"Seuls Kitty et Levine n'avaient pris aucune part à la conversation générale. Au commencement du dîner, quand on parla de l'influence d'une nation sur une autre, Levine se remémora involontairement les idées qu'il s'était faite à ce sujet ; mais il se sentit incapable d'y mettre de l'ordre, et trouva bizarre qu'on pût s'embarrasser d'un problème qui naguère encore le passionnait et qui maintenant lui paraissait parfaitement oiseux. De son côté Kitty aurait dû s'intéresser à la discussion sur le droit des femmes, question dont elle s'était souvent occupée, tant à cause de son amie Varinka (...) que pour son propre compte dans le cas où elle ne se marierait pas : souvent sa soeur et elle s'étaient disputées à ce sujet. Combien cela l'intéressait peu maintenant ! Entre Levine et elle s'établissait une sorte d'affinité sérieuse qui les rapprochait de plus en plus et leur causait un sentiment de joyeuse terreur, au seuil de cet inconnu dans lequel ils s'engageaient."
Tolstoï, Anna Karénine, IV, 11
Petite femme rongée par le mercure, qui a tenu cinq ans face aux bons gros ministres de Brasilia, buvant des daïquiri autour du lac Paranoa, face à la "bancada ruralista", la travée de l'agrobusiness, pleine de bons gros cultivateurs de soja et éleveurs du Mato Grosso, la voilà, la dévoilà plutôt : Marina Silva a jeté la serviette.
La pression sur l'Amazonie était devenue telle, la "décomplexion" de ceux qui clamaient haut et fort qu'un arbre sur pied ne valait rien, a fini par l'emporter. Un pays ne peut lutter contre son héritage, contre sa tradition : le Brésil s'est construit sur le pillage des ressources, sur la recherche permanente du produit miracle qui soutiendrait l'économie dix ans, trente ans, jusqu'à ce que l'on en trouve un autre. Sa taille immense et sa situation unique lui a toujours permis de trouver quelque plante, quelque minerai que les autres ne possèdent pas. L'atavisme du front pionnier fait le reste : sucre, café, or, boeuf, aujourd'hui soja, fer, nickel.
A quoi bon cette paranoïa autour de la biodiversité brésilienne si ce qui intéresse le président Lula n'est pas la petite grenouille vénéneuse, mais le soja arrosé de pesticide ? A quoi bon des formations supérieures, des écoles d'ingénieurs, s'il s'agit juste, pour réussir dans la vie, de savoir recruter un chauffeur de moissonneuse ? On peut oublier sans peine que le Brésil possède une industrie de pointe, aéronautique, spatiale, médicale. Ce qui intéresse le Brésil, ce sont les plantations de soja et les retraités hollandais et norvégiens qui se font construire des baraques sur les plages du Nordeste. Le reste, on s'en moque.
Le plan "Amazonie durable" que défendait Marina, qui fut cautionné par la communauté internationale à cause de ce qu'elle représentait, comme femme proche de Chico Mendes, formée dans la lutte pour la défense des collecteurs de caoutchouc, proposait de ne plus dissocier l'environnemental du social. Pour cela, l'argent du PPG7, manne financière découlant de la conférence de Rio 92, destinée à la préservation de la forêt, fut reversé dans ce projet porté par la ministre. Et voilà que Lula nomme à la direction du projet l'un des plus ardents défenseurs du PAC, "plan d'accélération de la croissance". L'argent du G7 financera donc des routes et des turbines ? Une autre tradition brésilienne vient dès lors à l'esprit : non plus le bandeirante, mais le malandro : foulard autour du cou et sourire enchanteur.
Lecteur bien aimé, si tu penses que les grenouilles ont leur rôle à jouer, et ne sont pas condamnées à être ce "pauvre acteur qui fait trois tours sur scène et puis s'en va", tu peux signer la pétition ci-dessous :
http://www.amphibianark.org/online-petition.php
Amphibian Ark est une fédération d'associations environnementales qui propose une série d'actions en vue de restaurer les populations d'amphibiens qui sont menacées (est-ce vraiment surprenant ?) un peu partout dans le monde.
