Le professeur Tetzuro Matsuzawa, de l'Université de Kyoto, donnait hier une conférence dans le cadre du Séminaire "Archives Husserl". Son titre: "What is uniquely human? An answer from the study of Chimpanzee".
Tetzuro Matsuzawa fait partie de cette branche de l'éthologie méconnue en Europe, l'école de primatologie japonaise, qui depuis les observations sur les macaques a investi tous les champs d'étude, en particulier celui des grands singes.
Depuis trente ans, Tetzuro Matsuzawa étudie les chimpanzés en laboratoire, en particulier une femelle nommée Ai, et sur le terrain, en Guinée, où fut construite une station de recherche en 1973, dans la région de Bossou et Nimba. Il nous a présenté son ouvrage The Chimpanzees of Bossou & Nimba, publié chez Springer en 2011 (avec T. Humle et Y. Sugiyama).
Les expériences qu'il mène sur le terrain porte sur l'usage de pierres, importées du Kenya, dans une région qui en est dépourvue. Comment les chimpanzés s'approprie-t-ils ces objets rares et précieux? En laboratoire, les expériences relèvent de la science cognitive comparative. Bébés chimpanzés et humains passent des tests, tous étant accompagnés de leur mère respective afin de ne pas fausser leur état psychique. Par ailleurs sont menés des expériences classiques sur les capacités perceptives et cognitives, comme celles qui consistent à mémoriser la position de suites de chiffres ou de lexicogrammes.
La thèse de Matsuzawa porte sur "l'élevage coopératif" (cooperative breeding). Les femelles chimpanzés ne cessent de se reproduire qu'à 50 ans passés. Elles ont un petit tous les 5 ans environ, et les chances que celui-ci parvienne à l'âge adulte est maximum lorsque la mère a entre 20 et 35 ans. Chez les humains, les femmes cessent de se reproduire à l'âge de 40 ans. Elles deviennent alors des grands-mères et se dédient à l'élevage du petit de leur fille. C'est-là, dit-il, une des clés du succès reproductif des humains.
Autre point: la posture érigée stable (stable supine posture). Les petits humains ne sont pas accrochés à leur mère: ils passent une part importante de leur première vie allongés sur le dos, ce qui fait que leurs mains sont libres immédiatement. Les petits chimpanzés, gorilles et orang-outangs, eux, passent leurs premières années accrochés au dos de leur mère. En séparant physiquement le petit de la mère, les humains parviennent à augmenter leurs échanges visuels et vocaux (y compris par les pleurs, propres aux petits humains).
Matsuzawa a continué sa conférence en parlant du pouvoir de l'imagination. Un chimpanzé tétraplégique, ayant passé deux ans paralysé, ne semblait pas affecté outre mesure. Matsuzawa en déduit que son état n' ce qui est absent: j'ai vu un daim; j'ai vu une gazelle... etc. Il l'associe au pouvoir d'imagination des humains qu'il estime ne pas déceler chez les autres grands singes.
Autant j'ai apprécié la clarté de l'exposé et l'amabilité du conférencier, autant je suis perplexe devant un projet visant explicitement à étudier les chimpanzés pour découvrir ce qui est unique chez l'humain. Il semblerait plus logique de s'efforcer à découvrir ce qui est unique chez le chimpanzé...
D'autre part, lorsque j'ai posé au professeur Matsuzawa la question de savoir s'il n'y avait pas plus important, dans la vie sociale, que de se communiquer des informations et de résoudre des équations. Si le fait de communiquer des émotions n'avait pas plus de sens dans le plaisir d'être ensemble. Et je lui ai demandé s'il n'éprouvait pas la joie ou la tristesse de ses chimpanzés, et vice-versa, et s'il s'était demandé comment ces émotions transitaient d'un être à l'autre.
Il m'a répondu qu'il appréciait la question, mais sa réponse montrait qu'il ne l'avait pas comprise (peut-être à cause de mon anglais). Il a parlé de la joie qu'il éprouvait à retrouver ses chimpanzés, mais cela ne se constituait pas pour lui en problème scientifique. La science se résumait à imaginer des dispositifs expérimentaux. La science c'était la cognition, la capacité à résoudre les problèmes. Et finalement à distinguer, encore et toujours, l'humain des autres espèces.
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