Tout n'est qu'or et lumière, transcendance de soi, sexualité sublimée, Eros luttant contre Thanatos.
J'en veux pour preuve ce magnifique éloge de la corrida publié par Jean-Marie Magnan, ami des plus grands, dans la revue Marianne. Dans ce texte intitulé "Face à l'animalitaire: argumentaire d'une passion", Jean-Marie Magnan suggère que les opposants à la corrida sont des singes, et il n'a pas tort:
"La plupart des débats sur notre passion ressemble beaucoup à une
victoire de l’animalité sur l’humanité. On y entend plus de cris que
d’arguments, de tapage que de dialogue. On risque de s’y transformer en ces
troupes de singes d’Amérique du sud à qui Dieu, selon la légende, avait promis
de les faire hommes lorsque poindrait le jour et qui se voient trompés à chaque
aurore et hurlent leur déception."
Les aficionados, eux, n'appartiennent pas au monde animal. Ce ne sont ni des primates, ni même des mammifères: ils sont des Esthètes, ou plus clairement, des Hommes, dans l'acception noble du terme. Des Hommes qui luttent à chaque instant contre la sauvagerie de la Bête, pour la défaite de l'Instinct face à la maîtrise du geste, contre le Cri et pour la Parole, cela au péril de leur vie. Des Esthètes couillus, donc, de vrais mecs. L'animalitaire, lui, étant châtré, pousse des cris aigus :
"L’animalitaire s’essouffle, on dirait qu’il va suffoquer après avoir
jeté un dernier cri : «la tauromachie est une entreprise dégradante !» Sa voix
prend des intonations de plus en plus aiguës."
Et tel un picador plantant sa banderille, Magnan ajoute:
"Ses phrases effarantes sont
plutôt lénifiantes en regard du danger encouru par le torero."
(Plaza de Toros, Madrid (spettacolopuro-flickr-cc)/// (Anthropologue domptant le féroce Basilic, Vendée)
Face à la beauté de ce texte, on ne peut bien entendu que sourire devant les tentatives désespérées de contradicteurs d'opposer à l'Epique la plate réalité des pratiques, la froideur des statistiques.
Ainsi de ce qu'écrit Eric Baratay en 2003, dans son ouvrage Et l'Homme créa l'Animal:
"[A propos des évolutions de la corrida dans les années 1940] Les taureaux sont choisis plus jeunes, moins grands, et sont manipulés pour être francs, prévisibles, moins puissants, aux cornes resserrées et écourtées. Ils sont aussi préparés par l'afeitade, un sciage des cornes à vif pour fausser le sens spatial et dissuader d'user de ces armes endolories (...)." (p.281)
"Construit dans l'entre-deux-guerres, le discours sur l'omniprésence du danger, de la peur et de la mort pour l'homme prend une importance croissante. A partir des années 1970, il constitue la principale justification d'une corrida présentée comme la dernière tragédie moderne. Pourtant, l'évolution réelle est contraire. Il y eut, en France et en Espagne, 16 toreros tués pour 71469 taureaux abattus (1 pour 4467) entre 1901 et 1947, (...) soit un risque de décès de 0.022%. Il y a quatre morts pour 136134 taureaux (1 pour 34033) de 1948 à 1993, soit 0.0029% de risque, en grande partie grâce à la manipulation des taureaux. Or il y a plus de décès en Formule 1 (18 plus 7 en essais officiels) de 1950 à 1994 sans que ce discours s'installe." (p.283-284)
Eric Baratay n'a rien compris. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Mais de quoi s'agit-il alors? Et Jean-Marie Magnan d'expliquer, par les mots mêmes de ceux qui chaque jour affrontent 0.0029% de risque mortel, ce qu'est la corrida, l'Eternel Combat, véritable entreprise de séduction :
UN ADVERSAIRE PAR QUI
SE FAIRE AIMER.
«Luis Miguel a été la séduction dans le toreo. Moi, je me suis attaché à
toréer avec amour.» Pareille connivence importait seule à Antonio
Ordoñez. «Comme
chaque artiste avec son mode d’expression, j’ai entretenu avec certains
taureaux une quête amoureuse.»
Et Luis Miguel de répliquer à cet Ordoñez qui s’éprenait des bêtes de son choix
: «
L’amour est
facile à ressentir et la séduction difficile à réaliser. Pour parvenir à un
véritable amour, il faut d’abord séduire. Cette progression dans la
compréhension du fauve c’est le plus beau de la corrida. J’avais la
réputation de m'entendre avec quatre-vingt-dix pour cent des taureaux.»
«
Les êtres se
cherchent au moyen d'approches qui, bien que sexuelles, ne se réduisent pas à
la seule réalité physiologique». Comme Belmonte, Ordoñez relate les
mécanismes de la corrida en termes érotiques. Des manœuvres analogues préparent
une complicité en tout point voisine sauf que l’appareil génital n’y tient pas
son rôle avec production de l’orgasme. À nous de nous arranger d’une ferveur
qui baigne l’arène et qu’Ordoñez identifie à la progression de l’entente entre
deux amants. Il se plaît à évoquer un domaine d’enchantement où se conjuguent
l’homme et la bête, et dont les effluves grisent les sens.
