24 septembre, lundi, 19h. Arrivé à Cunani après voyage poussiéreux. Départ du bus à 9h, parti avec une heure et demie de retard suite à problème mécanique. Très belle femme dans le bus, évidemment mariée à un Français. Une autre, de Santarém, enceinte jusqu’au dents, m’a abordé car elle se rendait en Guyane pour y accoucher. Elle avait très peur de la police qui lui a-t-on dit, persécutait les clandestins. Je ne l’ai pas contredite, furieux à l’idée que mes impôts lui payent une pension.
A Tartarugalzinho, j’ai cédé à la tentation : on vendait des cartes téléphoniques juste à côté d’un orelhão qui marchait, j’ai appelé M., je lui ai répété que je l’aimais, que je l’aimais, que je l’aimais.
Arrivée à Calçoene à 16h, les derniers km parcourant la route non asphaltée : poussière, poussière. Paulo Vieira, gardien de la base IBAMA, m’attendait, et nous avons rejoint Cunani après une heure et demie de moto, traversant des paysages magnifiques. Etrange comme là-bas en France je trouve le temps long quand il s’agit de parcourir les 40 km qui vont à Nantes depuis les Lucs, ou les trois heures de train depuis Paris.
Le soleil se couchait dans la vila. Notre passeur s’appelait Bigó, et Paulo m’a fait faire le tour des maisons : Luiz Carlos dit Tico le brigadiste, Edivaldo dit Val, son oncle, époux de Olga. J’ai vu également le vieux Domingos qui rentrait de la roça. Leur grande affaire est le pont suspendu qui traversera la rivière Cunani, et qui pose des problèmes car les piles en bois ont été mal positionnées dans les tubes de ciment de récupération (réseau abandonné d’égout) qui leur sert de base d’appui.
La communauté célèbre trois saints, Benedito, Maria, Raimundo. Ces deux derniers ont leur fête organisée par les femmes, ce qui n’empêche pas qu’on y consomme de l’alcool. Un seul crente, converti car il avait un problème de colonne vertébrale.
Hier soir, c’était la dernière soirée de l’expo. Soudain Lauro m’est devenu insupportable, occupant tout l’espace de sa carrure et de sa voix. J’ai compris qu’il n’y aurait pas de place pour moi dans la voiture non plus, alors je suis parti plus tôt prendre un verre avec Gabriel, l’exposant de Belo Horizonte. Très aimable, un peu timide. Je suis rentré vers minuit et demi, envoyé un petit message à Dorys pour qu’elle ne se mine pas trop ; poursuivi ma lecture de l’incroyable roman Conceito Zero qui est totalement marqué par l’idéologie militaire d’occupation de l’espace amazonien, au mépris de l’environnement, des indiens, et d’à peu près tout le reste.
Paulo Vieira m’apprend qu’il n’y aura pas ce soir de dîner. Comme je n’ai pas déjeuné, je prends mal la nouvelle.
25 septembre, mardi, 13h. Cunani. Ce matin, un tour à l’embouchure du fleuve, sur la plage, une heure de voadeira, mangue de siriuba, mangue vermelho. Mangrove en train de mourir: la mer avance parmi les troncs basculés, immenses racines à l'air, couvertes de cordes et de morceaux de filets dérivants. Gros bateau de pêche de Bragança échoué, suite à problème mécanique.
Puis conversation avec Osiris Vilhena, 76 ans, a souffert de derrame. Son arrière gd père José da Luz a connu les Français. Dehors des gens travaillent en poussant des cris. Est-ce toujours le même qui crie ?
Mon coup de fil à M.: elle me reprochait mes colères – celles qui sont liées à l’environnement, je n’en aurai plus, car je m’en fous à présent, que l’on brûle, pille, détruise, je sais qu’il n’y a pas grand-chose à faire.
18 h.
Entretien Domingos Ramos Damasceno, 60 ans, est resté vingt-et-un an avec sa femme, elle l’a quittée quand ils habitaient Calçoene pour les études de leurs enfants. « Quando se separam, elas estão preparadas pra isso, durante tempo ficaram pensando pra tomar a decisão. Nós é que levamos uma porrada.”
Il est allé à St Georges vivre avec une créole, a travaillé dans un garimpo avec un ami créole, mais le garimpo attend sa régularisation, donc il est revenu en attendant que ce soit fait.
Il pense que les lois sont justes et il les respecte. Avec l’IBAMA, c’est la même chose, il y a eu briga qd ils ont parlé de déplacer la communauté, mais avec le procès en cours de reconnaissance de quilombo, les choses se sont arrangées.
Il dénonce la famille de Bigó (Edivaldo Alves Chagas) : o cara que não vê que tem uma lei. Ce sont eux qui font des histoires avec l’IBAMA.