Voici une délectable nouvelle que publie le Monde :
Les producteurs français de porcs favorables à la réintroduction des farines de viandes et d'os
LE MONDE | 07.05.08 | 17h01 • Mis à jour le 07.05.08 | 17h01
(...) Guillaume Roué, vice-président de la Fédération nationale française des producteurs de porcs, estime qu'une utilisation partielle de certaines farines animales est aujourd'hui envisageable. Il s'agirait, selon lui, d'utiliser celles issues des porcs dans l'alimentation des volailles et inversement. Un tel système offrirait l'avantage de prévenir la forme de "cannibalisme" qui prévalait avant 2000 quand des herbivores étaient nourris avec des farines carnées. "Il faut bien reconnaître le fait que le cochon est un omnivore qui, ces dernières années, a été rendu végétarien", observe M. Roué qui s'offusque du fait que les principaux concurrents des producteurs français, les Américains et les Brésiliens, peuvent, eux, avoir recours aux farines animales et exporter leur production en Europe.
"MICROSOLUTION"
Les éleveurs de porcs français sont aujourd'hui confrontés à l'envolée des cours des céréales et du soja dont ils nourrissent leurs animaux et qui correspondent à 65 % de leurs coûts de production. Ils estiment que le recours aux farines animales permettrait une économie de 4 centimes le kilogramme de viande. Ce dernier se vend aujourd'hui 1,15 euro alors même que le coût de production est de 1,60 euro. "Dans un contexte de crise alimentaire, c'est une microsolution, mais il faut gérer au plus près les denrées et ne pas gaspiller de source d'énergie", explique M. Roué.
Les producteurs souhaitent aussi que la France lève l'interdiction d'avoir recours aux graisses végétales, autorisées ailleurs dans l'Union européenne, sauf en Allemagne. (...)
"Le cochon est un omnivore qu'on a rendu végétarien", s'offusque M.Roué... Quelle aberration ! M. Roué a bien raison de s'offusquer, mais il serait bon aussi de réfléchir à ceci : le porc est un mammifère quadrupède qu'on a rendu immobile. Le porc est un mammifère diurne qu'on élève dans l'obscurité. Le porc dispose d'une queue qu'on lui tranche à quelques semaines. Le porc dispose d'organes reproducteurs qu'on retire sans ménagement. Les truies sont des mères qui normalement s'occupent de leurs rejetons, mais qui lui sont retirés à la naissance pour une refécondation jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus. Le végétarisme imposé me paraît relativement bénin, M. Roué.
J'aime enfin la tranquille franchise avec laquelle les producteurs de porc avouent qu'ils surproduisent et perpétuent un système digne de Treblinka : le cochon n'est pas rentable, produisons davantage de cochon ! Le Brésil ayant renforcé le contrôle sur la déforestation, le soja est plus cher, c'est ennuyeux.
Mais on peut encore, et c'est une bonne solution, entretenir la machine à zigouiller des bestiaux en nourrissant les porcelets avec leurs mères réduites en granulés, et les poussins avec du bouillon de la poule qui les pondit !
En revanche, l'idée de produire un peu moins de chair à bidoche est à écarter : il faut amortir les installations pléthoriques, et la moindre diminution du cheptel risquerait, on s'en doute, de renforcer les défenseurs des cours d'eaux sans nitrates et autres nostalgiques du bocage et des frais vallons.
Continuons donc de produire à perte du porc et du poulet de mauvaise qualité, en économisant sur leur nourriture et en reliant leurs abreuvoirs au réseau d'égout. Ils sont des millions, entassés dans le noir, farcis d'antibiotiques, queues coupées, becs tranchés, dans un silence de mort. Les hommes qui passent entre eux, les écartant à coups de pied, sont les mêmes qui réclament notre solidarité à l'heure de crise, les mêmes qui produisent à perte grâce aux subventions issues de nos impôts. Combien existe-t-il, en France, de ces machines à produire de l'absurde ? A la fois nocives et vaines, auto-entretenues par la force des lobbies, elles pourrissent nos campagnes, ne les avez-vous pas croisées ?
(Complément du 9 mai) : Mon propos ici n'est pas de dénoncer le "cannibalisme". Dans ce contexte, ce ne serait que fausse pudeur. Le public a-t-il été informé que, parmi les multiples succédanées d'alimentation proposés à nos poulets en batterie, figuraient du plâtre, mélangé à leurs propres fientes ? A ce degré d'ignominie, je ne sais à quel saint il faudrait se vouer.
