ils l'étaient, mais songeant qu'un million de réaux valait bien ce détour par la merchandisation, étaient peut-être, après tout, de véritables stratèges. La Globo en tous cas a gagné davantage puisqu'on a compté 70 000 000 d'appels à 10 cts d'euro pour l'élimination finale de Gyselle (élimination largement orchestrée par la chaîne, le présentateur ne se gênant pas pour la traiter de manipulatrice, opposant sa "détermination" à la "prédestination" de Rafinha, orientant ainsi légèrement les votants), puis aux invitations multiples sur les différents plateaux des émissions phares, où les candidats répétaient à l'envi leur joie, leur sincérité, leur amour de la famille, et finalement commentant longuement l'évolution de leur tour de taille et de leur coupe de cheveux.
Mais la Globo est loin d'être la pire. Les chaînes évangéliques qui monopolisent quasiment le réseau hertzien font mieux encore, mais je les ai peu regardées car chez João elles étaient brouillées. Le mieux : la Band a patronné une jeune femme emprisonnée durant trois semaines pour avoir volé du lait en poudre (pour nourrir ses enfants), en lui payant un avocat et fournissant des aliments de base à sa famille durant son absence. Résultat : à sa sortie elle doit enfiler le T-shirt pimpant du supermarché qui a fourni les "cestas basicas" et embrasser ainsi sa mère et ses enfants, suivie caméra à l'épaule depuis la porte de prison, le présentateur annonçant "regardez bien comme elle va embrasser sa mère en pleurant", sans que l'on comprenne bien si la chaîne encourage le vol de lait en poudre ou la rédemption.
Encore plus fort : le programme de Marcia, toujours sur la Band. Marcia est une maîtresse femme qui soumet les maris infidèles au détecteur de mensonge, selon un scénario immuable : l'épouse éplorée fait part de ses doutes, le mari volage fanfaronne, Marcia le brise d'un ton sec puis le soumet à l'épreuve. Les questions défilent, et finalement Marcia récapitule et fait une longue pause pour déclarer : "à la question X... il a menti !" cependant que l'épouse se décompose. J'ignore s'il s'agit d'acteurs payés par la chaîne, Ce serait bien possible. Là encore on ne voit guère le pourquoi puisque Marcia en fin de compte explique à l'épouse que tous les hommes sont pareils et que ce n'est pas une raison pour les quitter. Quelques photos de l'écran brouillé - on devinera aisément qui est qui :
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