Nous vivons dans un monde où le statut de victime donne le permis de tuer.
Combien de gens derrière les barreaux à cause de la parole d'enfants manipulés? Qu'un enfant parle et le silence se fait. Victime du haut de ses dix ans, victime du haut de son handicap, victime du haut de sa fragilité, victime placée en position surplombante.
Les avocats des victimes faisant appel pour durcir les peines: tout le monde renchérit. La situation de victime faisant oublier tout ce sur quoi devrait reposer l'estime et le respect: la droiture, la loyauté, l'honnêteté. Aujourd'hui, la victime enhardie, encouragée, assoiffée de sang, exige réparation.
Quand Dominique Strauss-Kahn a été arrêté, quiconque disait un mot pour sa défense se heurtait à un mur d'invective. Même les paroles si mesurées et justes de Robert Badinter lui valurent des sarcasmes: "Où est l'égalité des chances quand en effet l'accusatrice dit 'je suis la victime' et qu'on la protège et DSK répond 'je plaide non coupable' et on l'accable ?"
On citait cela et l'interlocuteur haussait les épaules, comme si au fond ce n'était pas le sujet. Le sujet, c'était que les femmes tenaient leur revanche.
Comme on fait son coming out, tous les viols, même les plus improbables, furent relatés, relayés, brandis comme des preuves, du simple fait, pensait-on, qu'un viol est difficile à raconter pour qui l'a subi. Raconter "son" viol, c'était forcément dire la vérité. On ne mesure pas l'exhibitionnisme, le narcissisme, le désir d'être entendu et de briller pour ces pauvres humains mal dans leur peau. C'est dans l'air du temps, qu'attendre d'un temps sans imagination?
La victime avait parlé, et ne pouvait mentir, comme l'affirmait Gisèle Halimi: ."Comment voulez-vous croire qu'une simple femme de ménage, noire, mère célibataire de surcroît, ne dise pas la vérité ? Quel serait son intérêt ?"
La Victime devenant synonyme de position morale d'où l'on peut tout juger: le pouvoir, l'argent, l'intelligence.
Aujourd'hui on ne les entend pas, ceux qui nous servaient de la psychanalyse à deux balles expliquant le déchaînement de Strauss-Kahn par le désir de choir. Ceux qui suggéraient qu'il était coutumier du fait. Celles qui proclamaient qu'il devait payer pour les autres.
Tous ces abrutis prêts à jurer, la main sur le coeur, qu'il fallait d'abord croire l'une avant de croire l'autre, mettant les témoignages dans une balance pour appuyer de toutes leurs forces du côté du pauvre, du malade, du migrant, de la minorité. Cela me fait penser à Coeur de chien, et au sentiment que l'on retire de la lecture de Boulgakov.
Pour avoir vécu cette situation d'avoir, face à ma parole, celle d'une "victime" - minorité ethnique, pauvre, désemparée, protestant de son innocence et de sa bonne volonté - je mesure ma chance d'avoir eu l'Université de mon côté, quand il eût été si facile de régler cette affaire en me laissant patauger et me briser.
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