Il y a dans l'élevage industriel une logique qui devrait nous révulser. Mais nous l'acceptons soit en refusant d'y penser, soit en mettant cette logique sur le compte de la nécessité. Or cette nécessité n'existe pas. Rien, absolument rien au monde, n'interdit d'élever décemment des animaux, fussent-ils promis à l'abattage. Rien n'oblige les éleveurs à pratiquer cet élevage dans l'obscurité, réduisant des porcs, qui sont des créatures pas plus bêtes que d'autres, à n'être que des jambons sur pied les peu de mois qu'on leur donne à vivre. L'élevage à perte, fondé sur les subventions européennes ou régionales d'un côté, sur les expédients trouvés pour truquer et frelater les nourritures données à ces pauvres bêtes, pour les entasser davantage, en les ébecquant, en leur limant les crocs, en leur coupant la queue, en les bourrant de Lexomil et autres psychotropes, qui nous donne ce silence effrayant régnant dans ces élevages, qui prélude à leur mort à coup de vérins hydrauliques et de couperets circulaires sans que ces porcs, ni ces boeufs, ni ces poulets, n'émettent le moindre cri, cet élevage à perte, donc, n'est que l'un des multiples aspects par lesquels nous épuisons la nature, nous épuisons ses ressources, et peut-être même sa patience.
La pêche industrielle repose sur le même principe, d'épuiser des bancs entiers de poissons, pour une moitié ou les deux tiers rejetés, morts, nourrissant les mouettes, affamant les phoques, les baleines, les loutres, les requins, et cela pour payer cinq salaires et les traites du bateau. L'opinion publique peut-elle comprendre cela ? Peut-elle accepter cela ? Oui, bien sûr. Nous acceptons tant de chose, déjà. Nous sommes usés par tant d'avanies, par cette pauvre femme qui tend la main devant le MacDonald's, par ces Nigériens affamés par nos propres vaccins, qui ont fait exploser leur population, qui ont épuisé leurs campagnes, et qui se pressent à nos portes aujourd'hui, prêts à affronter mille morts plutôt que de mourir de faim. Nous ne savons littéralement plus où donner de la tête. Chacun de nos gestes a un impact ; nous savons à tout instant qu'il nous faut choisir entre la peste et le choléra - nucléaire ou bio-carburant ? viande bio ou pas de viande du tout ? suremballage éthique ou produit made in China ? Soutenir nos athlètes ou éteindre la flamme ? Etc.
Et nous ne résoudrons rien, de toute façon.
(Illustrations tirées d'une bande dessinée du temps où j'allais à l'école. Pour ceux qui n'arriveraient pas à lire, les bulles immarcescibles sont retranscrites dans les commentaires. Je n'imaginais pas, à l'époque, que j'idéalisais encore la réalité de l'élevage porcin. Tous droits réservés.)
Ma destination était moins exotique que d'habitude : les Lucs sur Boulogne, haut-lieu des guerres de Vendée. Ma tante y possède une maison avec un jardin d'un hectare que j'entretiens de temps en temps.
Je ne surprendrai personne en signalant que c'est le printemps - mon album photo ci-contre pourra en témoigner. Le jardin était très fleuri, l'hiver était humide et les plantes reprennent vigueur mais perdent du parfum. Parmi les oiseaux : entrée en force des huppes fasciées, naguère épisodiques, disparition des pics verts et apparition des pics épeiches, moins de pinsons que d'habitude, des hulottes en phase de reproduction, beaucoup de merles et peu de grives. Un couple d'hirondelles seulement : gros problème d'insectes volants, manifestement.
Plein de grenouilles (une tous les 5m² environ), des lézards verts franchement agressifs (voir ci-contre), une couleuvre et quatre vipères, un orvet seulement.
Fauché, tondu, fendu le bois. On dit que quelques jours de vacances font perdre des points de QI, et je suis assez d'accord. Je pencherai pour 1 pt de QI par jour, ce qui fait que je suis passé sous la barre des 100 (si tant est que je l'atteignais).
Regardé la télé, aussi, je me suis réjoui du journal de France 2 : je pense que nous atteindrons bientôt les canons de la Globo en termes de rigueur et de hiérarchie des informations. En même temps, je comprends que les journalistes soient ennuyés face aux feintes et aux esquives du pouvoir : comment dissimuler le fait qu'il n'y a rien à cacher ? La France va à vau-l'eau, nous sommes mal gouvernés et encombrés de députés, de sénateurs, de conseillers municipaux, régionaux, généraux qui de toute façon n'ont aucune notion de ce qu'est l'intérêt général. On entre en politique par ambition, et non par compétence. On entretient une image à toute force, en déployant une énergie monumentale à entretenir son carnet d'adresse, autant d'énergie qui n'est pas dépensée à l'acquisition de ce qu'on pourrait appeler, vulgairement, une pensée politique. Les hommes politiques ne commencent à réfléchir qu'une fois à la retraite, ou quand dégoûtés ils sortent de l'arène.