(...) Convertis en partenaires, les deux adversaires consomment des noces
indicibles dans un silence coupé des brefs appels du torero et du souffle
rauque du fauve en réponse. Leurs deux sensibilités se conjuguent. L’accord
rythmique suspend la
menace. La plus inventive des chorégraphies naît du danger.
Un Eros rayonnant fait reculer Thanatos, ne serait-ce que très provisoirement.
(...) «Soudain,
je suis seul avec mon corps dans un au-delà de la technique et j'oublie tout de
ce qui n'est pas cet émerveillement de l'acceptation de mon jeu par le taureau.»
(...) Il n'y a plus entre eux que directives transmises sans trop emprunter le
cerveau, à la forme charnelle de l'amour. «Petit taureau, pourquoi me faut-il te tuer lorsque
je t'aime le plus ?» La voix gitane du chant profond défaille,
expire et rebondit en un cri ou un sanglot."
Encore une fois, les opposants croiront bien faire en demandant: mais qu'en pense le taureau? A quel moment entend-on le taureau s'exprimer? Pas de chance, ce n'est encore pas de cela qu'il s'agit. Le taureau pousse des cris, il ne parle pas. Le taureau n'est pas majeur en droit. Le taureau n'est pas protégé par les lois de son pays. C'est donc légitimement que le torero s'exprime à sa place, sa parole inlassablement reprise par les aficionados.
Et devant la beauté de ce discours qui sublime les pratiques, on songe à une autre forme littéraire, les carnets pédophiles que nous a laissés Marc Dutroux, à propos de voyages en des contrées lointaines où l'hystérie antipédophile, avec ses cris aigus, n'a pas accompli les ravages qu'elle a causé ici (où l'animalité l'a emporté), et où l'on sait apprécier les ballets rose et or de messieurs tout nus.
Je me permets de commenter ces carnets ici (je m'appuie principalement sur la parole de pédophiles car les enfants concernés ne savaient pas encore parler ou sont morts) :
UN partenaire PAR QUI
SE FAIRE AIMER.
«Gilles de Rais a été la séduction dans la pédophilie. Moi, je me suis attaché à être pédophile avec amour.» Pareille connivence importait seule à Marc Dutroux. «Comme
chaque artiste avec son mode d’expression, j’ai entretenu avec certains
enfants une quête amoureuse.»
Et l'esprit de Gilles de Rais de répliquer à ce Marc Dutroux qui s’éprenait des enfants de son choix
: «L’amour est
facile à ressentir et la séduction difficile à réaliser. Pour parvenir à un
véritable amour, il faut d’abord séduire. Cette progression dans la
compréhension du bambin c’est le plus beau de la pédophilie. J’avais la
réputation de m'entendre avec quatre-vingt-dix pour cent des enfants.»
«
Les êtres se
cherchent au moyen d'approches qui, bien que sexuelles, ne se réduisent pas à
la seule réalité physiologique». Comme Gilles de Rais, Marc Dutroux relate les
mécanismes de la pédophilie en termes érotiques. Des manœuvres analogues préparent
une complicité en tout point voisine sauf que l’appareil génital n’y tient que secondairement son rôle avec production de l’orgasme. À nous de nous arranger d’une ferveur
qui baigne la cave ou la chambre d'hôtel et que Dutroux identifie à la progression de l’entente entre
deux amants. Il se plaît à évoquer un domaine d’enchantement où se conjuguent
l’homme et l'enfant, et dont les effluves grisent les sens. Convertis en partenaires, les deux êtres consomment des noces indicibles dans un silence coupé des brefs appels de l'enfant et du souffle rauque du pédophile en réponse. L’accord rythmique suspend la menace. La plus inventive des chorégraphies naît
du danger d'être arrêté et jeté en prison. Un Eros rayonnant fait reculer Thanatos, ne serait-ce que très
provisoirement.
«Soudain,
je suis seul avec mon corps dans un au-delà de la technique et j'oublie tout de
ce qui n'est pas cet émerveillement de l'acceptation de mon jeu par l'enfant.»
Il n'y a plus entre eux que directives transmises sans trop emprunter le
cerveau, à la forme charnelle de l'amour. «Petit enfant, pourquoi me faut-il te tuer lorsque
je t'aime le plus ?» La voix gitane du chant profond défaille,
expire et rebondit en un cri ou un sanglot. "
Paroles victorieuses face à la bête Réalité: tout n'est qu'or et lumière, et transcendance de soi.
D'autres notes sur les discours voilant et légitimant les pratiques, avec la complicité de ceux qui les reprennent, font mine de ne pas voir et se complaisent dans ces antiennes:
Tolérance
La Chasse au lion
Des safaris de rêve
Humanité über alles
Responsabilisation
Où l'on découvre l'existence d'une surespèce
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