Il fut conseiller du parc dès son retour de st Georges, en mai 2006. Le précédent, Joao, n’assistait pas au conseil. Pour l’instant il se contente d’écouter et d’essayer de comprendre, mais sa mémoire est faible, aussi pour le compte rendu à la communauté, il attend qu’arrivent les documents. Il ne comprend pas l’enjeu des réunions, même si à présent il connaît tous les conseillers
Le ramal a été ouvert il y a douze ans. Ce sont eux qui ont ouvert la picada. Autrefois, ils allaient à Calçoene en bateau, longeant la plage, 12h de voyage en montaria (barque à voile). Il y avait des moradores tout le long du fleuve, des commerces. Il vendait du bois, travaillé à l’aide d’un serrote, ainsi que de la farine et autres choses.
Saca de farinha : de 50 à 80 réaux. Açaí: trente réaux le sac.
Osiris Vilhena
Osiris m’a emmené au campo de pouso (piste d'atterrissage), m’a montré trincheira. Il voulait mettre le feu au cerrado pour récupérer les balles des français et me les donner. Il dit que les français avaient construit un fortin de terre, et ouvert la route menant jusqu’à la tranchée. Ils s’exerçaient au tir, avaient des canons. Au retour, discuté avec son épouse, sœur de Domingos, mère d’Olga. Complainte généralisée à cause du coût du fret jusqu’à Calçoene, 200 reais, jusqu’à 350 si route embourbée.
Osiris a travaillé deux ans à Cayenne, avec un espagnol nommé Ramon qui l’avait connu enfant à Oiapoque. Lorsqu’il a eu trois ans, ses parents l’ont emmené à Oiapoque pour étudier, et de là à Macapá. Il est revenu par amour pour Cunani. Sa femme et lui touchent 350 réaux chacun de retraite, vont à Calçoene tous les deux ou trois mois pour la toucher, défrayée du coût de leur transport.
Olga Damasceno dos Santos, fille d’Osiris, técnica de enfermagem, même si n’exerce pas. M’accueille en s’excusant des mots de Paulo qui me disait hier que la communauté ne s’intéressait pas au Parc. Si, bien sûr, dit-elle, o sr nao deve pensar que nossa comunidade não é batalhadeira. Elle adore Marcos, il a sauvé la communauté en interdisant aux gens de Calçoene (donc bc de filhos daqui) de venir pêcher en emportant des isopores remplis de poisson, ce qui rendait la survie des gens d’ici très difficile. Elle adore la base d’apoio, et la montée d’escalier, pour elle c’est comme être dans un film.
Elle constate qu’autrefois, son père faisait de grandes quantité de farine mais que cela ne permettait d’acheter qu’une demie boîte de café et son tabac. Même chose pour le bois qu’il transportait aux regatões en aval, cela rapportait très peu.
Le fret est son cauchemar : si la farine rapporte 500 réaux, 400 passe au transporteur (aller-retour), il ne reste que cent reais pour leurs courses et celles de leurs enfants qui étudient à Calçoene.
Elle est sympathique, coquette sans affèterie. Voudrait belle maison qu’heureusement elle fait construire à Calçoene, pour ses enfants, mais son désir est de demeurer ici même après sa retraite.
Elle rêve d’une coopérative de beneficiamento do Açai. En période de récolte, ce sont trois camions par semaines qui emportent leur açai directement à Macapá.
São Raimundo : n’est plus fêté car plus suffisamment de monde dans la communauté. Fête de femmes car il est santo parteiro. On fait un leilão (vente de plats cuisinés), puis une procession.
São Benedito et Santa Maria continuent d’être fêtés.
La plupart de ses frères et soeurs on étudié, elle a le 2° grau completo plus técnica de enfermagem, qu’elle a suivi quand avait déjà des enfants.
Pour elle le travail de la roça est très dur, trois mois de préparation pour les nouvelles, et pour les anciennes il faut transformer régulièrement la farine. Elle dit que les affréteurs de transport, qui ont combiné les prix entre eux, ne pensent pas à combien leurs conditions sont difficiles.
(Heure du dîner: JE N EN PEUX PLUS DE CETTE BOUFFE HORRIBLE)
Les voisins, les fils du voisin passent leur temps à échanger des cris. Le groupe électrogène est branché maintenant et ils écoutent de la musique sertaneja en braillant.
Tico (Luis Carlos) et Domingos sont venus me voir pour avoir la certitude que je tiendrai le coup demain, jusqu’au lac – 12km aller, 12km retour, 6 à 7 heures de marche. Je veux y aller car j’ai besoin d’exercice – tj assis dans des voitures, des bus, des voadeiras…
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