Les déclarations (hum, c'est un grand mot) de Jean-François Copé ce matin, à propos de trente mesurettes prises dans la foulée du rapport Attali, sont éclairantes (il y avait "des hommes de gauche" dans la commission). La France n'est plus perçue, et par personne, comme un ensemble solidaire. Nous sommes des catégories juxtaposées, et chacune est une épine dans le pied des autres : les patrons, la main d'oeuvre, les retraités, les fonctionnaires, les handicapés, les chauffeurs de taxi, le monde agricole, les marins-pêcheurs, et j'en passe, voilà le petit monde qui s'agite et dont on se demande ce qu'ils font là tous ensemble. Je regarde les journaux télévisés et je ne sais si l'on s'adresse à moi depuis mars ou la lune. Et des tornades passent aux Etats-Unis. Et bientôt ce sera la saison du baccalauréat ("C'était aujourd'hui l'épreuve de philo pour des milliers de lycéens..."), puis les vacances ("le point sur ces vacanciers courageux qui ont pris le premier bain de l'année..."), puis l'ouverture de la chasse ("On l'appelle Mamie Roberte : elle a 90 ans mais pour rien au monde elle ne manquerait son faisan...") : les infos ne sont pas quotidiennes, elles sont annuelles, l'avez-vous remarqué ? Chaque jour, on ressort les bobines de l'année précédente. Et un petit point sur mai 68 : gros plan sur Cohn Bendit annonçant "nous occupons la Sorbonne" clic clac et le canapé est replié.
J'ai rêvé de Churchill l'autre jour. Rêvé que je pleurais à la fin de chaque volume des Mémoires de la deuxième guerre mondiale. Quand je les lisais, je me souviens de mes difficultés à dormir et de mes rêves épuisants. J'avais dû suspendre la lecture pour prendre un peu de repos. Et je pensais à Churchill, le matin au petit déjeuner : nous nous réveillons et songeons à la lettre qu'il faudra mettre à la poste, à un coup de fil à passer, à deux trois courses qu'il faudra faire ; lui pensait aux nombres de combattants en Birmanie, aux négociations avec Roosevelt, à l'approvisionnement en oeufs de la capitale, à la mise au pont des radars, à Rommel, à Franco, au pétrole à livrer aux troupes australiennes, au siège de Malte qu'il lui fallait lever, et la planète entière se couvrait de têtes d'épingles colorées.
Le lecteur, égaré par mes multiples confessions, aura sans doute perdu de vue, comme cela m'arrive parfois, les objectifs de ce blog. Ils figurent dans les notes associés à la catégorie "Profession de foi" mais je vais essayer de clarifier ici ma démarche.
Parmi les multiples maux dont souffre cette planète, il faut savoir faire son miel de ceux qui entrent dans le cadre de mes recherches amazoniennes sur le développement durable en contexte indigène ou "traditionnel". Bien entendu, ce qui m'a orienté vers ce type de recherches est l'idée que l'avenir du monde ne se joue ni en Irak, ni en Palestine, mais en Amazonie. Une altération en profondeur d'un tel écosystème aurait des conséquences bien pires que l'explosion de Tchernobyl ou des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki réunies. Modification des régimes de pluie dans l'hémisphère sud, avec des conséquences inévitables sur la capacité de production agricole, et d'autres conséquences pour lesquelles les outils de calcul me manquent.
Il y a donc une question d'échelle et de catégorie qui diverge de ce que l'on pourrait attendre d'une démarche citoyenne : ma perspective concerne l'évolution à l'échelle géologique, et l'humanité en tant qu'espèce parmi d'autres. Par conséquent, le fait que des gens n'aient pas les moyens de s'acheter de la viande ou de se payer un DVD, s'il m'afflige, n'entre pas exactement dans mes considérations. Le lecteur m'opposera que dans ce cas, je ne devrais pas parler du parfum qu'a laissé sur ma chemise une danseuse de tango, et je l'approuve. On peut adopter une perspective ample, se placer du point de vue de Sirius, et rester toutefois un individu égocentrique et suffisant. Je demande donc au lecteur bienveillant de faire la part des choses, et au lecteur malveillant de s'exprimer librement, d'autant que je pars quelques jours à la campagne et ne pourrai donc répondre aux propos calomnieux.
Pour illustrer le point de vue de Sirius, voici un intéressant Turé dansé sur la plage de Cumuruxatiba, sous la pluie, et sans public, par un groupe de Pataxo. Je prétends ici uniquement illustrer la tristesse que l'on éprouve face à l'océan, qui ne répond ni ne nous entend.
Il ne faudrait pas prendre les bobos pour des enfants de choeur. (NB para os brasileiros : "bobo" em francês quer dizer "burguês boêmio", não confundam !)
Certains, malheureusement, se laissent aller, abusés sans doute par des études de marché mal faites, et cela nous donne "Smoothie innocent", des "fruits à boire". Dans la lignée de Michel & Augustin, fabriquants de biscuits et yaourts (image ci-contre), nous avons donc ceci : un mélange d'açai, de grenade, de myrtille, de banane en purée, présenté sous forme complice, bourré de clins d'oeil à je ne sais quoi:
"Nous vous promettons que tout ce qui est innocent sera toujours beau, bon et vous fera du bien: pas de concentré, pas d'additif bizarre, (...) pas de E machin-chose, et en plus on ne trichera jamais au Monopoly". (Car le bobo qui s'ennuie joue au Monopoly, ou au Scrabble, ou fait un puzzle)
Les bananes sont certifiées Rainforest (mais pas l'açai ?) "qui profite au développement de l'écosystème local et favorise la diversité biologique. Nous, on les adore".
C'est tendance, en effet de vouloir "sauver la planète" en favorisant à la fois le brave paysan certifié et la grenouille brevetée. Je ne sais si être bobo signifie être débile, avoir un univers limité au boulot et aux best-of de Casimir et Goldorak. Je ne sais si le bobo privilégie réellement les chips de pomme de terre violette à la fleur de sel et aux cinq poivres moulus par des jeunes filles vierges. Peut-être que oui, au fond, sauf que nos jeunes filles vierges à nous s'appellent FSC ou Max Havelaar ?
On nous propose de passer par la boutique afin de faire part "de nos derniers ragots" ou "papoter" quelques instants. Proximité ? Commerce local ? Favoriser le lien social ? Encourager l'emploi des jeunes rien qu'en buvant de la purée de fruit bourrée de vitamines ? Est-ce cela, la post-postmodernité, favoriser la multivalence du geste ? Sportif, concerné, sain, écolo, citoyen, votant bobo ?
L'alliance sacrée de l'ONG, de la multinationale et d'une classe sociale à la fois sybarite et entretenant un fond de mauvaise conscience envers la planète et et le monde - cela peut sembler amoral mais finalement le commerce équitable risque peut-être de nous mener à cela : un argument de vente à l'intention de ceux qui peuvent encore acheter. Pas d'objection à cela, après tout, si cela fait davantage de bien que les mégaplantations vaporisées d'insecticide. Ce qui me dérange, c'est le ton, ce côté "gens de bonne compagnie" qui s'encanaillent par un comportement enfantin. Je détesterais tout de même que mes gestes quotidiens et mes préoccupations en soient réduites à cela : trier ses ordures, c'est sympa et ça fait causer avec les voisins, aller à vélo, c'est trop cool et on va créer une ligne de vêtements biologiques pour vous qui pédalez. Consommer moins ou mieux est nécessaire. Voilà qu'on nous propose de consommer davantage en fonction de l'inutilité totale de tous nos gestes et de tous nos efforts. Le superflu certifié FSC, le superflu équitable, le superflu biologique : l'astuce du commerçant, quel qu'il soit, est de ramener toute préoccupation morale à une pulsion d'achat.
Ce concours, véritable épreuve de sélection du championnat de France de déterrage de blaireaux, a suscité l'indignation de l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) qui l'a qualifié de "pratique barbare". L'Aspas a dénoncé cette pratique qui consiste "à arracher violemment blaireaux ou renards de leur terrier avant de les abattre (...) alors que les populations de blaireaux sont en chute libre en France et que cette espèce est protégée dans la plupart des autres pays de l'Europe". Ce concours "respecte les dispositions" de la législation en vigueur et "toutes les précautions seront prises pour (qu'il) ait lieu dans les meilleures conditions", a affirmé le préfet dans un communiqué. M. Lalande a ajouté qu'il est "strictement interdit de tuer les blaireaux, qu'ils seront maintenus dans leurs terriers (et) que ceux-ci seront reconstitués par les participants". Enfin le préfet a annoncé une "présence renforcée des agents de l'ONCFS" (Office national de la chasse et de la faune sauvage) pour "veiller auprès des organisateurs de ce concours au respect de ces dispositions". L'association ornithologique et mammalogique (AOMSL) et la confédération des associations de protection de l'environnement et de la nature (CAPEN), qui ont été reçues en préfecture, s'étaient également émues de la tenue de ce concours, les 16, 17 et 18 mai à Cluny. |
Commentaire d'Anthropopotame : Le rattachement de la Saône et Loire au territoire français fut un événement de première importance. La Saône et Loire, en effet, est un pays aux traditions bien ancrées, et c'est cela qui rend ses habitants si sympathiques. Ils sont nos bons sauvages à nous, en quelque sorte. Je juge depuis ici, le 11e arrondissement, berceau de la civilisation, et je vois d'un bon oeil ces troupes rigolardes s'en allant "déterrer le blaireau", au moment où les femelles allaitent leurs petits. J'aime à imaginer les organisateurs reformant la voûte du terrier avec des précautions d'horloger. J'aime à imaginer les blaireaux reconnaissants, pas du tout effrayés, s'en revenant chez eux une fois qu'on les aura déterrés à coups de pelles et de braillements.
A propos des événements actuels dans l'Etat de Roraima, à l'extrême-nord du Brésil, j'indique au lecteur une excellente interview (en portugais) d'Eduardo Viveiros de Castro à O Estado de São Paulo.
Le conflit dérive de la démarcation d'une terre indigène, Raposa - Serra do Sol, jusque-là occupée par des riziculteurs. La réaction locale fut très vive, car l'Etat abrite également la T.I. Yanomami, et les colons (l'Etat ne commença à être colonisé que dans les années 50) brandissent l'argument du "beaucoup de terres pour peu d'indiens", tandis que des militaires se hérissent contre la démarcation de Terres Indigènes en zone de frontière, arguant de la menace d'invasion (par le Guyana ?).
Ce serait pain bénit pour un anthropologue qui, comme moi, étudie le rôle des stéréotypes culturels dans les systèmes de représentation. Hélas, votre serviteur est foudroyé par la maladie du sommeil et ronfle comme un sonneur à longueur de journée, écoutant en boucle la messe en Si mineur. Le docteur dit que ce n'est pas grave. Ogoum passe son temps à me secouer.
15h. Retour de déjeuner avec Michel Chandeigne, qui a enfin sorti son opus magnum, les Voyages de Magellan, en deux volumes. Nous parlons des engagements successifs, de la place de l'homme dans la nature. Lui vient de la biologie et s'est lancé dans l'édition historique et littéraire. Je viens de la littérature et je m'oriente vers l'éthologie. Il me parle d'un livre illustré dont il a eu l'idée autrefois: juxtaposer des images de cellules cancéreuses et de tissu urbain. Les tentacules lancées par les villes en expansion entraînent le dépérissement de la nature alentour, de même que les extensions de tumeurs cancéreuses entraînent la nécrose des tissus qui les bordent. Nous tombons d'accord sur le titre "Le cancer vu du ciel". J'objecte toutefois que la comparaison de l'humanité à un virus accrédite la thèse de ceux qui assimilent les défenseurs de la nature à des misanthropes. D'autre part, l'humanité est un produit naturel de l'évolution, une aberration en termes rationnels peut-être mais produit naturel toutefois. Le cancer est aussi produit par l'organisme qui l'héberge, remarque Michel. Plutôt que la décroissance, il prône la dénatalité, ce en quoi je suis parfaitement d'accord avec lui.
Mérites comparés de la thèse et du pamphlet. Une métaphore peut-elle se substituer à une argumentation ? Bref, nous évoquons successivement Coetzee, Dumont et Descartes. Descartes a fait autant de mal à la nature que le christianisme et l'islam réunis, puisqu'il a permis de rationaliser les destructions massives et le mépris de la vie animale. Le livre récent de Jean-Marie Schaeffer (La Fin de l'exception humaine) représente un progrès indéniable dans le contre-cartésianisme. Sortant du bistrot, satisfait et épanoui, je m'aperçois que celui-ci s'appelle "Le Descartes". J'y vois un signe, mais de quoi ?
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